- Pourquoi certains chercheurs se sont-ils intéressés à la vitamine D dans la lutte contre le Covid-19?
- Omar Kherad: Une partie de la littérature scientifique autour de la vitamine D est consacrée à son rôle dans la diminution des infections des voies aériennes supérieures. C’est une molécule qui ne coûte pas cher et qui n’est pas dangereuse pour l’organisme sauf à très haute dose. Elle semble aussi jouer un rôle dans le renforcement du système immunitaire. L’essayer contre le Covid-19 paraît donc logique.
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- Son utilisation a connu un grand succès médiatique. Comment expliquer cet emballement?
- L’histoire est similaire à celle d’autres molécules qui ont été mises en avant dans cette pandémie. Dans le cas de la vitamine D, tout est parti de données observationnelles qui ont évalué l’association entre déficience en vitamine D et risque d’infection par le SARS-CoV-2. Elles montrent des résultats contradictoires et souffrent des biais méthodologiques propres au design rétrospectif ou à l’absence de randomisation. Des petites études randomisées contrôlées, une brésilienne, une indienne et une espagnole, laissent toutefois supposer une diminution de la charge virale et du recours aux soins intensifs. L’étude espagnole a servi de pilote à un essai clinique randomisé multicentrique à plus large échelle (étude Covidiol), dont les résultats préliminaires ont été publiés sur medRxiv, une plateforme de partage de données préliminaires de recherche qui est censée encourager la collaboration et la transparence entre chercheurs. Les conclusions de l’étude semblent parler en faveur d’une réduction de la mortalité. Cet article n’est encore ni publié ni révisé par les pairs. Or, dans le cadre du covid, les études publiées sur la plateforme medRxiv sont souvent prises comme définitivement validées, ce qui n’est pas le cas. En l’occurrence, ces études, même randomisées, ont souvent été réalisées sur de trop faibles échantillons et souffrent de biais méthodologiques trop importants pour être considérées comme concluantes. La machine s’est emballée trop vite.
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- Peut-on dire pour autant que la vitamine D n’est pas efficace contre le Covid-19?
- Non, pas pour l’instant, même si ce qui s’est passé avec d’autres pathologies comme les cancers ou les maladies cardiaques risque de se reproduire. Comme dans tout processus de recherche, il faut attendre. Il y a plusieurs essais cliniques qui sont en cours. Mais il faudra pouvoir les reproduire à plus grande échelle, en suivant des règles méthodologiques bien définies. Trop souvent, on ne s’intéresse qu’à la conclusion des articles. Or la méthode est essentielle. Et pour l’instant, les données probantes sont insuffisantes pour déterminer les bénéfices et les risques d’une supplémentation en vitamine D comme traitement du Covid-19.
Dépister à large échelle, une fausse bonne idée
En Suisse, on estime qu’entre la moitié et les deux tiers de la population ont un taux insuffisant de vitamine D, soit des taux entre 10 et 30 nanogrammes par millilitre (ng/ml) de sang. Par ailleurs, en 2019, une étude financée par le Fonds national de la recherche scientifique avait aussi estimé que 60% de la population manquait de vitamine D pendant l’hiver.
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Faut-il pour autant dépister systématiquement les carences en vitamine D? Comme tous les autres pays, la Suisse ne le recommande pas. Une décision que soutient le professeur Omar Kherad, médecin-chef du service de médecine interne de l’Hôpital de La Tour. «Il y a d’abord un problème autour de la mesure de la norme proposée, explique-t-il. Non seulement le taux de vitamine D dépend de nombreux facteurs individuels, mais en plus, les tests des différents laboratoires ne sont pas standardisés et montrent de grandes différences dans leurs résultats.»
Pas évident donc d’être sûr de qui est carencé et de qui ne l’est pas. Mais surtout, au-delà du problème de norme, les éventuelles fonctions protectrices conférées à la vitamine D dans le cadre de maladies cancéreuses, cardiovasculaires ou neurologiques font encore l’objet de controverses.
En dépistant à large échelle, on ne saurait donc pas quel traitement administrer, alors même que le but de tout dépistage est de pouvoir donner un traitement à celui qui est malade. Enfin, le coût d’un tel dépistage n’est pas anodin. Si le traitement en lui-même ne coûte que 20 francs par année, le prix du dépistage est, lui, de 50 francs. «A large échelle, ce dépistage coûterait très cher, sans réelle preuve d’efficacité», conclut le professeur genevois.
Autant de raisons qui plaident pour un dépistage ciblé dans des cas où des signes cliniques (par exemple, nombre élevé de fractures) laissent supposer qu’une carence existe.