«Je n’en peux plus, je suis épuisé!» Nous avons tous, un jour ou l’autre, eu cette sensation. Après un effort physique intense, une journée de travail éreintante, une nuit blanche, on ne désire qu’une chose, se reposer. Rien de plus normal que cela. Il en va tout autrement quand on se sent fourbu, sans cause apparente, quand le moindre effort nous met à plat.
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«Quand il existe un décalage entre une tâche ou une activité donnée et l’effort qu’il faut déployer pour l’accomplir, la fatigue est considérée comme anormale. Elle se manifeste alors par une sensation d’éreintement accompagnée d’une perte d’énergie et d’élan vital», explique le Pr Gérard Waeber, chef du département de médecine du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), dans le livre J’ai envie de comprendre. La fatigue, qui vient d’être publié aux Editions Planète Santé. Il faut alors s’en préoccuper, car cette fatigue dite aussi «non physiologique» peut cacher une maladie sous-jacente. Même si celle-ci est rarement grave, elle nécessite d’être diagnostiquée et prise en charge.
1. Des nuits perturbées
Quand on manque de sommeil, on en ressent les effets le lendemain. Cela peut être parce que l’on a trop veillé pour travailler ou faire la fête, ou encore lorsque, après un voyage au long cours, on souffre de jet-lag. Mais cela peut venir aussi du fait que l’on a des difficultés à s’endormir, que l’on se réveille durant la nuit ou trop tôt le matin sans pouvoir replonger dans les bras de Morphée. C’est l’insomnie. Ce trouble «affecte plus souvent les femmes que les hommes», selon le Pr Raphaël Heinzer, directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Et il est fréquent: d’après l’étude HypnoLaus (qui s’intéresse au sommeil, troublé ou non, des Lausannois), un tiers de la population suisse s’en plaint.
L’insomnie n’est pas à proprement parler un trouble du sommeil, «mais plutôt une manifestation d’un état d’«hyper-éveil» qui empêche de dormir correctement», selon le spécialiste du sommeil. Avec pour conséquence de provoquer de la fatigue.
On a aussi beaucoup de mal à s’endormir lorsque, dès que l’on est couché, on ressent dans les jambes – et parfois dans les bras – des sensations désagréables qui obligent à se relever pour bouger les membres. Ou encore quand, pendant le sommeil, les membres sont agités de mouvements incontrôlés. Ce «syndrome des jambes sans repos» engendre lui aussi une grosse fatigue.
On peut également dormir de longues heures, avoir son content de sommeil, et pourtant se retrouver épuisé pendant la journée. C’est ce qui arrive lorsqu’on souffre d’hypersomnie idiopatique, un besoin excessif de sommeil. Ou encore lorsqu’on a des apnées du sommeil, qui se manifestent, pendant la nuit, par de multiples arrêts brusques de la respiration dont on n’a généralement pas conscience, mais qui provoquent autant de micro-réveils.
2. L’inflammation laisse sur le tapis
Le processus inflammatoire est utile, puisqu’il se manifeste lorsque notre système immunitaire entre en lutte contre une bactérie ou un virus. Notre système de défense sécrète alors des «médiateurs de l’inflammation», en particulier diverses cytokines. Il en résulte pour nous «un état similaire à celui de la grippe: de la fièvre, parfois des douleurs et toujours de la fatigue», précise le Dr Michel Obeid, médecin adjoint au service d’immunologie du CHUV.
C’est pour cette raison que les infections mettent à plat – «car, contrairement à une idée très répandue, c’est la maladie elle-même qui fatigue et non les antibiotiques», souligne la Dre Noémie Boillat-Blanco, médecin adjointe au service des maladies infectieuses du CHUV. Une fois l’infection guérie et l’organisme débarrassé de l’agent pathogène, la fatigue disparaît. Il arrive toutefois qu’elle persiste, dans le cas d’une mononucléose par exemple, et même qu’elle devienne chronique dans le cas d’infections – elles aussi chroniques – comme les hépatites B et C, la tuberculose et celles dues au VIH.
Le système immunitaire, accompagné de son cortège de messagers de l’inflammation, intervient aussi pour combattre les cellules cancéreuses. C’est ce qui explique que, quand on souffre d’un cancer, on est éreinté, du fait de la maladie elle-même, mais aussi par la plupart de ses traitements. Au point que, d’après les enquêtes, la plainte la plus fréquemment avancée par les patients est la fatigue, quelle que soit la nature de la tumeur.
D’une manière générale, l’éreintement est le lot de tous ceux qui souffrent de pathologies s’accompagnant d’une inflammation, ce qui est le cas de certaines maladies rhumatismales, notamment la polyarthrite rhumatoïde ou la fibromyalgie. Ce syndrome est reconnu comme maladie rhumatismale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1992, ce qui n’empêche pas son existence d’être encore controversée. Il affecte les tissus mous qui entourent les articulations, provoquant des douleurs dans diverses parties du corps. Dans la quasi-totalité des cas, la fatigue est associée à des troubles du sommeil profond qui renforcent encore la sensation d’épuisement. «Les personnes affectées ont souvent l’impression d’avoir une grippe qui n’en finit pas, ce qui peut devenir handicapant», constate le Dr Iohn Michael Norberg, médecin-chef au Centre médical de Lavey-les-Bains.
3. Nombreuses maladies concernées
La fatigue est associée à de multiples maladies. Qu’il s’agisse d’affections pulmonaires – lorsqu’on a du mal à respirer, le moindre effort essouffle et éreinte – ou neurologiques car, «quand certains de ses neurones sont détruits, le cerveau doit compenser et fonctionner en surrégime pour effectuer ses diverses tâches», explique le Pr Renaud Du Pasquier, chef du service de neurologie du CHUV.
Elle est même le symptôme prédominant en cas de carence en fer, accompagnée ou non d’anémie, ou de déficit en hormones thyroïdiennes, une hypothyroïdie. D’après les estimations, cette affection «toucherait entre 1 et 5% de la population, particulièrement les femmes, qui sont cinq à dix fois plus affectées que les hommes», selon Gérard Waeber.
Elle est aussi au centre du syndrome de fatigue chronique qui se caractérise par le fait que le moindre geste demande un effort colossal qui épuise complètement. Ce mal encore mystérieux et dont l’existence fait débat toucherait environ 1% de la population suisse, principalement des adolescents et des adultes entre 30 et 40 ans, dont il perturbe la vie.
4. Troubles psychiatriques et addictions
Les désordres physiologiques ne sont pas les seuls à mettre à plat. Certains troubles psychiatriques ont le même effet. Dépression et fatigue vont ainsi souvent de pair et «elles «s’alimentent» même l’une l’autre. Un épuisement persistant est en effet propice à la détresse psychologique, laquelle peut conduire à la dépression», remarque le Pr Friedrich Stiefel, chef du service de psychiatrie de liaison du CHUV. Présentant des similitudes avec la dépression, le burn-out, ou épuisement professionnel, tout comme l’anxiété donnent aussi la sensation d’être flapi.
Quant aux addictions, quelles qu’elles soient, elles sont susceptibles d’entraîner de la fatigue. Celle-ci peut venir de la substance consommée et/ou de la conduite addictive, mais aussi de l’énergie dépensée pour se procurer de l’alcool ou de la drogue ou pour récupérer sa mise aux jeux d’argent.
«Il ne faut donc pas banaliser la fatigue anormale», conclut Gérard Waeber. Quand l’épuisement persiste sans raison apparente ou qu’il s’accompagne d’autres symptômes – des troubles du sommeil ou de l’humeur à la perte d’élan vital, en passant par le manque d’appétit, des douleurs, des problèmes digestifs, etc. –, mieux vaut demander un avis médical.