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Changements climatiques

«En Alaska, vous comprenez vraiment à quel point tout est interconnecté»

La communauté indigène de Newtok est la première de l’Alaska à devoir abandonner son village, englouti par la fonte des terres gelées. Un reportage aux confins du monde qui sonne comme un avertissement pour la planète.

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Le village de Newtok encerclé par les eaux.

Copyright Katie Orlinsky.

Quand Albertina Charles sent la nostalgie de Newtok l’envahir, elle pose le pied sur le sol ferme de la toundra et se sent mieux. Fini la terre qui s’effondre, la maison pleine de moisissures, les enfants constamment malades, la pestilence des déchets déversés dans la rivière avoisinante faute de canalisations. «Le chagrin est passé. La toundra guérit», confiait-elle à Alaska Public Media l’année dernière. Dans le tout nouveau village de Mertavik, sorti de terre à une vingtaine de minutes en bateau de Newtok, les rayons de l’unique épicerie sont si peu garnis que les habitants ont retrouvé un mode de vie plus ancestral, renouant avec plaisir avec la pêche au saumon et la chasse au phoque pour se nourrir.

Il était moins une. Pour reloger les 380 habitants, les premiers réfugiés climatiques de l’Alaska, il aura fallu vingt-cinq ans de négociations entre les autorités fédérales américaines et les représentants de la tribu inuit. Des centaines de millions de dollars ont été engloutis avec l’inexorable montée des eaux pour ce seul hameau, un parmi des dizaines de communautés du Grand Nord menacées par le dégel accéléré du pergélisol.

Quatre enfants vont à la chasse et marchent sur le sol dorénavant trempé. 

Copyright Katie Orlinsky.

Fréquemment appelé par son nom anglais de permafrost, le pergélisol désigne un sol imperméable car gelé depuis au moins deux ans. Il recouvre 20% de la surface terrestre du globe, dont 90% du Groenland et 80% de l’Alaska. Ces dernières années, les scientifiques qui l’observent se sont alarmés de la vitesse à laquelle il dégèle. C’est que l’Alaska, avec sa localisation et ses dizaines de milliers de kilomètres de littoral, est, selon une expression désormais consacrée, «le Ground Zero du réchauffement climatique». Et un avertissement pour l’ensemble de la planète.

>> Voir aussi la galerie: Les réfugiés climatiques de l'Arctique

En effet, dans la zone arctique, les températures augmentent deux fois plus vite qu’ailleurs sur terre. Comme le montrent les images de Katie Orlinsky, photographe new-yorkaise qui a entrepris un travail au long cours sur le réchauffement climatique dans le Grand Nord, les conséquences sont très concrètes pour les autochtones. Mais elles vont bien au-delà. En dégelant, le pergélisol rejette du carbone, alors qu’il le contenait jusqu’alors. Selon une étude du Permafrost Carbon Network parue en 2019 dans le magazine Science, basée sur l’observation d’une centaine de sites, le pergélisol arctique a absorbé en moyenne chaque année, entre 2003 et 2017, 1 milliard de tonnes de carbone. Et a rejeté dans le même temps plus de 1,6 milliard de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Une quantité telle que la végétation estivale de la toundra ne peut plus la capter. Le calcul est vite fait. Et le cercle vicieux de s’alimenter: le réchauffement induit davantage de réchauffement.

Un cellier de glace traditionnel inondé par la fonte du pergélisol.

Katie Orlinsky

Les scientifiques tirent également la sonnette d’alarme sur une autre menace. Le pergélisol, qui dévoile des trésors enfouis comme des carcasses de mammouths en Sibérie (voir L’illustré du 05.12.2018 ou l'article au paragraphe suivant), pourrait se mettre à relâcher des agents pathogènes et virus extrêmement dangereux, notamment par le biais des forages pour du pétrole ou des minerais précieux. D’autant que la fonte de la banquise permet d’atteindre par bateau des zones jusquelà inaccessibles.

A ceux qui pensent encore que les conséquences restent bien éloignées de nos latitudes, nous signalerons que le pergélisol alpin, que la Suisse a commencé à étudier en pionnière, par le biais notamment de PERMOS – premier réseau national d’étude de l’évolution du pergélisol au monde, fondé en 2000 –, n’échappe pas à un réchauffement soutenu. «Les températures élevées de l’air ont entraîné (au cours de 2000-2019) d’importants changements de l’état du pergélisol dans les Alpes suisses», alertait PERMOS l’été dernier. «Ces données sont essentielles pour la gestion des espaces de montagne en termes de dangers naturels, d’infrastructures et plus généralement d’utilisation du territoire», poursuit le rapport. En clair: cabanes et remontées mécaniques construites sur du terrain instable et autres chutes de pierres sont des effets auxquels il va falloir s’adapter chez nous.

Du nord au sud, des populations voient leur vie bousculée par la montée des eaux et des anomalies ponctuelles comme les cyclones. Tout au nord des Etats-Unis, les Inuits, tout au sud, la Floride. Dans la zone du Pacifique, des habitants ont également commencé à fuir la montée des eaux. L’année dernière, dans une décision à la portée essentiellement symbolique, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré illégal le refus de demande d’asile lié au réchauffement, prononcé par la Nouvelle-Zélande, d’un habitant des îles Kiribati. Les estimations dantesques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui évoquent 280 millions de déplacés d’ici à 2100, ne doivent pas faire voir le problème par le prisme fantasmé d’une migration menaçante. Tout d’abord parce que c’est avant tout à l’intérieur de leurs propres frontières que ces populations vont se déplacer. Mais aussi et surtout parce que ce serait nier que cette nouvelle réalité concerne l’humanité tout entière.

Par Albertine Bourget publié le 12 février 2021 - 11:45