Emmener Médor sur son lieu de travail? Aux Etats-Unis, la pratique existe depuis le début des années 2000. Si la tendance concerne davantage les petites et moyennes structures, de grands noms tels que Google ou Amazon arborent fièrement des politiques «dog friendly», jusqu’à en faire un argument de communication à part entière. En Suisse, et plus généralement en Europe, les entreprises offrant la possibilité à leurs employés de venir au bureau accompagnés de leur toutou se font plus rares. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque.
Selon une étude européenne de l’institut IPSOS réalisée en 2017, 84% des propriétaires suisses interrogés ont manifesté le désir de prendre leur chien au travail. Il s’agit du taux le plus élevé parmi les huit pays sondés. Autre chiffre intéressant, pour plus d’un travailleur suisse sur deux, une telle possibilité constitue un facteur décisif dans le choix d’un futur employeur. Cette statistique illustre de manière intéressante la transformation du rapport au travail dans nos sociétés.
Consciente de cette évolution, la société Purina, leader sur le marché de la nourriture pour animaux et propriété de Nestlé, a fait figure de pionnière en Suisse avec son programme Pets at Work. «Depuis 2016, quiconque travaille au siège de Nestlé Suisse a la possibilité de venir accompagné de son ami à quatre pattes», nous apprend Magali Clavel, responsable du projet. Mais que faire avec les personnes allergiques ou celles qu’une telle cohabitation effraie? «Le respect des sensibilités de chacun demeure une préoccupation centrale. Nous avons établi des règles afin que tout le monde se sente à l’aise.» Parmi ces règles, une signalétique claire des zones autorisées aux canidés ou l’obligation pour l’animal de passer un examen attestant de son bon comportement tant avec les humains qu’avec ses congénères. Outre ces aspects internes, Pets at Work propose également des services d’accompagnement et de conseil aux entreprises qui souhaitent accueillir des animaux dans leurs locaux. «Nous avons notamment conseillé des PME, une grande société pharmaceutique, des administrations ou encore des agences créatives», indique Magali Clavel.
Parmi les arguments en faveur de l’instauration de politiques «dog friendly», on retrouve les éléments relatifs au bien-être et à l’augmentation des performances des travailleurs. Selon une étude de la Virginia Commonwealth University (VCU) datant de 2012, ces bénéfices existent bel et bien. Au moyen de questionnaires détaillés et d’examens médicaux, les chercheurs de la VCU ont analysé les données de trois groupes au sein d’une société de Caroline du Nord où une trentaine de canidés étaient quotidiennement présents. Le premier groupe rassemblait ceux qui venaient travailler avec leur chien, le deuxième les propriétaires qui laissaient leur compagnon à la maison et le troisième le reste des employés. Les résultats ont révélé que, au sein du premier groupe, on observait une diminution significative du stress. Mieux encore, ces collaborateurs démontraient davantage d’engagement et de fidélité, délivraient de meilleures performances, voyaient leur productivité et même leur inspiration augmenter. Employé modèle, vous avez dit?
Et les principaux intéressés, dans tout cela? Selon Alessandro Capozzi, vétérinaire et comportementaliste, pouvoir accompagner son maître au travail constitue une vraie chance pour l’animal. «La meilleure chose pour un chien est de pouvoir rester au maximum avec son propriétaire. Pour cette raison, on déconseille de le laisser seul à la maison toute la journée, au maximum une demi-journée. On peut également avoir recours à un «pet-sitter» qui le distraira et assurera ses promenades pendant votre absence, précise-t-il. Un animal au comportement dit normal pourra être triste de votre absence mais disposer d’assez de résilience pour surmonter cette tristesse. Par contre, si on est en présence d’un chien souffrant de troubles du comportement, comme par exemple de l’anxiété, on va au-devant de problèmes nécessitant une prise en charge par un professionnel.» Alessandro Capozzi précise néanmoins l’importance pour le chien d’avoir «son coin à lui» au bureau, avec un panier ou une couverture où il peut se retirer lorsqu’il ne souhaite pas être sollicité.
De l’avis de certains analystes, ouvrir les entreprises aux animaux de compagnie pourrait bien devenir une pratique courante à la faveur d’un retour au travail en présentiel. A ce sujet, le sérieux «Guardian» titrait en octobre 2021: «Want employees to return to the office? Let them bring their pandemic pets along» (littéralement: «Voulez-vous que vos employés reviennent au bureau? Laissez-les emmener leurs animaux adoptés pendant la pandémie»).
Dans le même sens, selon une récente étude réalisée par la société américaine BARK, 71% des propriétaires de chiens encore en «home office» craignent de s’ennuyer de leur animal lorsqu’ils retourneront sur leur lieu de travail. A titre de comparaison, ils ne sont que 42% à ressentir la même chose au sujet de leur conjoint. Lorsqu’il est question des enfants, on tombe à 39%. Preuve que nos compagnons à quatre pattes prennent de plus en plus de place dans nos vies.
Trois exemples d’acclimatation canine réussie au boulot:
1. «Mon chien fait le tour des locaux le matin pour saluer les gens»
Raphaël de Paulin et Otto, 3BM3
Raphaël de Paulin est partenaire du bureau 3BM3 Atelier d’Architecture SA. Il nous explique que déjà à l’époque de la création du cabinet, en 2000, on pouvait croiser au bureau les chiens des associés fondateurs. Une entreprise «dog friendly» dès le premier jour? «Nous sommes plusieurs à avoir des chiens mais, jusqu’à récemment, nous n’avions pas pensé à les emmener au travail.» En avril 2020, Otto est victime d’un souci de santé. A cette époque, la plupart des employés travaillent chez eux, mais pas Raphaël. «Il avait besoin d’être surveillé et il fallait donc trouver une solution.» C’est ainsi qu’Otto a commencé à accompagner son maître au travail. «Il s’est rapidement installé à mes pieds et tout s’est très bien passé.»
Aujourd’hui en pleine forme, Otto continue à venir au bureau, qui a depuis ouvert ses portes à d’autres collègues canidés. Il faut dire que le petit border terrier a su gagner le cœur de chacun: «Otto est très empathique. Il a la particularité de séduire même les gens qui n’aiment pas trop les chiens, continue Raphaël. Il a développé plein de rituels. Par exemple, il est tout content de faire le tour des locaux le matin pour saluer les gens. Il a aussi cette capacité de sentir quand quelqu’un est contrarié. Lorsque ça arrive, il va tout de suite aller voir la personne, s’étirer contre elle ou demander une caresse.»
2. «On accueille les chiens parce qu’on les aime»
Pascal Lavigne et Ola, Flavian Carles et Simba, Techfirm
A notre arrivée chez Techfirm, spécialiste en services aux entreprises dans les domaines de l’ingénierie et de l’informatique, Pascal Lavigne nous reçoit en kilt. Fantasque, celui qui se fait appeler «Chief Happiness Officer» plutôt que CEO évoque avec nous son amour des animaux (l’entreprise abrite également des ruches). Lorsque Ola entre dans sa vie en 2018, il ne fait aucun doute que la sympathique chienne l’accompagnera sur son lieu de travail: «Pour moi, c’était une évidence.»
Une évidence également valable pour ses collaborateurs? Quand Flavian Carles, alors chez Techfirm depuis trois ans, lui fait part début 2021 de son désir d’adopter un husky, à condition de pouvoir l’emmener au bureau, la réponse de Pascal est limpide: «Pourquoi je pourrais et pas lui?» lance-t-il. Désormais heureux propriétaire de Simba, Flavian nous confie que sans ce préavis favorable il n’aurait jamais sauté le pas. «Le but était de prendre un chien pour lui faire partager mon quotidien, pas pour le laisser enfermé toute la journée durant mon absence», conclut-il, son imposant compagnon sur les genoux.
Depuis Ola et Simba, d’autres canidés ont rejoint les bureaux de Techfirm, pour le plus grand plaisir de Pascal, qui précise néanmoins: «On accueille avec plaisir les chiens parce qu’on les aime. On sait que c’est tendance, mais ce n’est pas pour cette raison qu’on le fait.» Message reçu.