Autour des fils barbelés qui encadrent les différents bâtiments du centre pénitentiaire, on observe la campagne vaudoise et ses exploitations agricoles recouvertes d’une fine couche de gel brillant. En ce vendredi matin, le calme des lieux est imposant. On s’annonce à l’interphone en transmettant le numéro de plaque du véhicule. Dans la marche à suivre, on nous a informés que nos téléphones mobiles et tout autre appareil connecté devaient rester dans la voiture. Le portail s’ouvre doucement. Pour qu’un média pénètre dans le périmètre de la prison, y compris dans la Colonie ouverte qui est la zone à basse sécurité, la demande officielle doit préalablement venir du détenu, avant d’être validée par les autorités compétentes.
Informé de notre intérêt via l’équipe de communication de Renovate Switzerland, groupe écologiste dont il est cofondateur et avec lequel il est toujours en contact, Nicolas Presti a accepté qu’on immortalise son passage en détention. Privé de liberté depuis le 12 décembre dernier, le Vaudois purge une peine de 2 mois ferme à la symbolique forte: «Au nom de l’urgence climatique et du manque d’action des politiques en Suisse», résume l’un des membres de ce rassemblement citoyen. Celui qu’on surnomme Nikoko a été inculpé après avoir filmé ses camarades qui collaient des extraits du rapport du GIEC sur les murs de différents bâtiments emblématiques de la capitale vaudoise. Alors qu’il aurait pu payer 1800 francs d’amende pour cette infraction, il refuse. Parmi les différentes alternatives qui lui ont été proposées en réponse à sa contestation, comme des travaux d’intérêt général ou le port d’un bracelet électronique, il choisit «de ne pas choisir». C’est-à-dire? Le jeune homme insistera sur ce point lors de notre interview: «J’ai accepté le procédé de l’Office d’exécution des peines mais je n’ai pas décidé d’être en prison. C’est par défaut que je suis ici.» Il tient à éviter tout malentendu.
Un quotidien privé de liberté
Pour lui, son passage aux Etablissements de la plaine de l’Orbe s’est transformé en revendication politico-médiatique pour dénoncer le traitement judiciaire qui vise des activistes avec son profil. «Dans ce pays, on met en prison un lanceur d’alerte. Une personne qui veut simplement sauver la planète! J'appelle à questionner nos rouages judiciaires», signale-t-il lors de notre rencontre. En soutien à son action, de petites marches pacifistes ont eu lieu début janvier à Lausanne et à Genève. Le jour de son incarcération, 130 personnes, dont le Prix Nobel Jacques Dubochet, l’ont accompagné jusqu’au portail.
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Ce soutien populaire, c’était il y a un mois. Depuis, le Vaudois de 32 ans a passé les fêtes de fin d’année seul, ainsi que son anniversaire. Nous nous sommes donc demandé dans quel état psychologique nous allions trouver le militant lors de notre visite. Dans son podcast, «Nikoko en prison», enregistré depuis les cabines téléphoniques avec l’autorisation du pénitencier, le Romand confiait que les premiers jours ont été intenses. Parce qu’il est notamment sous le même toit que certains prisonniers arrêtés pour des crimes tels que trafic de drogue ou homicide, mais aussi parce que son nouveau quotidien est cadencé par un horaire très strict. Réveil aux aurores et travail six jours sur sept. Nicolas Presti est affecté à la ferme, où il gagne 35 francs par jour, de quoi payer quelques courses et regarder la TV. Pour des raisons de sécurité, lors de notre visite, on ne pourra pas accéder à sa cellule, qui mesure 7,40 m2. On sait cependant qu’il a emporté sa guitare sèche et des livres, notamment «Un long chemin vers la liberté» de Nelson Mandela.
Escortés jusqu’au parloir, nous sommes rejoints par Nikoko pour une rencontre qui sera dictée par le rythme de l’institution. Le cofondateur de Renovate Switzerland nous accueille avec le sourire. Il n’a pas enlevé son piercing, qui ne dérange pas les détecteurs de métaux, et porte sa tenue de travail orange qui rappelle celle des détenus dans les séries américaines. Mais cette teinte, c’est surtout pour être vu à distance dans les champs aux alentours de la Colonie ouverte. Cette salle des visites ressemble à un réfectoire d’école avec un petit coin pour les enfants avec des jeux et des peluches. C’est en regardant par la fenêtre, à la vue des grilles, des barbelés et de la cour traversée par les détenus à l’heure de la pause, que l’on se souvient qu’on est dans une prison.
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A la fin de notre échange, comme pour chaque visite, Nikoko sera fouillé pour s’assurer qu’il ne ramène aucun objet extérieur. «Je ne suis pas un antisystème. Je ne cherche pas du tout à critiquer le milieu carcéral. Ici, j’ai été accueilli de manière très professionnelle. Si tu te comportes avec respect, tu es respecté en retour», mentionne-t-il en soulignant qu’il a été touché par le soutien de certains agents de sécurité, sensibles à sa cause. «Dans ces murs, la plus grande partie des détenus se foutent un peu de mon combat. Mais certains approuvent. Et je pense en revoir un ou deux après nos libérations respectives», projette Nicolas Presti.
Lorsqu’on lui demande comment ont réagi ses proches à l’annonce de son emprisonnement, il répond posément: «Je viens d’une famille sicilienne très soudée. Ils étaient les premiers à venir me voir à Orbe. Plus jeune, mon père s'engageait contre les formes d'injustices. Il se reconnaît un peu en moi. Et ma mère n’a pas été étonnée de me retrouver dans cette situation extrême. Elle s’y attendait vu mon engagement.»
L’heure de la «réinsertion»
Sa sortie est prévue le 10 février prochain. «J’appréhende un peu le fait que le monde a bougé durant mon absence alors que moi, j’ai stagné. Et je ressens ça alors que je ne vis ici que depuis deux mois! Je n’ose pas imaginer comment les autres prévenus ou les détenus de maisons ultra-sécurisées envisagent leur retour au monde. Je ne peux vraiment pas faire la diva», assène-t-il.
Celui qui, dans le monde extérieur, enseigne la géographie et la natation espère surtout que les gens comprennent son geste au nom du climat. Notamment les parents d’élèves. «Parfois, j’ai peur que tout ceci soit vain, mais je ne me laisse pas submerger par cette idée. La presse m’a suivi et j’ai reçu de nombreuses lettres positives.» Après les actions de blocage de route, les marches lentes, le «sacrifice» est-il la nouvelle stratégie de Renovate Switzerland? «Ce qui m’arrive est une opportunité de sensibiliser la population, alors oui, ça devient une tactique.»
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A quelques jours de quitter le centre pénitentiaire pour retrouver sa vie d’homme libre, Nikoko est catégorique: «Je n’ai pas de regret. Je retournerai en prison s’il le faut pour la protection de l’environnement!» Alors qu’un surveillant l’emmène dans un autre sas, on ose une dernière question un soupçon provocante: «En contrepartie d’une réglementation nationale immédiate pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, resteriez-vous douze mois supplémentaires derrière les barreaux?» «Si ça permettait d’inverser la courbe CO2, sans hésiter. Je sais pourquoi je suis là. Mais ma compagne me manquerait terriblement.»