«A l’âge de 17 ans, je me retrouve au cœur du parc national du Mercantour, dans le sud de la France. J’y rencontre un luthier spécialisé dans la fabrication de violoncelles baroques, bien différente de celle des instruments modernes. Je découvre un artisan qui travaille de façon très naturelle. Il crée lui-même ses vernis, ses archets et même ses cordes, fabriquées à partir de boyaux de moutons de la région.
J’adore passer du temps dans cette vieille bergerie où il vit avec femme et enfant et où il faut chauffer sa chambre au poêle à bois. Le soir, on se retrouve dans la pièce commune pour regarder des films de Tarkovski projetés sur les murs. La liste d’attente est longue, il faut patienter cinq ans au moins pour obtenir un instrument. Mais j’ai la chance d’être envoyée par mon professeur avec un passe-droit.
Ce violoncelle m’accompagnera durant mes treize années de formation, à Paris, à Barcelone et à Genève. Ce sont des années intenses, trop intenses. Master en poche, j’arrive à saturation. Alors que j’adorais la musique baroque, j’ai besoin de m’ouvrir de nouveaux horizons. Je range mon violoncelle baroque sur une armoire et renoue avec mon premier instrument, un violoncelle un peu ingrat mais que j’aime beaucoup. Un jour, un ami qui me rend visite se désole de voir le baroque prendre la poussière. Quinze années se sont écoulées. Une idée me poursuit, mais il me semble inimaginable que mon luthier, si puriste, accepte de transformer cet instrument en violoncelle moderne. Je me dis que je dois le faire picoler, j’ai le trac.
L’occasion se présente alors que mon ancien professeur donne un concert chez cet artisan, désormais installé dans la Drôme. Ce soir-là, l’ambiance est très joyeuse, on rit, on fête les retrouvailles. Je finis par oser lui parler de la transformation de mon violoncelle. Il me répond avec une évidence déconcertante: «Bien sûr!» Je me sens tellement émue.
Au moment de venir récupérer l’instrument pour l’emmener dans sa lutherie, on discute beaucoup. De notre rencontre il y a quinze ans. Du Mercantour. De la présence du loup qui hantait alors tous les esprits. De mon évolution musicale. De mes longues marches en montagne avec mon violoncelle. Mon luthier me propose d’appeler cet instrument «le loup» et d’y apposer un motif à la feuille d’or. Il s’obstine aussi à trouver des solutions pour alléger l’instrument, afin que je puisse atteindre plus facilement les cimes et des endroits insolites pour jouer ma musique.
Bien sûr, me séparer de mon violoncelle actuel sera lourd d’émotion, mais j’ai hâte de découvrir le son de ce nouvel instrument. Les premiers essais sont prévus cet été. Ce changement marquera une étape symbolique dans ma vie de musicienne. Ce violoncelle n’a que 20 ans, il est tout jeune et nous avons de belles histoires à vivre ensemble.»
Son nouvel album solo
Dans «Bivouac», Sara Oswald convie de nombreux artistes, dont Julian Sartorius, Franz Treichler et Patrice Moret. A découvrir les 30 septembre et 1er octobre à l’Echandole, à Yverdon-les-Bains, et le 7 octobre à la Ferme des Tilleuls, à Renens.