C'est l’un de ces buzz qui font le charme des réseaux sociaux. Le 20 janvier dernier, la chanteuse Dolly Parton publiait des photos de profil différentes pour chacune des quatre plateformes les plus populaires (voir photo ci-contre). Pour Facebook, elle a choisi un portrait avec pull de Noël en laine; sur LinkedIn, une pose en maîtresse d’école; sur Instagram, elle la joue en jean moulant et, sur Tinder, en Bunny sexy comme elle avait posé en couverture du magazine Playboy. Seul commentaire accompagnant les images: «Get you a woman who can do it all.» En français: «Trouvez-vous une femme qui peut tout faire.» En quelques jours, son post déclenche un «Dolly Parton Challenge», auquel Miley Cyrus, Will Smith, Jennifer Garner et des dizaines d’autres stars ont déjà participé.
A 74 ans, la plus petite des grandes chanteuses réussit encore une fois à attirer tous les regards sur elle, en prime ceux d’une nouvelle génération, fascinée comme les autres par ses invraisemblables looks.
Mais peu importe le costume, les hauts talons, les ongles écarlates et les perruques tarte à la crème, Dolly Parton ne joue en réalité qu’un seul personnage: elle-même. Certains la jugent un rien vulgaire? «Mais pour moi, c’est simplement naturel. J’ai toujours voulu être sexy, avant même de savoir ce que le mot voulait dire. J’ai toujours utilisé ma féminité comme une arme.»
Avec une fortune estimée à plus de 500 millions de dollars, une discographie de 41 albums, des propriétés incluant un parc à thème, des restaurants, des cafés-théâtres et de nombreuses œuvres de bienfaisance, la chanteuse Dolly Parton incarne à la perfection la réalisation du rêve américain.
Comme dans un roman de John Steinbeck, Dolly Rebecca Parton est née le 19 janvier 1946, dans la pièce unique d’une cabane en bois accrochée aux flancs des Great Smoky Mountains, dans l’est du Tennessee. Quatrième enfant d’une famille qui en comptera douze, elle grandit à Locust Ridge, dans une modeste ferme, où son père cultive du tabac.
Dans les années 1970, Dolly Parton écrira quelques-unes de ses plus belles chansons décrivant son enfance heureuse, «My Tennessee Mountain Home», et un peu misérable quand elle se souvient de son «Coat of Many Colors», le manteau que sa mère lui avait cousu à partir de tissus rapiécés et dont ses camarades d’école se moquaient.
Même quand la grêle ravage la récolte ou qu’il faut se nourrir de marmottes pour survivre, on chante dans la famille Parton. Des chants d’autrefois et à l’église, où le grand-père maternel, un prédicateur pentecôtiste, accueille avec reconnaissance les premières prestations de Dolly.
Pour son 8e anniversaire, son oncle lui a offert une guitare sur laquelle elle a aussitôt composé sa première chanson. Avec sa voix haut perchée, son sourire craquant et son extraordinaire vitalité, la fillette, à 10 ans, s’est déjà fait remarquer sur plusieurs radios locales. Et sitôt que l’adolescente entrevoit ce monde du succès et du glamour, elle échafaude les plans qui lui permettront de l’atteindre.
En 1964, à 18 ans, le lendemain de la remise de son diplôme d’études secondaires, Dolly Parton grimpe dans un bus Greyhound et s’en va à la conquête de Nashville, la capitale de la country music.
Comme dans un film, la première chose qu’elle fait en arrivant en ville, c’est sa lessive. Et c’est dans une laverie qu’elle rencontre Carl Dean, entrepreneur en génie civil, qu’elle épouse en 1966. Son homme est de nature discrète, très rarement vu à ses côtés, à tel point qu’un journaliste osera lui demander un jour si ce mari existe vraiment. En riant, elle a répondu que la réserve et le côté casanier de Carl faisaient un bon équilibre avec son hyperactivité et son côté gitan. Elle a aussi expliqué combien ils aimaient passer un week-end tranquille à la maison, pour une soirée télé par exemple. «Mon film préféré, c’est "Le docteur Jivago". J’aurais beaucoup aimé aussi jouer dans "Autant en emporte le vent".» Ou alors ils partent, «sans perruque ni maquillage», pour une petite virée en camping-car.
A l’inverse de ses extravagances vestimentaires, Dolly a toujours revendiqué des goûts simples. «J’aime la cuisine indienne, italienne, mexicaine. Et pour un souper romantique, un bon restaurant français.» Mais dans tous ses frigos se trouve toujours en bonne place du fromage fondu Velveeta, son péché mignon. «Mes faiblesses ont toujours été la nourriture et les hommes, dans cet ordre-là.»
Celle que son mari compare à un coton-tige a pris du poids et tenté de s’en débarrasser par toutes sortes de régimes. «J’ai fait de la chirurgie esthétique, surtout après que j’ai perdu du poids. Mes seins ont été relevés mais pas d’injection, cela me terroriserait. Les gens font des blagues sur mes seins, il est évident qu’ils sont gros, mais pourquoi ne pas regarder, sous les seins, le cœur?» A ceux qui la jugent toujours tellement heureuse, elle répond en souriant: «C’est le botox!»
Mais Dolly a déprimé aussi. Notamment après avoir appris qu’ils ne pourraient pas avoir d’enfants. «Aujourd’hui, je ne le regrette pas et mon mari non plus. Il est comme mon enfant unique et je suis sa fille unique!» Pour être sûrs qu’ils ne rêvaient pas, Carl et Dolly ont renouvelé en 2016 la promesse qu’ils s’étaient faite cinquante ans plus tôt à leur mariage.
Durant cette période, la chanteuse a accompli son extraordinaire ascension dans le show-business. A Nashville, Dolly Parton avait rapidement décroché ses premiers succès dans l’émission de télévision de Porter Wagoner, un chanteur qui faisait à ses côtés éclore quelques ravissantes oies blanches.
Quand la basse-cour se révéla trop petite pour leurs deux ego, Dolly reprit sa liberté en lui dédiant l’une des plus tristes de toutes les chansons d’amour, «I Will Always Love You». Un petit chef-d’œuvre dont Whitney Houston fera un tube mémorable. «Porter ressemblait beaucoup à mon père, à mes frères et aux hommes avec lesquels j’avais grandi. C’étaient des machos qui considéraient que la place d’une femme était à l’endroit où vous lui aviez dit d’être. Mais moi, j’ai toujours pensé que j’avais mon propre talent.»
Elle a 21 ans quand paraît son premier disque solo: «Hello I’m Dolly». Avec, sur «Dumb Blonde» (l’une des rares chansons qu’elle n’a pas écrite mais qui lui va comme un jean), cette affirmation chantée en refrain: «Simplement parce que je suis blonde, ne crois pas que je suis stupide.» Au sujet des ravissantes idiotes, Dolly Parton lâchera encore cette joyeuse formule: «Je n’ai jamais été offensée par les blagues sur les blondes parce que je sais que je ne suis pas stupide et parce que je sais aussi que je ne suis pas blonde!»
Avec son franc-parler, son humour, son grand cœur, son assiduité à écrire, chaque jour, partout, Dolly Parton a développé un talent que ses perruques masquent parfois: celui d’écrire des chansons. Elle en a signé plus de 3000, une performance qui lui a valu la récompense suprême dans la plus prestigieuse catégorie des halls of fame, celle des songwriters, comme Duke Ellington ou Bob Dylan.
En 1968, «Just Because I’m a Woman», la chanson titre de son deuxième album, raconte l’histoire d’une fille à laquelle son gars reproche ses relations précédentes. Et elle lui répond: «Mes erreurs ne sont pas pires que les tiennes / Juste parce que je suis une femme.» Dolly racontera plus tard que cette chanson était une réponse à son mari qui avait très mal pris le fait d’apprendre qu’il n’était pas le premier.
Sur le même disque, elle chante «The Bridge», la ballade de deux jeunes qui se rencontrent sur un pont et qui vont s’aimer dans le pré voisin. Et puis le ventre de la fille qui s’arrondit et puis le garçon qui est parti. La malheureuse revient sur le pont, seule, trop seule. Les images défilent comme dans un film et la manière légère de chanter cette histoire qui s’achève au milieu d’une strophe ajoute à la tragédie en train de se jouer. C’est aussi simple que bouleversant. Comme l’histoire de «Gypsy, Joe and Me», que l’on découvre en train de faire du stop. Gypsy, c’est leur chien, qui meurt écrasé par un chauffard, et Joe, son copain, transi de froid, qui s’éteint entre ses bras…
Le monde de la country est définitivement trop petit pour celle qui se lève tous les matins avec l’ambition de battre ses propres records. Alors elle quitte Nashville pour Los Angeles, où elle va mettre un peu (trop) de variété rock dans sa musique.
Au milieu des années 1990, quand les radios cessent de passer ses disques, Dolly Parton enregistre à la suite trois albums de bluegrass, parmi les meilleurs de sa carrière. Comme si cette musique traditionnelle tout droit descendue des montagnes de son enfance lui avait donné une nouvelle jeunesse, quelques Grammy Awards de plus et une foule de nouveaux fans. Parmi les plus fidèles, Patti Smith ou les White Stripes, qui ont repris ses chansons, mais aussi des artistes aussi différents que Cat Stevens ou Kris Kristofferson, Norah Jones ou Keith Urban, avec lesquels elle a chanté en duo. Et puis bien sûr Linda Ronstadt et Emmylou Harris, deux country queens avec lesquelles elle enregistrera deux disques de merveilleux trios.
Pour conclure cette histoire loin d’être achevée, la parole à Jane Fonda, qui lui avait donné son premier rôle au cinéma: «A mesure que vous connaissez une personne qui vous épate, le mystère tend à se dissiper. L’une des choses qui me stupéfie à propos de Dolly, c’est la quantité de mystère qui l’entoure toujours.»