Il y a vingt et un ans, Elisabeth Logean a été propulsée à la présentation des journaux TV du week-end de la TSR – la RTS d’alors – peut-être un peu trop jeune à son goût. Il n’empêche, avec l’expérience, la journaliste valaisanne a su prendre confiance en elle. Depuis, cette maman de trois grands ados ne s’est jamais laissé dicter sa carrière, osant saisir les belles occasions qui s’offraient à elle. Ce sera justement le cas dès l’année prochaine puisque, après deux ans et demi passés au poste de corédactrice en chef de l’actualité de la RTS avec Pierre-Olivier Volet, elle va reprendre – en alternance avec son collègue François Roulet – la présentation et la production de «Temps présent», le magazine présenté depuis près de vingt ans par Jean-Philippe Ceppi. «Je commençais à ressentir le besoin d’être de nouveau plus proche du terrain, ainsi que de la production d’une émission, comme j’ai pu le faire auparavant avec Mise au point ou Infrarouge. Alors je me suis lancée», confie-t-elle de bon matin, dans la quiétude ensoleillée de sa maison dans la campagne genevoise déjà désertée par son mari et ses plus jeunes enfants.
- Aux côtés du producteur Jérôme Porte, qui reste en place, vous allez reprendre la tête de «Temps présent» en collaboration avec François Roulet. Après la rédaction en chef de l’actualité, ce sera de nouveau un travail d’équipe. En 2023, une femme ne peut-elle pas tenir ce genre de poste seule?
- Elisabeth Logean: Je me suis beaucoup posé cette question lorsque j’ai postulé comme corédactrice en chef. Mais au fond, cela m’est égal que l’on puisse penser que j’ai besoin d’être accompagnée, car je sais que ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais eu l’ego de me dire: «Je vais être cheffe toute seule.» Je connais mes forces et mes limites, et surtout j’aime bien travailler ainsi! Je crois depuis toujours en la force du collectif, c’est comme ça que j’ai fonctionné avec David Rihs, notamment, pour les journaux du week-end, puis avec Esther Mamarbachi, Sébastien Faure ou Catherine Sommer.
- Pour vous, deux cerveaux valent mieux qu’un?
- Ils apportent deux regards, deux expériences et deux sensibilités, c’est important. Mais c’est aussi une discipline; il faut savoir accepter que son avis ne sera pas toujours suivi et ne pas partir dans tous les sens. Avoir aussi la vigilance de toujours consulter l’autre lorsque c’est important.
- En septembre 2021, vous êtes arrivée à la tête de l’actualité à un moment difficile après le départ de Darius Rochebin et les affaires de harcèlements qui ont fortement ébranlé la RTS. Quel bilan tirez-vous de votre passage?
- Quand on voit tout ce que l’on a dû reconstruire avec Pierre-Olivier Volet, il est très réjouissant. Nous avons reconstitué une équipe, remobilisé tout le monde et apaisé les choses. Etre deux a été une vraie force. J’ai beaucoup réfléchi à ce que devait être le management, et la codirection n’est pas la solution à tout. Mais c’est une forme de réponse pour une conduite un peu différente, qui se veut plus horizontale et plus orientée sur la consultation de ses équipes. Cela apprend à partager les tâches. Entre l’épidémie de covid, lorsque j’étais encore adjointe, et la guerre en Ukraine, cela aura été des années incroyablement intenses et riches pendant lesquelles un lien très fort s’est noué entre toute la rédaction. J’y suis très attachée et ce sera un petit deuil de la quitter, mais l’opportunité que représente «Temps présent» était beaucoup trop tentante.
>> Lire aussi: Jean-Philippe Ceppi: le commandant prend le large
- Vous appréhendez un peu?
- Oui, car c’est un gros défi, une émission prestigieuse, et il va falloir être à la hauteur. Mais je me réjouis aussi beaucoup. Je vais changer de rythme de travail et devoir penser différemment en prenant le temps d’approfondir l’actualité, plutôt que de réagir à chaud.
- Retrouver l’antenne, c’est retrouver le feu des critiques?
- Pas forcément, mais cela fait partie du travail; les gens ont le droit de ne pas nous aimer ou de nous juger. Si l’on n’est pas prêt à affronter ça, il ne faut pas faire ce métier-là. Pour ma part, je me suis passablement endurcie avec les années.
- En vingt-quatre ans passés à la RTS, a-t-il été difficile de vous imposer en tant que femme?
- Pour moi non, mais j’ai toujours eu à cœur d’augmenter la représentation féminine dans nos postes d’encadrement. Tout en faisant bien attention de ne pas tomber dans une guerre des genres. C’est une évidence qu’il devrait y avoir autant de femmes que d’hommes à ces postes-là; cela ne devrait même plus être une question. Mais il ne suffit pas de le constater: pour que les choses évoluent, il est nécessaire de s’engager. Si l’on veut avoir notre mot à dire, il faut s’imposer. Cela a été mon moteur pour postuler à la rédaction en chef à l’époque, ça l’est encore aujourd’hui.
- Vous avez aussi beaucoup poussé vos collègues féminines...
- Oui, notamment vers les premiers postes d’encadrement, ceux qui ont longtemps été occupés par des hommes parce qu’ils correspondent au moment où les femmes ont des enfants en bas âge. Pour changer cela, je les ai encouragées à s’engager tout en organisant le travail pour qu’elles puissent gérer leur vie de famille en parallèle. Il a fallu les pousser pour qu’elles outrepassent ce qui représente souvent une barrière psychologique. Sans ce passage par ces premiers postes, il est ensuite beaucoup plus difficile de régater avec des hommes qui sont entrés dans le système beaucoup plus vite. Mon conseil pour celles qui ont cette envie? Ne pas attendre et oser; oser être ambitieuses et oser demander des aménagements du temps de travail. Il faut aussi que les femmes arrêtent de se justifier et de culpabiliser quand elles doivent s’absenter. Qu’elles n’aient plus peur d’être jugées ou étiquetées comme la femme pas disponible.
- Reste-t-il du chemin à parcourir?
- Cela m’arrive encore – même si c’est de moins en moins – de participer à des séances où je suis l’unique femme. Mais heureusement les choses évoluent. Cela me réjouit de voir arriver une nouvelle génération de femmes plus décomplexées et plus sûres d’elles que nous au même âge. Elles sont aussi moins prêtes à faire des concessions. Je les vois bien être de très bonnes cheffes dans quelques années.
- Aimez-vous la femme et la journaliste que vous êtes devenue?
- Il y a des choses que je ferais peut-être différemment, mais je pense être restée fidèle à moi-même, en adéquation avec des valeurs comme la franchise et l’authenticité. Mais c’est une quête perpétuelle, un chemin qui ne s’arrête jamais.
- Quelle enfant étiez-vous?
- La petite dernière d’une fratrie de quatre, très déterminée et pas très sage à l’école. J’avais des facilités, mais j’étais indisciplinée et dotée d’un très fort caractère. J’ai souvent entendu ma mère me dire: «Mets donc de l’eau dans ton vin.» J’étais aussi une grande curieuse, intéressée par le fonctionnement du monde, avec l’envie de comprendre et d’aller voir les choses là où elles se passent. Je suis chanceuse d’avoir pu réaliser mon rêve de journalisme.
- Quels ont été vos modèles?
- J’étais assez vieux jeu, quand j’y pense, car je lisais Simone de Beauvoir et Françoise Giroud. Des inspirations assez féministes, mais d’une autre génération. J’admirais aussi Anne Sinclair et Christine Ockrent, des journalistes de caractère très professionnelles.
- Et aujourd’hui?
- J’aime les femmes qui osent, qui n’ont pas peur du jugement, qui ont du courage et de l’audace.
>> Lire aussi: Maïtena Biraben: «J’ai gagné et Bolloré a perdu!»
- «Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut», c’est la maxime de votre famille. L’avez-vous appliquée?
- Oui et non. Avec des grands-parents paysans à Hérémence (VS), un petit village à 1200 m d’altitude, et une maman qui a la main verte, je sens bien qu’il y a quelque chose d’assez terrien en moi. Je me suis donc essayée au potager, mais j’ai vite arrêté faute de temps. C’est beaucoup de boulot pour récolter deux tomates, un peu brunes en plus.
- Il vous reste la bibliothèque…
- Lire, c’est très important. J’ai d’ailleurs toujours un livre à portée de main, et deux ou trois en route.
- Avez-vous transmis le virus à vos enfants?
- J’ai essayé, notamment en leur lisant beaucoup d’histoires. Ça a marché un temps. C’est plus difficile avec l’adolescence, les écrans et les réseaux sociaux. Mais je ne désespère pas.
- Retournez-vous souvent en Valais?
- Régulièrement, oui, pour m’y ressourcer, y avoir des moments de respiration et voir ma famille, mes parents. Je trouve aussi important que mes enfants soient attachés à mes racines, qu’ils sachent d’où je viens. Mon fils s’est d’ailleurs épris de montagne. Il rêve d’être prof de ski.- Et quelles sont vos passions à vous?
- En dehors de mon travail et de ma famille, je n’ai pas le temps d’en avoir beaucoup. Mais j’aime aller me balader dans la nature, en forêt ou au bord de l’eau. Nager me fait aussi beaucoup de bien. Et puis j’aime passer du temps avec mes amis. C’est un cercle solide et fidèle, qui ne vient pas du tout du monde médiatique. Nous refaisons le monde autour de grandes tablées. Ma spécialité, c’est la soupe phô. Tout le monde l’adore, mais en même temps, je ne l’ai jamais fait goûter à un Vietnamien…
Un duo déjà complice
Entre ces deux-là, la connivence est immédiate et les idées fusent. Et pour cause, Elisabeth Logean et François Roulet ont déjà travaillé ensemble durant deux ans – entre 2017 et 2018 – au sein de la rédaction du magazine Mise au point. En janvier, ils reprendront «Temps présent» des mains de Jean-Philippe Ceppi et devraient commencer début mars à présenter ce magazine en alternance afin de pouvoir aussi retourner enquêter sur le terrain. «Cette association a été une évidence, car nous envisageons le monde, la vie et notre métier de la même façon, explique le journaliste de 41 ans, papa de deux garçons, grand amateur de folk, de soul et batteur à ses heures perdues. J’apprécie la spontanéité et le côté très cash d’Elisabeth, cela nous a tout de suite rapprochés, même si parfois on se frite.» Pour, eux, «Temps présent» est un objet du patrimoine, un joyau à préserver. «Ce regard romand sur la Suisse et le monde, nous avons envie de le cultiver, de le faire avancer et de le projeter dans l’avenir.»