Il y a un soleil voilé dans la voix d’Etienne Daho, douce et entêtante comme une ritournelle. Cette voix qu’il a longtemps tue, par peur d’être illégitime. Elle parle de ces années libres, de ces amours sans limites, de ces temps de tous les possibles.
Lorsqu’il naît à Oran, le 14 janvier 1956, d’une mère française et d’un père militaire, il se voit attribuer le même prénom que son géniteur: Etienne. Dans ces années-là, «on était élevé par les grands-parents», dit-il au téléphone. Ceux-ci tenaient une épicerie à Cap Falcon, une station balnéaire non loin d’Oran. C’est là-bas que la famille s’est réfugiée quand la guerre faisait rage. Un juke-box, qui trônait dans l’échoppe grand-paternelle, a partiellement formé le goût d’Etienne Daho pour la musique. «Il jouait tous les tubes de l’époque, les Beatles, les Beach Boys… Ma mère était une fan d’Elvis Presley, de Sinatra, de rockabilly. Mon père aimait le jazz, mes sœurs, plus âgées que moi, écoutaient les yéyés, la scène anglaise, la Motown. Il y avait un éclectisme musical à la maison.»
Malgré le sentiment d’insécurité, la vie était à peu près douce dans ce village du bord de mer, jusqu’à ce qu’elle prenne un goût amer. Etienne Daho avait 4 ans. «Un jour, mon père a disparu et n’est jamais revenu. Ma mère a dû rester en Algérie, ne pouvant pas divorcer, et je suis parti en France avec l’une de mes tantes.»
Direction Reims, puis Rennes la même année 1964. C’est dans cette ville bretonne qu’il va grandir, étudier l’anglais à la fac, réussir à décrocher une licence. Il lit des romans de William S. Burroughs, écoute David Bowie et Lou Reed. «J’ai grandi dans ces années 70 où régnait une liberté, une forme de romantisme et un goût certain pour l’autodestruction.» Le chanteur essaie tout, tente tout, même le diable: les drogues, le sexe, sans distinction de genre, et, au détour de tous ses excès, il va faire un enfant à 17 ans. Comme son père avant lui, il n’a pas revu son fils. «On réalise parfois qu’on reproduit les mêmes erreurs que ses parents.»
Etienne Daho est jeune, timide, passionné, et son obsession discrètement envahissante, c’est la musique. Il écrit des chansons mais n’en parle à personne. Il lui faudra l’aide du ciel, en l’occurrence une tempête de neige, pour que son destin s’enclenche. «En 1977, j’avais organisé un concert des Stinky Toys, le groupe que j’adorais, avec Elli Medeiros et Jacno à Rennes. Mais une tempête de neige les a contraints à rester. Je n’avais pas l’argent pour leur offrir une chambre d’hôtel. J’ai arrangé une espèce de beuverie chez moi. On a parlé toute la nuit et c’est la première fois que j’ai dit à quelqu’un que j’écrivais des chansons. Ils m’ont encouragé. Plus rien n’aurait pu m’arrêter après cela. L’audace des timides est impérieuse, dit-il. J’ai envoyé à Elli des chansons et Jacno a produit mon premier album.»
Lancé en 1981, son disque Mythomane est salué par la presse spécialisée mais ne parvient pas à rencontrer son public. Il lui faudra attendre 1984 et son deuxième album, La notte, la notte, pour que le succès arrive. Mais les opus qui l’ont propulsé dans la stratosphère musicale française, c’est Pop Satori, sorti en 1986, et Pour nos vies martiennes, en 1988.
Ce qui l’a stoppé dans cet envol, c’est la folie des humains quand ils aiment trop. Après Pop Satori, les fans dormaient dans l’escalier de son immeuble, à Montmartre. Pour cet artiste timide, qui a besoin de solitude pour se ressourcer, c’était infernal. «La célébrité peut isoler. C’est l’un de ses effets pervers. Mais quand on fait un métier comme celui-là, il y a une espèce de dichotomie entre l’envie de partager et l’envie d’être tranquille. C’est parfois incompatible et il faut se débrouiller pour gérer les deux.»
Il gère à sa façon et part s’installer à Londres en 1993. «Je voulais pouvoir faire de la musique sans provoquer des réactions hystériques.» De l’autre côté de la Manche, il jouit de la liberté des anonymes et peut se remettre au travail. Il crée Reserection en 1995, puis Eden en 1996, incompris par ses fans. Ils y reviendront pourtant, car ce qui est extraordinaire, avec lui, c’est qu’il a su garder ses fans des origines tout en fédérant les jeunes générations. «Comment va-t-on toucher la sensibilité de quelqu’un? Je n’en sais rien. Je fais ce qui me vient spontanément. Mes chansons évoquent des thèmes assez universels dans lesquels chacun peut se retrouver. Elles parlent de liberté, d’amour, ou de son absence.»
Depuis quelques années, Etienne Daho a trouvé son équilibre créatif en produisant aussi les albums des autres. Comme celui de Lou Doillon, en 2012, ou celui de Jane Birkin Oh! Pardon tu dormais, dont la date de sortie a été reportée en décembre. «Quand je produis le disque d’un autre artiste, cela me prend toutes mes idées, tout mon temps. Mais ça m’inspire aussi. C’est continuer à faire de la musique, mais dans l’ombre. Trop de lumière me fait du mal.»
L’album Surf, lancé le 4 décembre, est un objet hybride: un aller-retour entre lui et les autres. «C’est une collection de chansons que j’avais envie de chanter. J’avais commencé ce projet de reprises en 2004 avec un budget très modeste, sans soutien. Mais, à l’époque, cela ne se passait pas très bien avec ma maison d’édition. J’ai commencé à travailler sur l’album L’invitation et j’ai complètement oublié cette idée. C’est jouissif de ramener à la vie un projet qui n’aurait jamais dû voir le jour.»
«Ces chansons ont été piochées partout. Cela explique aussi le titre: je surfe sur des tas de styles qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.» Le fil rouge de l’album, c’est l’amour perdu. «J’ai enregistré ces titres à un moment où je traversais la même chose, d’où peut-être la thématique du cœur brisé. D’ailleurs, cette histoire m’avait inspiré à l’époque la chanson Son silence en dit long, qui n’avait jamais été finalisée.» Et que l’on retrouve sur ce disque.
Etienne Daho ne parle pas de ses amours, il les chante. «Je serai amoureux jusqu’à mon dernier souffle… Le cœur est un organe qui ne s’use pas.»