«Instant émotion: si vous souffrez d’endométriose, sachez que vous n’êtes pas seule. Je connais la souffrance, la déprime qui vont avec. Je sais ce que ça fait de se sentir prisonnière et affaiblie, de louper des cours, de ne pas aller au boulot ou, pire encore, d’y aller et d’avoir mal toute la journée, d’avoir l’impression d’être prise au piège de son propre corps, de s’inquiéter de la possibilité de ne jamais pouvoir avoir d’enfants ou de prendre des traitements plus bizarres les uns que les autres…»
Halsey est l’auteure de cette émouvante confession.
En mars 2016, la chanteuse américaine, alors âgée de 21 ans, révélait son combat contre l’endométriose dans un message sur Twitter. Diagnostiquée peu de temps auparavant, elle évoque des années de souffrance, les coulisses de ses concerts où elle attend pliée en deux de douleur et les nombreuses fois où elle doit ravaler ses larmes en avion, au point de vomir ou de s’évanouir. Difficile à la lecture de ce témoignage d’imaginer que cette maladie gynécologique ait pu rester dans l’ombre pendant plus d’un siècle, les femmes atteintes préférant souffrir en silence au risque de se voir rétorquer par leur médecin ou leur gynécologue: «Mais c’est dans votre tête que ça se passe ma p’tite dame…» Ou bien: «C’est normal pour une femme d’avoir mal durant ses règles.» Voire: «Vous avez mal quand vous faites l’amour: utilisez un lubrifiant.»
Pourtant, il ne s’agit pas d’une maladie imaginaire.
Jean-Marie Wenger, médecin coordinateur du Centre d’endométriose certifié ouvert fin 2016 dans l’enceinte des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), est un des meilleurs spécialistes européens de ce mal qui affecterait 10 à 15% des femmes. La description qu’il en fait est simple. «C’est une maladie bénigne (ce n’est pas une affection maligne comme un cancer) constituée par la présence, en dehors de l’utérus, de cellules ressemblant à celles qui tapissent l’intérieur de la cavité utérine (l’endomètre). Ces cellules, qui ne se trouvent pas à leur place habituelle, sont pourtant soumises aux variations hormonales comme leurs homologues à l’intérieur de l’utérus. Il s’ensuit une inflammation locale pouvant provoquer des douleurs.»
Les manifestations sont en réalité très variables.
Les douleurs, comme celles évoquées par Halsey dans son tweet ou par d’autres stars comme Lena Dunham, la créatrice de la série télévisée Girls («C’est comme si on m’avait versé un mélange de vinaigre et de bicarbonate de soude dans le ventre: ça bouillonne, ça pétille et ça se répand partout») ou Julianne Hough de Dancing with the stars («J’avais l’impression qu’on me poignardait»), ne sont pas toujours présentes. On parle alors de forme asymptomatique de la maladie, ce qui retarde bien sûr son diagnostic. Cela dit, des milliers de femmes vivent avec une endométriose sans être malades, sans avoir de douleurs et en enfantant quand bon leur semble. Passé la ménopause, l’affection disparaîtrait d’elle-même.
Mais il faut distinguer deux formes d’endométriose.
«La forme superficielle, précise le docteur Wenger, est composée de glandes qui ressemblent à celles de l’intérieur de l’utérus et la forme profonde est constituée en plus de cellules musculaires lisses mêlées à des cellules fibreuses. Cette dernière forme constitue des nodules qui peuvent infiltrer les organes et altérer leur fonctionnement, voire les détruire, à l’image d’un cancer. En réalité, il n’y a pas une endométriose, mais des endométrioses.» Résultat, le mal peut se révéler parfois par des affections très éloignées de la sphère gynécologique. Et Jean-Marie Wenger d’évoquer le cas de cette patiente atteinte d’une arthrose de l’épaule car la «pieuvre» de l’endomètre avait franchi la barrière du diaphragme. Ou telle autre, bourrée d’antibiotiques durant des années pour «soigner» une cystite récurrente au moment des règles alors qu’il n’y avait aucun germe infectieux mais une propagation de l’endométriose à la vessie. «Il y a encore un siècle, ajoute-t-il, lorsqu’un chirurgien ouvrait une patiente et découvrait les ravages causés par une endométriose profonde, il la refermait sans intervenir, car il était épouvanté et ne savait pas quoi faire…»
Une conspiration du silence des patientes et des médecins.
Des médecins décontenancés et impuissants donc, et des femmes qui pendant longtemps n’ont pas osé parler, les conditions étaient réunies pour que cette maladie soit négligée pendant si longtemps. La top-modèle Padma Lakshmi, mariée durant huit ans à l’écrivain indien Salman Rushdie, a révélé en mars 2016 au magazine Entertainment Weekly que son endométriose avait certainement joué un rôle dans sa séparation d’avec l’auteur des Versets sataniques. «Même s’il est très intelligent, ni lui ni moi n’avons vraiment compris ce qui se passait. Il faut dire que je cachais un peu les choses. Pas intentionnellement, mais parce que je trouvais bizarre de parler tout le temps de mes règles. Ce n’est vraiment pas glamour.» Le constat est attristant: dans des sociétés développées se targuant d’être à la pointe dans le domaine de la liberté des mœurs et de l’égalité hommes-femmes, ces dernières se sont tues pendant des années et continuent parfois à se taire de peur qu’on les prenne pour des «chochottes».
Mais comment une femme peut-elle soupçonner une atteinte de la maladie?
«Il ne faudrait pas qu’au silence qui a entouré cette maladie succède une cacophonie alarmiste, insiste Jean-Marie Wenger. Il existe quatre signaux d’alerte clairs: des douleurs sévères et répétées lors des règles; des douleurs répétées lors des rapports sexuels; des douleurs répétées lors de la défécation pendant les règles; mais aussi des douleurs pelviennes chroniques pas forcément en rapport avec les règles. Ces signaux devraient alerter n’importe quel gynécologue et l’amener à proposer, éventuellement, une laparoscopie à sa patiente. Il s’agit d’une opération permettant d’accéder à l’intérieur de l’abdomen avec une caméra et, éventuellement, des instruments permettant d’opérer.» Et le docteur Wenger d’insister sur le fait qu’il est crucial d’établir un diagnostic sur les patientes jeunes, afin d’éviter une prolifération de lésions susceptibles de compromettre leur fertilité.
Des opérations compliquées.
Enlever ou détruire les amas de cellules d’endométriose par laparoscopie n’est pas simple, avoue Jean-Marie Wenger, qui opère pourtant en moyenne deux à trois femmes par semaine aux HUG. «Ces opérations peuvent parfois être très longues, jusqu’à huit heures pour des endométrioses profondes très diffuses, et réclament des compétences chirurgicales élevées puisque l’on doit intervenir dans des régions anatomiques très variées. Il faut essayer d’enlever la totalité de la maladie en sculptant les organes atteints tout en préservant les fonctions reproductives, urinaires ou digestives de la patiente.» Ces interventions, qui ne sont pas sans risques, sont généralement complétées par un traitement médical sous forme d’une contraception continue pour éviter une rechute de la maladie. La prise d’œstrogènes ou de progestatifs peut ensuite être interrompue afin de libérer une période de quelques mois où la patiente peut essayer d’avoir un enfant. Dans de nombreux cas, une grossesse suivie d’un accouchement s’accompagne d’une amélioration voire d’une rémission de la maladie.
Reste une énigme: d’où vient cette maladie?
La plupart des spécialistes insistent aujourd’hui sur le caractère multifactoriel de la maladie au-delà de l’explication traditionnelle des menstruations rétrogrades: reflux par les trompes de tissus en provenance de la muqueuse utérine dans la cavité pelvienne autour de l’utérus. Les statistiques mettent en avant une prédisposition familiale avec une légère augmentation du risque pour une fille d’être atteinte d’endométriose si la mère en a souffert. Mais de plus en plus d’études pointent du doigt notre environnement.
Des dérivés de la dioxine mis en cause.
Pour Jean-Marie Wenger, qui recommande à ses patientes opérées un régime diététique bio exempt de substances chimiques comme les pesticides ou les dérivés de la dioxine, notre environnement est en partie responsable de l’épidémie d’endométriose qui touche aujourd’hui des femmes de plus en plus jeunes (à l’image des cancers du sein ou de l’utérus). Une affirmation corroborée par une équipe de chercheurs américains dont l’étude parue dans le Journal of Endocrinology and Metabolism établit un lien statistique entre l’endométriose et l’exposition aux phtalates. Rappelons que les phtalates, des plastifiants auxquels nous sommes très exposés via les emballages alimentaires ou les jouets pour enfants par exemple, sont des perturbateurs endocriniens. Capables d’interférer avec nos processus hormonaux, leur part de responsabilité dans l’endométriose et les fibromes serait de 20 à 39%. Un constat inquiétant pour l’évolution de la maladie…