Il y a un monde entre le dressing d’une femme et la garde-robe d’Elisabeth II. Celle-ci prend en compte non seulement son âge, sa silhouette, sa taille d’environ 1 m 60, ses goûts, sa fonction, le pays visité ou les saisons, mais aussi une palanquée de petits détails secrets qui font de la reine une figure de style hautement reconnaissable. Au fil de sa longue existence, la reine s’est essayée à différentes silhouettes, mais depuis environ deux décennies, lors de sorties officielles, elle s’en tient à un «dress code» dont l’une des règles primordiales est l’utilisation de la couleur en monochrome: robe, chapeau et manteau assortis.
On s’est habitué à la voir apparaître dans des teintes vibrionnantes: des roses barbe à papa, des jaunes citron, des rouges ardents, du vert fluorescent, du bleu cyan, telle un arc-en-ciel. Mais ce choix n’est pas dicté par une tocade. La raison? «La couleur est l’un des principaux critères de choix des tissus pour Sa Majesté, écrit Angela Kelly, l’assistante personnelle, la conseillère et la conservatrice de la souveraine.
Les couleurs vives permettent à la reine de se démarquer de la foule lors de ses engagements publics.» Elisabeth II a confié au journaliste Robert Hardman, auteur de sa biographie: «Je ne pourrai jamais porter de beige, car personne ne saura qui je suis.» Tout l’enjeu de sa garde-robe tient en cette règle: elle doit être reconnaissable parmi la foule et doit être vue d’aussi loin que possible.
Pour réaliser ses tenues, la souveraine peut compter sur ce qui s’apparente à une maison de couture privée peuplée d’une équipe aux mains d’or dont le royaume s’appelle le Dresser’s Floor («l’étage des habilleuses»). Celle qui décide de tout, en accord avec la reine, c’est Angela Kelly. Elle est entrée au service de Sa Majesté en 1994 comme l’une de ses habilleuses, avant de devenir le personnage clé et la gardienne des tenues royales. Elle est entourée d’une habilleuse adjointe, de l’assistante de celle-ci, de deux habilleuses assistantes, d’une assistante personnelle, de trois couturières et d’une modiste qui se charge de la réalisation des chapeaux.
Les vêtements de la reine, tout comme ses chapeaux, sont conçus en fonction des quatre saisons, les teintes et les matières évoluant selon les tons de la nature, de la lumière et de la capricieuse météo britannique. Le rebord de ses couvre-chefs ne doit être ni trop large ni trop petit, afin qu’elle puisse voir dans tous les sens et être vue sous tous les angles. Ses couvre-chefs sont maintenus grâce à une épingle à chapeau fabriquée sur mesure en métal précieux serti de diamants ou de pierres fines.
Avant d’acheter les tissus dans lesquels seront taillées les tenues de la reine, Angela Kelly les serre dans les mains et les tord. S’ils se froissent, ils n’iront jamais rejoindre le Dresser’s Floor: la reine doit être parfaite en toute circonstance et, lorsqu’elle sort d’une voiture, pas question que ses vêtements fassent des plis. Ni qu’ils s’envolent si une brise indiscrète choisit de s’engouffrer sous ses jupes. Afin d’éviter une situation royalement embarrassante, les couturières de la reine prennent soin de coudre des poids en plomb dans les ourlets.
La reine aime que ses vêtements soient ajustés mais pas trop serrés. Comme la plupart des événements auxquels elle doit assister se déroulent à l’extérieur, ses habilleuses préparent toujours un foulard assorti à sa tenue, pour remplacer un chapeau abîmé par la pluie, ainsi qu’un parapluie transparent, bordé de couleur, pour que l’on puisse continuer à voir la reine, malgré les averses britanniques.
Toutes les tenues sont dessinées, créées et brodées par l’atelier, à l’exception de la tenue qu’Elisabeth II portait lors de sa tournée au Canada en 2010. Comme elle devait rencontrer les indigènes de la commune des Micmacs, dont les femmes possèdent un savoir-faire en broderie hors pair, Angela Kelly a demandé au chef de la tribu si elles pouvaient orner de perles de verre blanches le col et les manches de la veste jaune que la souveraine devait porter pour cette visite officielle.
Toutes les chaussures de la reine, des mocassins signés Anello & Davide, sont fabriquées à la main. Ses sacs, signés Launer, sont eux aussi réalisés sur commande, avec une anse assez longue pour qu’Elisabeth II puisse les porter au creux du coude. Elle ne sort jamais sans l’une de ses nombreuses paires de gants en coton jersey qui lui permettent de serrer impunément de multiples mains.
On garde tout, au royaume de Sa Majesté: les tissus et les vêtements, qui sont réutilisés, ou modifiés, selon les occasions. Par exemple, la robe couleur or que la reine portait lors du concert donné pour son jubilé de diamant, en 2012, avait été taillée dans un tissu acheté en 1961! Les couturières du Dresser’s Floor pratiquent l’«upcyclage» depuis longtemps. La reine s’en tient à une ligne de conduite irréprochable quant à la conservation et au recyclage de ses vêtements. «La durée de vie d’une tenue peut atteindre environ vingt-cinq ans», note Angela Kelly. Après trois apparitions publiques, il arrive que la tenue soit modifiée ou reléguée aux usages privés de Sa Majesté. Il faut d’ailleurs se souvenir que la robe qu’elle portait à l’occasion de son mariage, le 20 novembre 1947, fut créée par Norman Hartnell en utilisant des coupons de rationnement de vêtements. Certes, la princesse avait reçu des coupons supplémentaires de la part du gouvernement, mais elle aurait pu faire autrement et profiter de son statut pour se lancer dans une dépense excessive, ce qu’elle a eu le bon goût de ne pas faire, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Lors des soirées, la reine arbore des robes longues richement ornées et renforcées à l’arrière pour éviter l’inconfort des broderies lorsqu’elle s’assied, mais ses vêtements préférés resteront toujours ses tenues d’équitation ou celles qu’elle porte lors de ses grandes balades dans la campagne: de bonnes chaussures de marche ou une paire de bottes, une jupe en tweed, une veste Barbour ou un imperméable et un foulard de soie, souvent signé Hermès, sur la tête. Loin de tout, dans son élément, elle peut arborer des couleurs neutres comme le marron, le beige, le taupe ou le kaki, car elle n’a nul besoin d’être vue.
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