Dimanche 28 mars, 13h30, jour d’élection à Genève. Delphine Bachmann, 32 ans et masque orange sur le nez, s’engouffre dans la rue de l’Hôtel-de-Ville, suivie de ses militants. Les journalistes accourent et l’entourent: la révolution orange n’a pas eu lieu mais Delphine Bachmann a créé la surprise. C’est la fin d’une folle élection qui aura tenu en haleine le canton du bout du lac: Fabienne Fischer (Verts) vient d’être élue conseillère d’Etat devant son prédécesseur démissionnaire Pierre Maudet, et cela n’a pas été simple. Car qui dit folle élection, dit folle campagne et Delphine Bachmann y est définitivement pour quelque chose.
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Trois semaines plus tôt, le 8 mars dernier. Le Parti démocrate-chrétien genevois, qui avait soutenu le candidat PLR Cyril Aellen jusqu’à présent, sort un joker. Le parti, mécontent du choix laissé aux Genevois, se lance dans la course au siège à l’entre-deux-tours, du (presque) jamais-vu. Au bout d’une interminable réunion par «visio», Delphine Bachmann, présidente de la section cantonale, est désignée candidate. «C’est le moment que je garderai comme celui où j’ai été le plus émue dans cette campagne éclair: celui de décider. J’avais une boule à la gorge, j’ai versé une petite larme et me suis demandé dans quoi je me lançais, se souvient-elle. Pendant les débats, j’ai laissé parler la base, je n’ai pas souhaité orienter la position et on me répétait:«Si quelqu’un doit y aller, c’est toi.» Alors Delphine Bachmann y est allée.
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La campagne est mise sur pied en quarante-huit heures, 65 000 flyers sont imprimés en trois jours et les sections communales sont mises à profit. La première semaine est compliquée, «violente même… mais il faut dire que je cumule les critères». Femme, jeune et mère, arrivée en milieu d’élection, on lui demande de «retourner s’occuper de ses gosses», on lui reproche son «inexpérience», son «ambition» ou on la traite de «mal-baisée». Mais la présidente du PDC ne se décourage pas.
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Pendant dix jours, elle sillonne le canton à vélo pour aller à la rencontre des électeurs, réquisitionne sa famille pour mettre des flyers dans toutes les boîtes aux lettres (elle est l’aînée de six frères), participe aux différents débats, organise des shootings photos de campagne en un rien de temps. A côté, celle qui est aussi directrice administrative du centre de traitement contre le cancer du sein de la clinique des Grangettes continue de travailler et heureusement, à la maison, elle peut compter sur son mari qui s’occupe d’Alice, 4 ans et demi, et d’Adrien, 2 ans et demi. «Et dire que j’avais mis trois semaines à choisir ma tenue pour la photo de la campagne du Conseil national (en octobre 2019)!»
Et dire surtout, qu’il y a dix ans, elle n’osait même pas tendre un flyer! Parce que si cette campagne est peut-être la plus importante et médiatisée qu’elle n’ait jamais faite, ce n’est pas la première. «J’ai commencé en 2011, on est venu me chercher pour les municipales de Chêne-Bougeries.»
Quelques années plus tard, elle devient députée au Grand Conseil avant d’être réélue en 2018. «Pour être exacte, le deuxième tour se terminait le 6 mai 2018. Je m’en souviens, car c’était aussi le jour de la naissance de mon fils. Les résultats tombaient à midi, j’étais en salle d’accouchement, j’avais demandé à mon mari d’allumer la radio. Mon fils est né à 13 h, lance-t-elle le sourire aux lèvres. Quand on est passionnée…» Une passion qui dure depuis dix ans maintenant et à laquelle elle est loin de mettre un terme.
Faudra-t-il compter sur elle en 2023, prochaine année d’élection des conseillers d’Etat genevois? «Quand j’ai dit oui pour cette élection, c’était instinctif et je pense que mon profil permettait de porter, dans la forme et le fond, un message un peu différent. Contrairement à ce que certains supposent, je n’ai pas fait tout cela en pensant à 2023, réfute la députée. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui si c’est un objectif, mais il est évident que mon engagement perdurera et que sa forme sera définie au fur et à mesure.»
Dimanche matin, H-6 avant le résultat. Delphine Bachmann ne dort plus depuis longtemps et propose à Laurent Clerc, un ami, de grimper le Salève. Ce propriétaire d’une fromagerie carougeoise a créé, à l’occasion de la campagne, une fondue à l’effigie de la candidate. Les 500 mètres de dénivelé sont avalés en cinquante-cinq minutes, en marche rapide, et le fromager, aussi ancien champion d’athlétisme, a du mal à suivre.
Le sport, Delphine Bachmann se l’impose comme une norme. «J’essaie d’en faire entre trois et cinq fois par semaine. J’aime la montagne, je cours et je nage. Les piscines me manquent cruellement. Nager en extérieur, je le fais normalement dès que cela est possible, ce qui me donne, au début du mois de juin, un bronzage digne du mois de septembre. J’ai besoin de faire du sport pour mon équilibre, cela me permet de me retrouver seule et de réfléchir aussi.»
Quelques minutes avant que les résultats tombent, Delphine Bachmann ne cache plus son stress. Dans le fief du PDC genevois, près de l’hôpital, elle est entourée de ses adjoints et de son mari. Son angoisse? «Arriver dernière avec 5 ou 6% des voix.» Quarante-cinq secondes à tenir, elle prend sa tête dans les mains. «Delphine, tu es troisième!» La jeune femme fait plus de 14 700 voix, soit 13,5% des suffrages. On trinque. Pierre Maudet, lui, n’a pas réussi son pari. A cause du PDC? «Je n’ai pas fait de campagne contre qui que ce soit, je n’ai d’ailleurs jamais fait partie des personnes qui l’ont constamment attaqué, même si je n’ai jamais compris pourquoi il avait agi de la sorte. Ce que nous voulions, c’était offrir une alternative aux Genevois de centre droit, nous avons fait campagne pour nos idées.»
Nous la retrouvons chez elle, trois jours après le scrutin. La pression est redescendue, demain, c’est le départ en vacances. Une dernière assemblée des délégués ce soir et après, elle coupe. «Enfin, je prends quand même mon ordinateur en vacances, j’ai accepté cette porosité entre mon travail, la politique et ma vie privée.» Passionnée, vous avez dit?