«Chambre 210, au 16e étage. Chirurgie cardiaque», avait-il tenu à préciser. Agglutinée autour de son lit, toute la famille est là. Anna-Rita, la maman, Manuel, le papa, Melinda, la grande sœur, et Abigaël, son amoureuse, assise près de lui. Elégants, souriants, accueillants, ils entourent Dylan avec amour, comme ils le font depuis que son insuffisance cardiaque a été diagnostiquée, il y a sept ans et demi. De l’histoire ancienne, espèrent-ils. Demain, Dylan quittera d’ailleurs le CHUV où il a été héliporté en urgence depuis les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), septante jours plus tôt. Avec un cœur tout neuf, comme il dit, qui lui a déjà permis d’arpenter quatorze étages du bâtiment d’un coup et de se balader des heures autour de l’hôpital. Responsable de l’unité insuffisance cardiaque aux HUG, le Dr Philippe Meyer est là lui aussi. Comme un symbole des liens étroits qui unissent les deux hôpitaux. C’est lui qui a reçu Dylan Mora la première fois dans son cabinet, qui a tenté de stopper l’altération de son état de santé.
En liste superurgente
Tout est parti d’une banale blessure au genou héritée d’un match de tennis. Un épanchement de sang un peu louche, un malaise surtout qui incitent la Faculté à investiguer. «Après de longues recherches, nous avons constaté que son cœur se dilatait et s’affaiblissait. Comme une batterie qui se déchargerait. Au début, nous n’étions pas trop inquiets. Le traitement portait ses fruits. Dylan avait repris une vie quasi normale», se remémore le médecin genevois. Un sursis. Car les événements vont se précipiter. A la suite d’un gros malaise, on lui pose un défibrillateur interne. En vain. Le jeune homme peine de plus en plus à respirer, dort pratiquement jour et nuit. On le place sur la liste d’attente pour une greffe du cœur puis sur la liste superurgente lors de son arrivée au CHUV.
Course contre la mort
Commence alors une course contre la montre, contre la mort. «En dernier recours, si un cœur ne lui avait pas été attribué dans les délais, nous aurions pu prolonger l’attente avec un cœur artificiel. Un an environ. Mais cette option n’est pas exempte de risques et complique la future greffe à cet âge-là», détaille René Prêtre, chef du service de chirurgie cardiovasculaire et star incontestée de la discipline. Grâce à son statut prioritaire de superurgence, Dylan n’attendra «que» quarante-six jours, contre plus de trois cents habituellement. Un mois et demi au cours duquel il va néanmoins passer par tous les états d’âme, confesse-t-il. «Au début, j’imaginais que cela arriverait très vite. Mais plus le temps passait, plus le désespoir me guettait. Et quand je rêvais qu’un donneur s’annonçait, que je pensais à sa famille, j’étais au fond du bac, tenaillé par une sorte de mauvaise conscience. Même si ma survie en dépendait, je n’arrivais pas à me réjouir.»
Torture psychologique
«Espérer que quelqu’un meure pour que ton fils puisse vivre. C’est une pensée qui t’écartèle jour et nuit», confirme Manuel, confiant avoir très mal vécu cette période. Une torture psychologique qui pourrait, selon lui, être en partie évitée en adaptant notre législation en matière de don d’organes. «Contrairement aux pays qui nous entourent, où s’applique le régime du consentement présumé, la Suisse impose le consentement explicite. En Espagne, en Allemagne, en France, il faut que la personne décédée possède sur elle une carte s’opposant au prélèvement de ses organes pour que la Faculté s’interdise d’agir.» «Chez nous, sans l’aval de la personne ou de ses proches, impossible de prélever quoi que ce soit, regrette en effet Roger Hullin, professeur associé au service de cardiologie de l’établissement vaudois. Le seul moyen d’optimiser le système est de porter sa carte sur soi et d’informer au moins un proche de sa décision. A défaut, nous constatons que les familles, déjà plongées dans la détresse à cause du décès, refusent en grande majorité le prélèvement.» «Passer d’un régime à l’autre relève de la volonté politique. Nous nous battons en vain dans ce sens depuis des années», déplore René Prêtre, en ajoutant une deuxième raison, plus surprenante, expliquant à ses yeux le manque cruel d’organes dans notre pays: la qualité de notre système de santé. «Cela peut paraître paradoxal mais, grâce notamment à notre niveau de vie et à la médecine préventive, le taux de mortalité diminue et l’âge moyen des décès recule. Si cette situation est très réjouissante pour la population, elle pénalise le don d’organes», analyse le Suisse de l’année 2009.
Lui-même donneur
C’est en tout cas grâce à cet esprit altruiste, que les médecins et Swisstransplant appellent de leurs vœux, que Dylan, opéré par René Prêtre et sa formidable équipe qu’il n’a pas cessé de louer, a désormais une nouvelle vie devant lui. Au terme des quinze biopsies qui devront attester que tout risque de rejet est écarté, le jeune assistant en soins et santé communautaire deviendra même à son tour porteur de la fameuse carte puisque plus rien ne s’opposera à ce que son cœur batte dans une troisième poitrine au cas où le malheur le frapperait. «C’est arrivé une seule fois dans notre pays», se souvient René Prêtre. Il n’en est pas encore là, bien qu’il ait déjà recouvré une bonne partie de ses facultés physiques et psychiques. «Pendant ma maladie, je pensais que je ne pourrais jamais accepter le cœur d’un autre. Cette hypothèse allait à l’encontre de mes convictions. Face à une sorte de compte à rebours, j’ai fini par accepter ce cadeau et, maintenant, je suis très fier de le porter en moi. Je me dis que quelqu’un m’a offert son cœur et moi, je lui ai offert mon corps pour lui permettre de battre. Et je vous garantis que je ferai tout ce que je peux pour lui donner la chance de vivre le plus longtemps possible», nous confie Dylan, soudain submergé par l’émotion. «Et puis, il y a un autre avantage, se reprend-il, souriant. Désormais, grâce à la générosité d’un inconnu, je peux fêter chaque année un deuxième anniversaire. Celui de ma renaissance…»
Afin de ne pas donner à la famille du donneur la possibilité de procéder par recoupements pour identifier le receveur, l’utilisation de dates n’est pas autorisée. En Suisse, tout se passe de manière anonyme en matière de transplantation. Les deux parties peuvent certes entrer en contact l’une avec l’autre, mais uniquement par l’intermédiaire de Swisstransplant, la Fondation nationale suisse pour le don et la transplantation d’organes. Par lettre anonyme et après une période bien définie. Une occasion que Dylan compte saisir bientôt.