Tout est calme en cette matinée de décembre au stade de la Fontenette, à Carouge, où le Servette FC Chênois Féminin vient de finir de s’entraîner. Entre la buvette déserte et un bus des TPG qui passe sans se presser, il faut un brin d’imagination pour se replonger dans le tumulte de la Coupe du monde féminine, cet été, qui fit vibrer les stades australiens et néo-zélandais. L’équipe de Suisse en fut, pour la deuxième fois de son histoire. Souvent défensive, elle tint son rang et termina même première de son groupe, avant de prendre une raclée en huitième de finale (1-5, le 5 août) contre la future championne du monde, l’Espagne.
Sandrine Mauron, milieu de terrain de 27 ans, a adoré jouer sur ces pelouses des antipodes. Sa famille et son ami, le joueur du Stade Nyonnais Quentin Gaillard, en ont même profité pour passer plusieurs semaines là-bas, près d’elle, en camping-car. «Le voyage de leur vie», sourit cette Nord-Vaudoise simple et chaleureuse, arrivée au Servette en 2022 après trois ans passés à Francfort. Elle n’a rien oublié de cette période entre parenthèses.
- Fut-il facile de revenir en Suisse après une telle Coupe du monde?
- Sandrine Mauro: Facile, non. Les matchs les plus géniaux, ceux qui font plaisir, se passent quand le stade est plein à craquer. Le public chante, tu ne t’entends pas, tout change. Le terrain est un billard et ces détails ajoutent de l’énergie. Typiquement le huitième de finale: oui, nous avons pris un bouillon face à l’Espagne, mais il y avait 45'000 spectateurs dans l’arène d’Auckland. En entrant là-dedans, tu te sens comme une petite mouche.
- L’année de l’équipe de Suisse est en demi-teinte. Il y eut certes cette Coupe du monde mais aussi beaucoup de revers (sept défaites, sept matchs nuls, deux victoires). Etes-vous d’accord?
- Elle n’est pas satisfaisante statistiquement, c’est vrai. Cependant, à la Coupe du monde, nous aurions signé pour la première place du groupe que nous avons obtenue. Nous avons su nous montrer compactes défensivement et nous pouvons être fières de notre parcours. Puis, contre l’Espagne, il n’y avait pas photo.
- Comment expliquer un tel écart avec certains pays?
- Les Espagnoles avaient déjà des titres chez les M17, chez les M19. Il y a là tout un travail dans l’ombre, sur la longueur. On ne devient pas championnes du monde du jour au lendemain. Pour y arriver, c’est un tout, qui comprend le soutien de la ligue, les infrastructures, les salaires aussi. Du professionnalisme dans tous les domaines, pas seulement sur le terrain. Contre nous, elles n’ont pas forcément couru davantage, mais toujours de manière juste. Elles étaient sans cesse entre les lignes, à nous tourner autour.
- Comment voyez-vous la suite?
- Nous pensons toutes à l’Eurofoot 2025, en Suisse. C’est déjà dans dix-huit mois, nous ne pourrons pas arriver le premier jour en croyant que tout se passera bien. C’est une compétition d’une valeur tellement élevée, avec d’énormes nations européennes. Nous devrons montrer une bonne image, aussi vis-à-vis des générations futures.
- L’équipe nationale a connu des bouleversements cette année, dont deux changements d’entraîneurs. Comment l’avez-vous vécu?
- L’arrivée d’Inka Grings en janvier a signifié la fin de l’ère Nils Nielsen, parti pour des raisons familiales. Au début, nous nous sommes dit: «Elle est directe, dynamique, c’est une personne imposante.» Puis les matchs sont arrivés, avec peu de récompenses. Nous avons alors moins ressenti le côté tactique, l’aide qu’elle aurait pu nous apporter. Après, elle n’était pas seule responsable, tout un staff travaillait avec elle. Cela dit, nous avons toujours gardé un bon état d’esprit entre nous, même si les résultats n’ont pas forcément été là.
- Une telle Coupe du monde change-t-elle le regard du public sur le football féminin?
- Oh oui, je n’aurais jamais imaginé à tel point! Là-bas, nous étions dans notre bulle, avec notre programme et nos entraînements. Mais en rentrant, j’ai réalisé qu’ici vraiment tout le monde avait regardé nos matchs, c’était génial. Et cela juste parce que les gens ont été intéressés par le jeu et la qualité des rencontres. Notre football est forcément plus lent que chez les hommes, mais une collègue de travail, par exemple, m’a dit son plaisir à avoir vu des actions de jeu comme des roulettes ou des bicyclettes. Je n’ai pas ressenti de regard critique, plutôt admiratif, un peu comme quand on regarde les Jeux olympiques juste pour la joie du sport.
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- Vous travaillez à mi-temps. Pourquoi ce choix?
- J’ai adoré les trois années que j’ai passées en tant que professionnelle, à Francfort, ce fut un plus énorme pour le côté football. Mais la dernière année en Allemagne, avec la concurrence, je suis devenue davantage une joueuse joker. J’avais besoin de constance et de jouer, aussi dans la perspective de la Coupe du monde. Un an et demi après, je peux dire que j’ai fait le bon choix en venant au Servette. Je suis employée de commerce dans une entreprise genevoise de recyclage. Mes semaines sont chargées, avec des demi-journées au travail, mais j’aime cela, je suis quelqu’un d’actif. Et le football ne suffit pas pour vivre.
- On constate que beaucoup de footballeuses viennent d’une famille intéressée par le ballon rond. Qu’en pensez-vous?
- Il y a aussi de plus en plus de filles qui viennent d’autres horizons et je m’en réjouis. Montrer nos matchs permet de donner cette envie de commencer le football. En pensant au prochain Eurofoot, j’aimerais faire passer ce message à toutes les jeunes filles qui jouent au foot avec leurs copines: si cela vous dit, si vous tapez dans un ballon à la récré et que cela vous tente d’aller plus loin, allez-y! Il existe partout des clubs où on prend les filles, des écoles de foot.
- Voyez-vous des différences avec les footballeuses qui ont dix ans de moins que vous aujourd’hui?
- Elles ont un parcours peut-être plus simplifié, avec beaucoup d’aspects qui se sont améliorés. Rien qu’ici, au Servette, nous avons un bus, des repas préparés. Il y a dix ans, nous cuisions nos pâtes à la maison, nous faisions tout nous-mêmes. Là, plus besoin de prendre un linge ou des affaires d’échauffement. Pareil pour des détails importants comme les analyses vidéo, les soins, la récupération...
- Début juin, le FC Servette a perdu le titre en finale contre le FC Zurich sur un seul match, alors que vous comptiez 6 points d’avance au terme du championnat. Comment jugez-vous ce verdict?
- Il y a un sentiment d’injustice, cela fait toujours un peu mal d’en parler. Il est frustrant de rester invaincues toute l’année et de tout perdre sur un seul match, parce que ce n’était pas notre jour, à cause de beaucoup de facteurs externes. Ce jour-là, Zurich n’était pas forcément meilleur. Mais, surtout, on n’organise pas le match le plus important de la saison un vendredi soir au bout du pays, à Saint-Gall! Comment voulez-vous que des spectateurs viennent? On recommence pourtant avec ce système de play-off cette année. J’ai l’impression qu’on n’apprend pas beaucoup de nos erreurs.