Le roi du football est de nouveau à la diète. Il a déjà essayé de nombreux régimes, il s’est soumis à une liposuccion et a subi à deux reprises une opération pour réduire le volume de son estomac. Quand il jouait, il mesurait 165 centimètres et pesait 67 kilos. Depuis la fin de sa carrière, il lui est arrivé d’accuser deux fois plus.
Lors de sa dernière intervention publique, il y a deux ou trois mois, «Dieguito» est apparu rond comme une bille, avec un double menton. Il transpirait et soufflait bruyamment après quelques pas. En outre, ses genoux et ses hanches le font terriblement souffrir. Enfin, il continue de fumer des cigarettes à la chaîne et s’octroie volontiers un verre ou deux d’alcool fort.
Le tableau n’est pas si uniformément sombre. L’avocat Matías Morla et le médecin Leopoldo Luque, des intimes de longue date, ont enjoint à leur client et ami d’adopter un mode de vie plus sain. Maradona semble aller mieux depuis quelques semaines. Il a perdu du poids. Il semblait vouloir fêter son soixantième anniversaire dans sa forme de naguère.
Un appétit insatiable peut être le lot des dieux, à tout le moins des dieux du football. Cependant, Maradona a aussi soif de l’amour qu’il reçoit de la vaste communauté de ses admirateurs à travers le globe. Il est né tout en bas et s’est élevé jusqu’au ciel, avant de reprendre le chemin inverse. Néanmoins, pendant de longues années, il a vécu dans l’Olympe du sport.
Diego Maradona est considéré comme le meilleur footballeur du monde, selon une enquête de la FIFA datant de 2000. Il a toujours voulu jouer au football, dès son enfance à Villa Fiorito. «Il m’est égal de jouer devant 10 ou 10 000 spectateurs, a-t-il un jour déclaré. Je souhaitais uniquement jouer au football et je n’étais jamais aussi heureux que sur le terrain.»
Là, Diego était magique. Aucun autre joueur n’est parvenu à se hisser à son niveau, pas même le Brésilien Pelé. Messi, Cristiano Ronaldo, Di Stefano, Eusebio, Cruyff, Charlton sont de grands footballeurs, mais aucun ne possède le charisme de Maradona. Que l’incarnation la plus forte du numéro 10 soit personnifiée par le moins honnête de tous les joueurs – il suffit de se souvenir du but marqué de la main contre l’Angleterre lors du Mondial 1986, immortalisé sous le nom de «main de Dieu» – en dit long à son sujet.
Il a revêtu les habits d’un sauveur divin au cours des sept années, de 1984 à 1991, où il a sorti Naples de son marasme. Il a permis à la ville italienne de remporter deux titres de champion et de gagner la Coupe de l’UEFA. Sa technique, son amour du jeu et son génie stratégique ont grisé l’Italie du Sud puis la planète entière. Quand il conduit en 1986 l’Argentine au titre de championne du monde, son statut de saint est reconnu.
Le prix à payer pour cette ascension extraordinaire s’est révélé faramineux. Depuis la fin de sa carrière, en 1997, avec Boca Juniors, il a connu une longue descente aux enfers. Il y a environ six mois, le journaliste Sergio Levinsky a réalisé pour le site Infobae la dernière interview avec Maradona. Depuis lors, il se tait. C’est sans doute préférable. En effet, les récents entretiens qu’il a accordés l’ont fait apparaître sous un jour pitoyable, bégayant devant le micro. Pour l’heure, Maradona se concentre sur ses activités d’entraîneur, avec Gimnasia y Esgrima La Plata (première division argentine). Il vit seul, près du terrain d’entraînement, dans une maison qu’il quitte rarement, car il aurait une peur panique du coronavirus. Après deux infarctus et une ancienne addiction aux drogues, il est particulièrement vulnérable.
Maradona se sent à l’aise à La Plata, au sud de Buenos Aires. Ici, on est à moins de 60 kilomètres des décharges de Villa Fiorito, où il a grandi dans une petite maison avec ses sept frères et sœurs, leur père Diego Senior, ouvrier, et leur mère Dalma, femme au foyer. Maradona y est rarement retourné. Son père est mort en 2015, sa mère quatre ans plus tôt. Il a épousé Claudia Villafañe, son amour de jeunesse, qui vient aussi de ce faubourg déshérité. Le couple s’est marié en 1989 et a eu deux filles, Dalma et Giannina. Divorcés en 2004, Diego et Claudia sont restés longtemps amis. Elle lui a apporté son appui à Naples alors que sa dépendance à la cocaïne n’était plus un secret. Dalma et Giannina, qui a vécu pendant cinq ans avec Sergio Agüero, qui joue à Manchester City, idolâtrent leur père. «Je ne veux être dérangé par personne quand je suis avec mes filles», dit-il. Une touriste en a fait l’amère expérience en Polynésie, en 2006. Maradona a lancé un verre au-dessus de la tête de l’admiratrice insistante.
Aujourd’hui, il est à couteaux tirés avec son ex-femme et ses filles. Il accuse Claudia d’enrichissement illicite pendant leur mariage. Il s’irrite que Dalma et Giannina aient pris parti pour leur mère. Le fossé entre les deux clans ne cesse de se creuser. Dans quelques semaines, Amazon Prime diffusera la minisérie Sueño Bendito. Consacrée à la vie du footballeur, elle se présente comme une nouvelle tentative de cerner la personnalité complexe de Maradona.
A chacun sa vérité à propos de Maradona. L’auteur de cet article, qui vit en Colombie, a rencontré le footballeur en 2001, en Argentine. Il espérait réaliser une interview exclusive de Maradona pour le FIFA Magazine tout en sachant qu’«El Pibe de Oro» connaissait de graves problèmes de santé, qu’il était en guerre avec le président de la FIFA, Sepp Blatter, et qu’il exigeait jusqu’à 20 000 dollars pour le moindre entretien avec les médias. Il se souvient: «J’ai contacté mon chef d’alors, Guillermo Coppola, condamné depuis pour fraude fiscale et trafic de drogue. Après des allers-retours qui se sont étendus sur des mois, l’interview a été repoussée une demi-douzaine de fois. J’avais renoncé quand mon téléphone a sonné la veille de la finale. L’appel provenait de Coppola: «Je te rejoins dans une demi-heure avec Diego et vous faites l’interview.»
Sepp Blatter a mis à disposition sa suite du Sheraton pour ma rencontre avec «El Pibe de Oro». Il a reçu ce surnom à 9 ans après être resté invaincu pendant 136 matchs avec les Cebollitas, les juniors argentins. Les trente minutes d’attente ont duré trois heures. Une fois arrivé dans la suite de Blatter, Maradona s’est dirigé vers le bureau, il a arraché quelques pages d’un bloc-notes et les a froissées en une pelote. Il a joué avec cette boule de papier. Il la passait d’un pied à l’autre, à gauche, à droite, et ainsi de suite. La boule n’est jamais tombée au sol, je n’en croyais pas mes yeux. Ensuite, Maradona et moi avons parlé de Dieu et du monde. Il était ouvert, sincère, plein d’humour. Il a évoqué sa dépendance à la cocaïne, il éprouvait des regrets, demandait à sa famille et à ses fans de lui pardonner.
Maradona n’avait pas bonne mine. Il paraissait bouffi et suait alors qu’il faisait plutôt frais. Au cours d’une conversation d’une heure et demie, il a bu au moins quatre verres de whisky-coca. Vers la fin de l’interview, Maradona m’a soudainement demandé: «Andreas, tu joues au football?» J’ai acquiescé. «Peux-tu trouver un ballon? Faisons quelques passes ici en bas!»
A côté du Sheraton, il y avait plusieurs petits terrains. Son médecin, Alfredo Cahe, a imploré Maradona de renoncer à cette lubie. «Diego, s’il te plaît, pense à ton cœur. Mécontent, Maradona a fini par se laisser convaincre. Quelques minutes plus tard, nous avons mis fin à l’interview. J’ai sollicité un autographe pour mon fils. Dans l’ascenseur qui nous ramenait au lobby de l’hôtel, il m’a demandé ce que j’avais l’intention de faire avec son autographe. Connaissant son antipathie pour Pelé, j’ai répondu: «Je le suspendrai dans la chambre de mon fils, au-dessous de l’autographe de Pelé, le plus grand footballeur.» Maradona s’est tourné vers mon chef, Guillermo Coppola, et lui a dit: «Je te jure qu’un jour je tuerai ce Suisse», déclaration saluée par des rires. Des semaines après mon article, Coppola m’a rappelé. Diego voulait me parler. Il lui a tendu le téléphone et la voix caractéristique de Maradona a retenti. Il avait beaucoup apprécié l’interview et avait reçu de nombreuses réactions positives. «En guise de remerciement, je t’invite à assister à mon match officiel d’adieu.»
La partie s’est tenue plus tard à Buenos Aires, sans moi. Maradona avait une fois de plus vilipendé Sepp Blatter et la FIFA. Le président en avait tellement pris ombrage qu’il avait annulé son voyage en Argentine, et le mien par la même occasion.»