Ce dimanche-là, sur le coup de 22 heures, dans la pénombre muette du plateau de la RTS où les invités débattaient en direct des résultats des élections fédérales, j’actualisais fébrilement la page des résultats vaudois sur mon téléphone. Quand la victoire est apparue sur mon écran, j’ai bondi vers «ma» candidate, qui rongeait son frein en attendant le verdict des urnes, pour lui souffler que c’était bon. Sur le plan professionnel, j’étais à la fois excitée et soulagée: la journaliste que je suis ne pouvait rêver meilleur scénario que celui de cette victoire au finish. Le photographe et moi «tenions» notre sujet. La candidate des Verts Léonore Porchet était la seule sur laquelle L’illustré avait choisi de faire un reportage et sa défaite aurait amoindri, sinon «tué le papier» dans notre jargon. Et puis j’étais aussi, tout bêtement, contente pour elle.
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La veille, je ne la connaissais même pas. Vingt-quatre heures plus tard, j’étais le témoin privilégié d’un moment fort de sa vie. Au fil de la journée, après avoir collé à ses basques, échangé avec elle des informations, des anecdotes ou des blagues dans les moments de stress ou de creux, la matière humaine, imprévisible, qui fait le sel de toute rencontre, s’était immiscée dans cette drôle de collaboration. Difficile d’accompagner un candidat qui a accepté votre présence en ces moments particuliers sans éprouver une once d’empathie au moment des résultats. Et sans que ni l’un ni l’autre soient dupes de cette proximité temporaire, même si l’expérience joue aussi son rôle: une bête politique aguerrie comme Pierre Maudet, que j’ai suivi plusieurs jours durant il y a quelques semaines, sera moins spontanée ou dans l’émotion qu’une nouvelle élue.
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Et l’objectivité, me direz-vous? La nécessaire distance? Evidemment, il y a les convictions, des engagements plus ou moins communs – voire pas du tout. Mais il y a aussi ce que vous inspirent les gens sur un plan plus terre à terre. La loupe grossissante de la coupole fédérale, avec ses élus de tous bords, est un bon exercice. Vous allez éprouver du respect pour des parlementaires dont vous ne partagez pas forcément les idées, pour leur vista, leur engagement, leur pugnacité ou tout simplement la certitude que vous pourrez compter sur eux lorsque vous les solliciterez pour une réaction ou une interview. La distance ou la froideur des uns ou des autres colorera forcément votre peinture intérieure. Aura-t-elle une incidence sur le résultat final? Cela reste à prouver.
Rencontrer quelqu’un, pour le travail comme dans la vie, c’est le sentir, le jauger, même à l’emporte-pièce. L’œil observateur n’empêche pas le ressenti. Au point d’influencer un article? Sans doute. C’est bien pour ça que nous ne sommes pas censés écrire sur des proches. Certaines rencontres sont éblouissantes, d’autres bien plus mitigées. Je me souviens d’une personnalité – ni Romande, ni politique – interviewée il y a plusieurs années pour un quotidien qui m’avait inspiré un fort sentiment de malaise, jusqu’au rejet. En relisant l’article que je lui avais consacré, il me semble que ce n’est pas perceptible. Mais c’est un article que je déteste.