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La polémique

Ex-vendeuses de Pimkie: «Cette fois, on part en guerre!»

Licenciées par téléphone quatre jours avant Noël, les neuf vendeuses des enseignes de prêt-à-porter Pimkie de La Praille (GE) et de Crissier (VD) n’ont pas été payées en décembre. La demande de mise en faillite a été déposée à leur insu alors qu’elles continuaient à travailler. Depuis, elles se battent afin de ne pas tomber dans la précarité et dénoncent, avec le syndicat Syna, le cynisme avec lequel elles ont été traitées. Pour elles, c’est une trahison.

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Ex-vendeuses de Pimkie

Le 11 janvier dernier, huit des neuf ex-vendeuses de Pimkie se sont retrouvées à Carouge (GE). Laurence (premier plan, lunettes et canadienne à carreaux) et ses collègues, âgées de 20 à 50 ans, dénoncent la méthode de leur ex-employeur. Elles sont déterminées à récupérer leur salaire de décembre grâce au soutien de Komla Kpogli (à dr.) et de Fabrice Chaperon (à g.) du syndicat Syna et, s’il le faut, à manifester publiquement.

GABRIEL MONNET

Elles sont neuf vendeuses, Françaises et Suissesses, et elles ont toutes été licenciées le 21 décembre, quatre jours avant Noël. L’enseigne de mode Pimkie a scellé leur sort, sans préavis, après avoir déposé huit jours auparavant un dossier de mise en faillite à Bâle, la ville du siège de MDS (Mode Diffusion System), filiale suisse de la marque. Laurence, Emelyne, Giorgie, Mélanie, Allegra, Lola, Elodie, Amale et Loubna ont entre 20 et 50 ans. Elles représentaient une masse salariale totale estimée à 23 092 francs et gagnaient, en moyenne, entre 1800 et 3000 francs par mois; jusqu’à 5000 francs pour la mieux payée, responsable de boutique et seule employée à 100%. Depuis le jour où les magasins romands de La Praille (GE) et de Crissier (VD) ont définitivement baissé leur rideau métallique, ces femmes n’ont plus touché un franc. Elles se retrouvent dans une situation financière dramatique avec le sentiment d’avoir été trahies.

La marque fait partie d’un empire commercial organisé en association familiale, les Mulliez. Classée 4e au hit-parade des plus grosses fortunes de France, elle culmine à 27 milliards. Auchan, Decathlon, Flunch, Kiabi, Norauto, Midas et Leroy Merlin, c’est elle. «La famille se dit soucieuse des droits humains», souligne Fabrice Chaperon, responsable régional chez Syna à Genève. Du prêt-à-porter au «prêt-à-jeter», le syndicat a pris fait et cause pour les neuf victimes de la mode. Il dénonce une situation inédite et un degré de cynisme jamais atteint.

Ex-vendeuses de Pimkie

Dans les locaux de Syna, Lola (à dr.), 32 ans, remplit les documents réclamés à Pimkie France. Ils lui permettront enfin de toucher le chômage. Mais, vraisemblablement, pas avant le mois de mars.

GABRIEL MONNET

En plus de l’angoisse des factures qui s’accumulent, les vendeuses surmontent un invraisemblable gymkhana administratif. Elles peuvent heureusement compter sur le secrétaire syndical Komla Kpogli. «Un temps précieux a été perdu à réclamer les documents que le département des ressources humaines (RH) refusait de nous livrer», dit-il. Alerté dès le 21 décembre, il a reçu les vendeuses licenciées dès le lendemain. «Elles étaient en larmes à la veille des Fêtes. C’était dramatique. Lorsque j’ai appelé la RH de Pimkie, elle m’a affirmé qu’elle n’était pas en mesure de me faire parvenir les lettres de licenciement, les attestations de l’employeur, les certificats de travail et m’a invité à m’adresser à l’administratrice de la faillite. Or, sans ces documents, aucune des ex-employées ne peut toucher le chômage.» Au téléphone, le ton est vite monté. «Je lui ai fait comprendre le côté inhumain de la situation: Pimkie a engagé une procédure de faillite sans en informer ses salariées en s’en lavant les mains. On a connu des faillites dans le respect des règles, mais comme ça, entre incompétence, désinvolture et mauvaise foi, jamais», fulmine Komla Kpogli. Une partie des formulaires a finalement été envoyée le 5 janvier.

Pour gagner trois jours, il s’est rendu lui-même à Bâle jeudi dernier. «J’ai fait l’aller-retour afin de faire tamponner leurs papiers. Chaque jour compte, c’est une course contre la montre. Récupérer le salaire de décembre avant la fin du mois serait un ballon d’oxygène pour elles.» Et d’ajouter, exaspéré: «Quel chaos! C’est moi qui ai dû envoyer le bon formulaire à la RH. Cela aurait pu être réglé en une journée.»

Mardi 11 janvier, les ex-employées se sont retrouvées au siège du syndicat à Carouge (GE). Après les larmes de décembre, une conférence de presse afin d’alerter l’opinion, on les entend rire. «Nous retrouver nous fait du bien. On se sent soudées. De toute façon, ça ne peut pas être pire», commente Laurence, la doyenne. Elle ajoute: «On a tenu un mois sans salaire, deux mois, on ne tiendra pas. Cette fois, on part en guerre!» Pour s’en sortir, elles comptent sur la famille ou les amis. «Mon propriétaire m’a fait cadeau du loyer de janvier (1042 francs), mais je ne peux plus payer celui de ma fille (417 francs).» Jeune étudiante à Lyon, elle est entièrement à sa charge. «Le samedi elle venait bosser au magasin. C’est aussi un emploi et un revenu de perdus. Depuis décembre, je n’ai plus du tout d’argent sur mon compte», confie-t-elle. Giorgie, son bras droit, est atteinte d’une maladie auto-immune. Elle doit débourser 938 francs de médicaments chaque mois pour combattre la maladie de Crohn. Elodie, basée à Lausanne, est maman d’un petit garçon de 6 mois et demi. Mélanie, Suissesse et célibataire, domiciliée à Bussigny, éclate en sanglots: «J’ai demandé de l’argent à mes parents. Mon frère et des amis me sont venus en aide. Ils m’offrent les courses.» Toutes font le même constat: «Le 21 décembre, la terre s’est dérobée sous nos pieds.»

Impossible d’oublier cet après-midi funeste. «A 15 heures, on nous a demandé de fermer le magasin et de participer à une réunion téléphonique.» Au bout du fil, la directrice générale de Pimkie France brosse un tableau sombre, parle des chiffres en baisse et conclut: «On a décidé de fermer ce soir.» Sous le choc, Laurence s’inquiète tout de même du dernier salaire. «Il est traditionnellement versé le 20 décembre», précise-t-elle. Pour seule réponse, elle perçoit un silence embarrassé. «La responsable RH nous a annoncé que le 17 décembre, à Bâle, le juge avait acté la faillite déposée le 13. Puis elle est partie se renseigner à la comptabilité…» Après de très longues minutes, elles apprennent que le versement n’a pas été exécuté. «Un jeu de dupes. Une fois la faillite prononcée, l’employeur est délié de toute obligation», souligne Komla Kpogli. Elles ne toucheront rien. «On nous a demandé de ramasser nos affaires avant de partir, poursuit Laurence. Or nous avons travaillé entre le 17 et le 21 décembre. Pimkie a encaissé de l’argent en liquide ou par cartes de crédit: où est-il passé?»

Ex-vendeuses de Pimkie

Afin de gagner du temps, Komla Kpogli (debout) s’est déplacé à Bâle, lieu de la faillite, pour faire tamponner les attestations. Devant la gravité de la situation, il a alerté les Conseils d’Etat des cantons de Genève et Vaud.

GABRIEL MONNET

Avant qu’elles ne quittent les lieux, le responsable Rhône-Alpes et Suisse romande est venu ramasser le fonds de caisse, l’argent du coffre et la sono. A Crissier, la somme avoisine 3000 francs. Lola se souvient: «Il ne nous a dit ni bonjour ni au revoir, mais: «Je vais passer mon temps à fermer des magasins. Bonnes Fêtes!» A La Praille, Laurence, écœurée, refuse de lui remettre quelque 4000 francs. «Je les donnerai à la commanditaire», prévient-elle, en laissant la somme dans le coffre. Alors qu’elle cherche de l’aide auprès des RH en Allemagne, autrefois chargés des employées des boutiques romandes, elle s’entend dire: «J’aimerais bien t’aider, mais on me l’a interdit.»

«L’illustré» a contacté par e-mail la directrice générale de Pimkie. Publicis Consultants, agence parisienne de conseil en influence et relations presse de la marque, nous a répondu ceci: «La filiale Suisse de Pimkie est en état de cessation de paiements depuis début novembre. Le chiffre d’affaires des deux magasins est en régression depuis 2017 (respectivement -10% et -20%). Fin 2019, le résultat d’exploitation de ces deux magasins s’est avéré négatif (ce que les vendeuses infirment, ndlr: «On gagnait encore un peu d’argent.» Elles parlent d’un troisième magasin à Lausanne qui, lui, a fermé en août 2020.). La crise du covid a malheureusement accéléré la régression. Dans l’hypothèse d’un retour à un niveau de chiffre d’affaires comparable à 2019 en 2022, la société ne serait pas en mesure de rembourser ses dettes, d’autant plus que les capitaux propres de la société sont négatifs. Cette insolvabilité a donc amené Pimkie Suisse à déposer un dossier de mise en faillite avec le solde des comptes, empêchant tout virement depuis ceux-ci après cette date.»

Les vendeuses admettent une conjoncture difficile et même la fermeture, mais dénoncent la méthode. «Tout était calculé. On nous a prises pour des idiotes.» Avec le confinement, les habitudes des clientes ont changé. «Elles se sont mises à acheter en ligne. En magasin, les achats «plaisir» du samedi sont devenus des achats «nécessité». C’est le cas partout. A fin juillet, nous étions à moins 150 000 francs sur les deux magasins.» Les responsables des boutiques avaient même étudié les prix pendant une année dans le but de les adapter, à la baisse, au marché suisse. L’une d’elles ajoute: «On a tout donné. Y compris en acceptant, parfois, d’aller travailler en France pour dépanner les collègues. Ce qui est illégal…»

Depuis plusieurs semaines, la centrale n’approvisionnait plus les magasins romands: «Des retards, cela arrivait parfois. Nous ne nous sommes pas inquiétées. Mais au bout d’une semaine et à la veille du Black Friday, ça ne sentait pas bon.» Laurence avait eu vent d’une fermeture puis d’un espoir de reprise vite douché. «Un jour, en demandant un simple renseignement, j’ai reçu un e-mail en retour de la part d’un subalterne dans lequel j’ai découvert cette phrase: «On a appris la fermeture des magasins en Suisse et on vous souhaite bon courage.» Toute la société était donc au courant, sauf nous, les principales concernées.» Si elle s’était faite à l’idée d’une fermeture, c’était dans les règles. «J’ai été naïve. En plus, notre contrat comporte un préavis de deux mois. On ne devrait rien percevoir avant le mois de mars.» A Lausanne, Mélanie garde espoir. «Le chômage m’a dit qu’il allait étudier mon cas et peut-être faire une exception. Ils n’ont jamais vu une telle situation.»

Pour Komla Kpogli, «la méthode Pimkie est assumée et institutionnalisée. C’est une voyoucratie patronale transfrontalière! Ils ont fait la même chose en Belgique en 2021 en licenciant 136 personnes en mars avant de rouvrir l’enseigne en juin, sous forme de franchise. La créance a été rachetée pour 1 euro symbolique. On ne peut pas ramasser les bénéfices, fermer et faire payer l’ardoise par la collectivité. Sur la base de ce cas, nous réitérons l’appel maintes fois lancé pour un changement de la législation sur les faillites. Il faut que les entreprises assument leurs responsabilités financières et humaines.» En Belgique, le syndicat CGSLB a mené une action pour faillite frauduleuse. «En Suisse, nous allons demander que le mandataire diligente une enquête afin de vérifier s’il n’y a pas un délit pénal. Le responsable régional a prélevé l’argent de la caisse…» Dans la foulée, Komla Kpogli a écrit aux Offices des faillites de Genève et de Lausanne, ainsi qu’aux Conseils d’Etat des deux cantons.

Le syndicaliste et ses neuf protégées semblent s’inspirer de la phrase de Francis Scott Fitzgerald dans Gatsby le Magnifique: «Il faudrait comprendre que les choses sont sans espoir et être pourtant décidé à les changer.» Les «invisibles», elles, sont bien décidées à se montrer. «Nous voulons récupérer nos salaires. S’il le faut, nous irons manifester devant les enseignes du groupe en France. Et même à Cologny (GE) devant le domicile de l’un des membres de la famille Mulliez.» Elles savent que les forces en présence sont inégales, mais pour Laurence et les autres, la guerre est bel et bien déclarée.

Par Didier Dana publié le 20 janvier 2022 - 08:54