Il fait très chaud en cet après-midi de mai. Dans le ciel au-dessus du lac Majeur, les seuls nuages sont les traces de condensation laissées par des avions. Une agréable petite brise aère la rive de Gambarogno (TI). Le multi-champion de ski de fond Dario Cologna, 36 ans, est couché sur le dos dans un pré, entouré de rhododendrons, d’oliviers et de palmiers. C’est là qu’il faisait naguère une bonne partie de son entraînement d’été. Mais tout a changé: au lieu de lever des poids, il soulève son fils, Leano, 8 mois. Sur son visage, les perles de sueur ont laissé place aux rides du rire.
Pour Dario Cologna et son épouse Laura, 32 ans, ce lieu constitue depuis bien des années un refuge de rêve. Au printemps et à l’été, ils y passent pas mal de temps. «Pour nous, le Tessin est comme une seconde patrie, un complément idéal à Davos, notamment grâce au climat», explique-t-il. «Nous nous sentons en vacances dès la sortie du tunnel du San Bernardino», ajoute Laura, dont la maman est propriétaire de la maison au bord du lac.
Mais, cette année, tout est différent: il y a deux mois, Dario Cologna a mis fin à sa carrière de sportif professionnel. Désormais, il est présent lorsque, en début de soirée, la famille et les amis viennent pour l’apéro. Auparavant, à cette heure-là, il entamait systématiquement un deuxième entraînement: un jogging, une pistée à vélo, de la musculation ou un parcours à «rollerskis» (skis à roulettes). «Parfois, je devais franchement me forcer.»
N’empêche que ce n’est toujours pas le farniente. Ni l’ennui, d’ailleurs, même en l’absence d’intense programme sportif. Le responsable? Leano, né le 22 septembre dernier. A sa manière, il confirme: «Dadadada...» «Tu en es sûr?» demande le papa en rigolant et en lui enfournant une cuillerée de purée dans la bouche. «A la maison, désormais, c’est Leano le chef. C’est lui qui nous dicte la cadence.»
Juste après la naissance de son fils, Dario était encore en plein entraînement pour ses quatrièmes et derniers Jeux olympiques. Pour conclure sa carrière, le quadruple champion olympique met le paquet sur son objectif. Ce qui signifie que, durant les premiers mois, c’est surtout Laura qui s’est occupée du petit, y compris la nuit. Mais le couple peut aussi compter sur l’aide des parents de Dario et de la maman de Laura (son père, Richi Bucher, une légende du HC Davos, est décédé il y a dix ans). «On a eu de la chance, Leano n’est pas un bébé difficile. Si bien que ça a marché même en hiver, quand Dario devait s’absenter», philosophe Laura. «N’empêche que ça a parfois été dur d’être si souvent éloigné de Leano», nuance Dario.
Pour la famille, la crise sanitaire et l’indispensable isolement avant les JO ont également constitué un défi. La grande préoccupation de Dario Cologna était de ne pas attraper le covid. Même le petit Leano a ressenti les effets de cette vie d’ermite. «Comme il n’a longtemps vu que Dario et moi, il avait peur des inconnus et pleurait quand il voyait d’autres gens», raconte Laura.
Avec les mesures ultra-restrictives à Pékin, ces JO n’auront pas été pour Dario un grand moment de sa vie. Il est également déçu de ne pas avoir fait des étincelles sur le plan sportif. Un 14e rang aux 50 kilomètres, raccourcis à 30 kilomètres à cause du vent et d’un froid glacial, aura été son meilleur résultat. «J’espérais mieux.» Cela dit, il accepte et se console: «J’ai tout donné, je ne peux rien me reprocher. Tout est en ordre.»
Quand on l’écoute et qu’on le voit prendre le goûter avec son épouse et son fils, on sent bien que Dario est heureux de passer plus de temps en famille. «Leano est un petit chenapan, il fait coucou et sourit à tout le monde», sourit le papa. «Et il est du genre actif, il lui faut sans cesse de l’animation. Sans doute comme pour nous», complète la maman en rigolant.
Dans la famille Cologna, depuis que Dario a pris sa retraite sportive, le strict partage des tâches ne concerne plus que les nuits: chacun se lève une fois sur deux. Laura se charge de l’organisation; pour le reste, c’est celui ou celle qui est à la maison qui s’occupe du petit. Elle travaille un jour par semaine comme gérante immobilière, lui s’absente de temps en temps. Un jour par semaine, Leano est confié à sa grand-mère ou à ses grands-parents. «Chacun fait les choses à sa façon et c’est parfait ainsi, commente Laura. Moi, je couche en général Leano dans l’espoir qu’il s’endorme, tandis que Dario, lui, fait des flexions avec son fiston dans les bras.»
Dario Cologna n’éprouve aucune appréhension face à un avenir sans sport professionnel. Il se laisse du temps pour définir quelle voie il voudrait choisir à long terme. Aujourd’hui déjà, divers projets et des présentations en compagnie de ses sponsors emplissent son agenda. En plus, il écrit son autobiographie qui devrait paraître à l’automne. «Par ailleurs, je travaille dans une start-up et je suis en contact avec Swiss-Ski en vue d’une collaboration dans le domaine de l’encouragement de la relève dans le ski de fond.»
Le sport lui tient bien entendu toujours à cœur et il continue de s’entraîner presque tous les jours. Et cela n’étonnera personne qu’il ait de nouveaux projets: «Cette année, j’aimerais m’aligner aux marathons de Londres et de New York.» Il adore toujours bouger, il en a besoin. Pour les sportifs d’endurance, en particulier, il est essentiel de réduire l’entraînement progressivement afin que le muscle cardiaque et l’ensemble du système cardiovasculaire n’encourent pas de dommages.
Le petit Leano ne sera pas au nombre des supporters lors des débuts de son papa en marathon. «Pour lui, le voyage et tout ce tintamarre seraient trop stressants.» Dario préfère de loin offrir à son fils toute son attention, à l’écart du bruit, parmi les palmiers et les oliviers ou, la nuit, en l’endormant tout en accomplissant ses flexions. Et, qui sait, peut-être un jour se suivront-ils sur une piste de fond...