Le destin de la pop star américaine d’origine italienne Ariana Grande est une pièce de monnaie où la réussite est l’envers du drame. Un attentat meurtrier il y a deux ans et la mort de son ex-compagnon ont assombri son parcours. Dimanche, l’idole de 26 ans fait escale à Zurich. Sur la scène du Hallenstadion, elle démontrera une fois encore que sa maîtrise vocale contraste avec sa taille minuscule. Une silhouette de 1,53 m montée sur des cuissardes aux talons interminables.
Fille phénomène
Sa voix domine insolemment les charts. En février dernier, elle a égalé un record détenu par les Beatles depuis 1964: accrocher trois titres d’un même disque aux trois premières places du Billboard, le hit-parade US. Trois extraits de «Thank U, Next», son dernier album dont le clip du même nom a atteint 100 millions de vues en un temps record. Sur Spotify, la chanson frise le milliard d’écoutes. Grande totalise aussi 165 millions de followers sur Instagram. C’est la deuxième personnalité au classement mondial derrière le footballeur Cristiano Ronaldo.
Cette fille phénomène à la queue de cheval avait tout pour être heureuse. La mélodie du bonheur? Elle s’en est inspirée dans «7 Rings», reprenant les notes de «My Favorite Things» chantées par Julie Andrews. Sa façon de déjouer le malheur en embuscade.
Stress post-traumatique
Il y eut d’abord le 22 mai 2017. Cette nuit-là, à la Manchester Arena, le show d’Ariane Grande bat son plein. Il est 22 h 30 lorsque retentit une déflagration. Salman Ramadan Abedi, 23 ans, vient de déclencher sa ceinture d’explosifs. Dans son geste suicidaire au nom de l’Etat islamique, le terroriste tue 22 spectateurs et en blesse 250. Les victimes sont des gosses venus voir, avec leurs parents, leur idole à l’occasion du «Dangerous Woman Tour».
Depuis, si Ariana Grande souffre de stress post-traumatique, elle fait la part des choses. «Manchester n’est pas mon traumatisme, c’est celui de toutes ces familles», dit-elle. Après le carnage, avant de s’envoler pour Miami avec sa mère, qui se trouvait dans la salle, elle a tweeté un message désespéré.
Déterminée à ne pas en rester là, Ariana revenait quinze jours plus tard afin d’offrir un concert caritatif, soutenue par Coldplay, Justin Bieber et Katy Perry. La soirée permit de récolter 23 millions de dollars. Juste avant, la chanteuse rendit visite aux survivants et aux familles en deuil. «Lorsqu’on me dit que c’est super, tout cet argent, je réponds: «Putain, de quoi vous parlez?» On a fait du mieux qu’on a pu, mais on n’a rien fait, en réalité. Pas un centime récolté ne rendra la vie à ceux qui l’ont perdue», rappelait-elle cet été dans le magazine Vogue. Ariana n’a rien d’autre à offrir que son talent et son cœur. Le reste, elle le garde pour son entourage et son psy.
Nouvelle tragédie
Elle qui chantait «No Tears Left to Cry» («plus de larmes pour pleurer») allait affronter une nouvelle tragédie quinze mois plus tard. Le 7 septembre 2018, elle apprenait le décès de son ex-petit ami, le rappeur Mac Miller, 26 ans, d’une surdose médicamenteuse. Il se défonçait pour faire face au stress. Ariana et lui s’étaient séparés quatre mois auparavant. Leur relation fut amicale dans un premier temps, puis professionnelle avant de devenir amoureuse en septembre 2016.
La jeune femme a tout tenté, mais les addictions du chanteur et ses démons semblaient insurmontables: cocaïne, LSD et purple drank, ce sirop à base de codéine et de prométhazine en vogue dans le milieu du hip-hop. Enfant doué comme elle, multi-instrumentiste, il avait commencé à écrire ses textes à 15 ans.
Précocité
Ariana Grande-Butera est plus précoce encore. A la maison, un karaoké laisse tôt entrevoir son potentiel. A 3 ans et demi, elle imite à la perfection tout ce qu’elle entend. Ses parents vivent dans une maison cossue avec piscine. Ils divorcent alors que la petite n’a que 8 ans. Ce fut le premier trauma d’une enfant née en Floride, à Boca Raton. Edward Butera, le père, est graphiste-designer. Joan Marguerite Grande, sa mère, dirige Hose-McCann Communications. «L’ambiance familiale était à la fois excentrique, bruyante, bizarre et très italienne», confie Ariana.
En famille, on écoute et on chante Madonna, Whitney Houston, Céline Dion ou Barbra Streisand. Maman aime Sinatra, Dean Martin et les comédies musicales avec Judy Garland.
De Broadway à star de télé…
Joan est obsédée. Elle ira voir 60 fois la comédie musicale «Jersey Boys», l’histoire de quatre copains décidés à percer dans la musique… Cette femme adepte du bleu à lèvres a eu un premier fils à l’âge de 14 ans. Frankie James Grande est aujourd’hui danseur, chanteur, star de la téléréalité et animateur.
Ariana, sa cadette, n’a pas 9 ans lorsqu’elle chante a cappella l’hymne américain en ouverture de matchs de hockey. Sept ans plus tard, elle atterrit à Broadway dans la comédie musicale 13, la seule composée d’ados.
La sitcom «Victorious» la révèle à 17 ans dans le rôle de Cat Valentine, un personnage extraverti à la voix aiguë. Chanter, danser, jouer la comédie, Ariana Grande sait tout faire, mais se rêve en diva R’n’B. Son entourage la dissuade, lui dit que, aussi drôle et mignonne, elle doit faire de la télé jusqu’à ce qu’elle devienne plus mature.
Hégémonie
En août 2012, à 19 ans, elle poste sur YouTube «Emotions», une reprise de Mariah Carey. Depuis, rien n’arrête Ariana Grande. En six ans et cinq albums, elle a assis son hégémonie. La grande chanteuse soul Patti LaBelle lui a fait le plus beau des compliments: «Ariana, c’est un bébé qui peut chanter comme une vieille femme noire.»
Ses détracteurs la voient en écolière sulfureuse. Les paroles de ses chansons, notamment «Side to Side» avec Nicki Minaj, parlent de coït à répétition à un public qui n’a pas 9 ans. Elle s’en défend et pense qu’il ne faut rien cacher des choses de la vie aux plus petits, et le sexe en fait partie. Elle milite activement pour la cause LGBTQ, le contrôle des armes à feu et s’affiche ouvertement anti-Trump.
Sur scène, c’est autre chose: «Cette version exagérée de moi-même me protège. Je suis impulsive, passionnée, insouciante et téméraire. Et, en même temps, les gens peuvent se déguiser en moi à Halloween. C’est encore mieux que de remporter un Grammy», dit-elle. Elle vient justement d’en rafler un. Entre rires et larmes.