Tranquillement installé en travers de la route, un varan empêche David Plaschy, 30 ans, de passer avec le buggy de l’hôtel. Le lézard géant zigzague. «Du balai!» lance gentiment le Valaisan pour éviter de l’effrayer. «Ici, à Bawah, ce sont presque des animaux de compagnie.» L’île où habite le jeune homme abrite le Bawah Reserve, un établissement de luxe tout confort. Lui-même et les hôtes sont unanimes: «L’endroit est vraiment incroyable!» La beauté de l’île ne cesse de le subjuguer. Enfant de Veyras, près de Crans-Montana, il travaille depuis trois mois comme Food and Beverage Manager – en français, responsable du département nourriture et boissons – dans ce coin de paradis.
Pulau Bawah est située au milieu de nulle part en mer de Chine méridionale, entre Singapour et Bornéo, au cœur d’une réserve marine de 1000 hectares. Cinq îlots entourent l’île principale. Outre 13 plages privées, on y trouve une foule de petites criques baignées d’une eau turquoise et transparente. Il suffit de monter sur le ponton pour apercevoir des récifs coralliens, des poissons multicolores, des étoiles de mer bleues et des raies pastenagues. «Nous sommes en pleine période de reproduction des tortues. C’est vraiment une expérience exceptionnelle», souligne David Plaschy.
Pas de plastique, mais des panneaux solaires flottants
Comme F&B Manager, il est responsable de tout ce qui est lié à la nourriture et aux boissons sur l’île. Il veille également au bon déroulement des processus. Le Bawah Reserve mise pleinement sur le développement durable. Certes, les hôtes doivent pouvoir accéder à cette réserve naturelle unique. Mais l’idée est aussi de préserver le récif qui entoure les îles ainsi que leur faune et la forêt vierge. L’énergie provient de panneaux solaires flottant sur la mer. Le complexe a été entièrement construit de main d’homme, sans l’aide de la moindre machine. Il a mis cinq ans pour sortir de terre. On a en outre banni le plastique. «La condition sine qua non à ma venue était de travailler de la façon la plus durable possible», souligne David Plaschy.
La durabilité s’étend même aux denrées alimentaires. Dans un espace aussi restreint, il est évident que l’on importe la majorité des produits. Il arrive que David Plaschy soit amené à analyser et à optimiser les chaînes d’approvisionnement. «Une grande partie de notre poisson est issue de la pêche locale», précise-t-il. A Bawah, on peut prendre ses repas directement sur la plage.
Aubergines et gombos du jardin
Sur l’île, on fait pousser des tomates, des aubergines, des gombos et des fruits de la passion en permaculture. «Nous n’utilisons pas le moindre pesticide», souligne-t-il. Le potager ne suffit évidemment pas à couvrir les besoins alimentaires de l’ensemble des hôtes. La plupart des produits que l’on y consomme proviennent de la province indonésienne de l’archipel de Riau, autrement dit des îles alentour ou de Java. «Nous servons par exemple du bœuf wagyu indonésien. Nous ne parvenons pas à utiliser exclusivement des denrées indonésiennes, mais nous y arrivons à 85 ou 90%, ce qui est déjà très bien.»
Une fois par mois, un grand bateau vient de l’île de Batam et apporte tous les aliments secs et non périssables. Les produits frais comme la viande et les œufs sont livrés par voie aérienne. «Nous faisons de notre mieux, mais cela représente un gros point noir dans notre bilan carbone et un sacré défi.» Les hôtes arrivent également par les airs, à bord du Sea Otter, un hydravion. On va les chercher à Singapour, où ils embarquent sur un ferry pour l’Indonésie. De là, ils atteignent Bawah en quelque 75 minutes.
De Gstaad au Vietnam, en passant par l’Alabama
Le nom de Plaschy nous semble familier. «Oui, je suis un lointain parent de Didier», confirme David en éclatant de rire. Adolescent, David Plaschy n’a pas suivi les traces du skieur et actuel co-commentateur de la SRF, mais s’est lancé dans la gastronomie. Après l’école obligatoire, il a fait un apprentissage de cuisinier. «J’ai très vite remarqué combien la nourriture peut être une source de plaisir. C’est la langue universelle de nos âmes; c’est ce qui m’a intéressé.» Veyras ne comptait alors que deux restaurants. «Je me suis formé au Muzot, le meilleur, souligne-t-il. Le chef y propose une cuisine ambitieuse avec une touche traditionnelle. Quand je suis en Valais, il m’arrive de venir donner un coup de main.»
>> Lire aussi: La parenthèse australienne de la triathlète Nicola Spirig
Mais David n’est pas homme à rester derrière les fourneaux: «Je voulais aller plus loin, en savoir davantage sur la nourriture et les boissons, me perfectionner.» Il entre alors à l’Ecole hôtelière de Genève. «Mon grand-père, hôtelier au Brésil, était aussi passé par cet établissement. Cela m’a inspiré.» Pendant ses études, David effectue différents jobs de traiteur. «A ce moment, j’ai réalisé que j’aimais le contact direct avec les clients. D’une certaine manière, le service est ce qui m’a le plus amusé.»
Après sa formation, David Plaschy s’en va découvrir le monde – pas très loin dans un premier temps, puisqu’il s’arrête à The Alpina, à Gstaad. Ensuite, il traverse l’Atlantique, direction l’Alabama, où il travaille pour le groupe hôtelier Marriott. Depuis le sud des Etats-Unis, il file en Asie du Sud-Est. Au Vietnam, Six Senses l’embauche. Il s’y plaît: «Je suis resté quatre ans dans ce pays, où j’ai rencontré Hailey, ma petite amie.» Après la pandémie, il s’en va à Oman, où il ouvre un restaurant, toujours pour le compte de Six Senses. La prochaine étape devait être Israël. «C’était l’automne dernier, et la guerre a éclaté», résume-t-il.
Nouveau luxe
Un diplômé d’une école hôtelière suisse disposant d’une expérience dans le domaine du luxe est un candidat très demandé. «Une chasseuse de têtes avait déjà cherché à me recruter pour le Bawah Reserve, mais cela ne s’était pas fait», se souvient-il. Il était cependant resté en contact avec Raymond Said, le directeur de l’établissement. «Nous sommes tombés d’accord début 2024. Et maintenant je vis au paradis.»
A Bawah, rien de pompeux, mais des suites et villas aménagées avec beaucoup de style. Certains des bungalows se trouvent directement sur la plage, d’autres dans une jungle luxuriante, d’autres encore ont été construits sur pilotis. Mais le véritable luxe réside dans le calme et le caractère intact des lieux. On ne s’ennuie jamais à Bawah: l’île est suffisamment grande et vallonnée pour se prêter à de petites randonnées, on peut aussi se lancer à la découverte de l’impressionnant monde sous-marin en snorkeling ou en plongée ou encore explorer les criques en canoë ou en stand-up paddle.
Reste que, malgré un job de rêve, des plages de sable blanc et le soleil qui brille tous les jours, le Valais manque à David. «Parfois, c’est difficile, car ma famille et mes amis sont demeurés là-bas. Mais j’ai toujours vécu ainsi, je suis loin de chez moi depuis des années. Alors nous nous téléphonons souvent. C’est particulièrement compliqué pour ma maman, puisque je suis enfant unique», souligne-t-il. Sa situation a malgré tout un aspect positif: «A Bawah, nous travaillons trois mois de suite, puis nous en avons un entier de congé. Je peux donc rentrer plusieurs fois par an.» Mais ce n’est pas sa famille qui lui manque le plus, c’est tout autre chose: «Cela peut sembler étrange, mais j’adore la neige et le froid!» Etant donné son lieu de travail, on ne le contredira pas.