Il aime les gens, Dany Boon, et ils le lui rendent bien. Lors de son passage à la fête de lancement du nouvel «Illustré-TV8» à Lausanne, tout le monde a été subjugué par son écoute et sa disponibilité. Chaque invité présent ou presque a voulu passer par la case selfie avec la star, qui s’est prêtée à l’exercice sans se départir de sa légendaire gentillesse. Il faut dire que, depuis «Bienvenue chez les Ch’tis», l’acteur et réalisateur a acquis, en plus d’un capital sympathie énorme, une aura très peu égalée dans le monde du cinéma français, voire international. En effet, ce père de cinq enfants de trois épouses différentes a vécu un temps aux Etats-Unis pour y superviser l’adaptation américaine de «Bienvenue chez les Ch’tis». Et même si aucune version made in USA n’a vu le jour faute de scénario convaincant proposé à Dany Boon, les relations du comédien avec Hollywood n’en ont pas souffert.
L’artiste s’est aventuré sur le plateau de diverses comédies locales comme «Murder Mystery 1» et «2» (actuellement sur Netflix) aux côtés d’Adam Sandler et Jennifer Aniston. Cependant, ce n’est pas pour cette actualité que le quinquagénaire s’est rendu chez nous. L’humoriste vient en effet de réaliser «La vie pour de vrai», qui raconte comment un homme de 50 ans né au Club Med et y ayant passé toute sa vie quitte ce monde à part pour retrouver son amour d’enfance. Inutile de préciser que nous étions ravis, lors de sa promo helvète, de passer le bonhomme à la question et devant l’objectif. Jeux auxquels ce grand enfant s’est plié avec humour et l’esprit affûté. Rencontre.
- «La vie pour de vrai», c’est quoi, pour vous?
- Dany Boon: C’est vivre dans la pleine conscience de l’instant présent et se débarrasser à ce moment-là de tout ce qui peut nous parasiter, comme un téléphone portable, par exemple.
- Et vous y arrivez?
- Pas toujours. Quand j’écris, je suis bien obligé d’éteindre mon téléphone et aussi lorsque je suis à table avec mes enfants. Mais cela ne devrait pas s’arrêter là. Le vrai souci, c’est que l’on a besoin de moments pour rêvasser ou être dans la lune, c’est vraiment très important. Evidemment, quand on fait des études, on nous dit: «Oh là là, arrête de rêver!» Alors que c’est tellement important pour le cerveau, le processus créatif et le bien-être. D’ailleurs, avec mes enfants, qui ont aujourd’hui entre 25 et 13 ans, je faisais des journées de l’ennui et leur disais: «Aujourd’hui, on fait tout ce qu’on veut mais sans écran, sans objets connectés.» Bien sûr, ils me disaient qu’ils s’ennuyaient, mais j’étais content, car c’était le principe. Et aujourd’hui, avec le recul, je pense qu’ils aimaient bien ça.
- Le personnage principal de votre film, Tridan, quitte le Club Med du Mexique pour retrouver son amour d’enfance. Vous êtes déjà allé dans un club?
- On y est allés l’hiver, en famille, à Valmorel (en Savoie, ndlr), pour voir comment c’était aujourd’hui et j’ai parlé avec beaucoup de G. O. Mais c’est une rencontre en amont avec un chef de restaurant qui m’a donné l’idée de ce film. Il était né au club, devenu G. O. et, à plus de 40 ans, travaillait toujours là-bas. Il avait fait l’école à distance. Je me suis dit: «Tiens, voilà une idée intéressante pour parler du monde et avoir le point de vue de ces gens sur notre quotidien d’individus speedés.»
- Le petit Tridan veut toujours fuir le Club. Vous aviez des envies de vous échapper de votre famille quand vous étiez petit?
- Absolument pas. J’avais des envies d’âge adulte. Je faisais rire ma mère, quand j’étais gamin, parce que c’était compliqué à la maison. C’était difficile pour elle, elle a été enceinte de moi à 17 ans. Mes grands-parents voulaient la mettre dans une maison de filles-mères et heureusement elle a refusé. Ils ont donc signé un papier pour l’émanciper plus tôt que prévu et elle a eu le droit de se marier avec mon père et de vivre avec lui. Ils habitaient dans une cabane en tôle ondulée, logés par la paroisse où elle avait fait sa communion. Et c’est une cousine qui est allée voir mes arrière-grands-parents pour leur dire dans quelles conditions vivait ma mère. Ils sont venus nous chercher et nous ont logés pendant six ans, jusqu’au moment où mon arrière-grand-père, qui était une figure paternelle merveilleuse, s’est fait renverser par une voiture. Ma mère était très malheureuse d’avoir été rejetée par sa famille, qui était très catholique, juste parce qu’elle était tombée amoureuse d’un Algérien. Alors je la faisais rire. C’était ma motivation principale, la faire rire pour réparer, et c’est devenu une vocation.
- Le rire répare?
- Oui, de presque tout. J’ai des témoignages très beaux de gens qui m’écrivent. Je prends ces lettres comme des cadeaux. Je les trouve très gratifiantes et ça me remplit.
- Qu’est-ce qui faisait rire votre mère quand vous étiez enfant?
- Quand je faisais le pitre, mais mon côté rêveur l’amusait aussi beaucoup. J’étais en primaire à l’école Léo Lagrange d’Armentières (département du Nord, ndlr) et notre classe a été tirée au sort par la mairie pour aller une semaine à la montagne. C’était la première fois que je voyais les montagnes, j’avais 10 ans. Mes parents m’avaient donné un peu d’argent de poche et j’avais ramené à ma mère un souvenir, un petit vase en cristal d’Arques. Or Arques, c’est à 10 km de là où nous vivions. Cela l’a beaucoup fait rire et elle s’est moquée de moi avec ses copines en leur disant: «Mon fils m’a rapporté de la montagne un souvenir qui vient d’à côté de la maison!»
- Tridan est un personnage récurrent dans votre filmographie; c’est un naïf, un doux rêveur, comme le postier de «Bienvenue chez les Ch’tis» par exemple. C’est un peu vous?
- Je n’analyse pas mes films, d’autres le font pour moi. Mais j’aime cette naïveté de l’enfance, lorsqu’on vit les choses plus intensément. Il doit y avoir des procédés chimiques dans le cerveau, où tout est en devenir, qui font que nos premiers émois sont très forts.
- Comme les premières amours, par exemple?
- Oui, cet amour-là reste toute la vie. On s’en souvient tous. L’idée m’est venue de parler de cet amour-là au moins une fois dans mes films lorsque ma mère, pour me faire une surprise, est venue sur le tournage de «Bienvenue chez les Ch’tis» avec Valérie, mon amoureuse de CM2 (fin du primaire en France, vers 9 ans, ndlr). C’était la fille populaire de la classe, tout le monde l’adorait et on s’était donné la main lors d’une sortie scolaire à Bayeux pour voir une exposition sur l’Egypte ancienne. Comme il y avait des projections de diapos et qu’il faisait très sombre, on s’est embrassés dans le cou. Pour moi, c’était ça, le summum absolu de la relation amoureuse et de l’émoi physique: s’embrasser dans le cou. Il ne m’en fallait pas plus.
- Les applications de rencontres ont un grand rôle dans votre dernier film…
- Parce qu’elles sont très présentes dans nos vies. Nous avons tous peur de la solitude, de finir seuls. On peut même s’étourdir avec, mais cela manque beaucoup de tendresse et de romantisme, car on y consomme la sexualité de manière frénétique et un peu hystérique. J’ai vu beaucoup de potes tomber là-dedans. Ils sont devenus accros non pas à une femme, mais à des applis, et sont dans l’incapacité de construire une histoire d’amour vraie même s’ils en ont envie. L’autre jour, j’étais super content, car mon fils de 25 ans, qui est étudiant à l’Université de New York, m’a dit comme si c’était extraordinaire: «Papa, j’ai rencontré une fille à la bibliothèque!» Il était super fier, car, pour une fois, ce n’était pas sur Instagram. Maintenant, les jeunes font tout sur Instagram. Souvent, je dis à mon autre fils de 18 ans de privilégier la qualité à la quantité. Je crois qu’il m’entend.
- Et vous, vous avez été sur des applications de rencontres?
- Non, car même quand j’étais célibataire, j’étais déjà connu. Pourtant, il y a une appli pour les gens connus, mais c’est horrible, cette idée de ne pas vouloir se mélanger!
- Reste que cela vous a titillé?
- Oh oui, oui (il éclate de rire). Je suis curieux et on a tous l’angoisse d’être seuls, de finir seuls. On a besoin d’être deux. Mais je n’y ai jamais goûté. Quand on est connu, tout est faussé. On crée chez l’autre une excitation supplémentaire qui n’est pas naturelle.
- Dans le film, le personnage croit à l’amour absolu. Ça existe?
- Oui. Le sentiment d’amour absolu existe mais quand il subit les affres du temps, il est difficilement pérenne. Je pense que l’on peut aimer quelqu’un et le quitter même si on l’aime encore. Parfois, l’usure du couple est là et on reste bourgeoisement ensemble pour de mauvaises raisons. Il vaut mieux se séparer et passer par des moments difficiles pour s’aimer différemment. On n’est pas obligés de rester ensemble pour continuer de s’aimer.
- Vous avez 57 ans. Vous vous projetez où dans cinq ans?
- Alors d’abord, j’ai 56 ans et demi, je n’aurai 57 ans qu’à la fin juin... Sinon, pour vous répondre, je me projette sur scène. Au théâtre. Pour l’instant, je fais du one man show pour des spectacles caritatifs, comme pour Children Action. J’étais d’ailleurs à Genève en décembre dernier pour cette association. Mais là, j’ai envie de partager la scène avec d’autres et d’écrire pour le théâtre. J’ai eu des moments extraordinaires seul sur scène avec mes sketchs mais, aujourd’hui, j’ai un problème avec le culte de la personne que cela induit. Cela me dérange un peu d’être seul devant des salles de 3000 à 4000 personnes… Il y a un truc qui ne va pas.
- Vous pensez souvent à la mort?
- (Il éclate de rire.) En tant qu’hypocondriaque, oui, bien sûr! Mais on vit tous avec l’aspect éminent de la mort. En revanche, cela ne m’angoisse pas, car je crois à quelque chose après. C’est le côté souffrance qui me fait très peur. J’ai peur de vieillir dans la douleur et de ne plus pouvoir… Je fais d’ailleurs très attention à rester en forme, à faire du sport.
- C’est donc pour ça que vous consultez le corps médical à tour de bras?
- Je sais que c’est un peu catastrophique. Les médecins que je connais ont du mérite.
- Pourquoi, vous en avez plusieurs?
- Oui, bien sûr, un par spécialité ou presque et j’ai évidemment leur portable. Je les emmerde au plus haut point, jusqu’à parfois les faire sortir de congrès pour avoir une consultation. Ils ouvrent leur cabinet juste pour me voir, car je les supplie en leur disant: «Je n’ai pas dormi, je crois que j’ai ça...»
- On aurait pu penser que votre film «Supercondriaque» mettrait un frein à ce genre d’attitude...
- Absolument pas. La seule chose qui m’aide aujourd’hui, c’est que ma compagne, Laurence Arné (une actrice rencontrée sur le tournage de Radin! en 2015, ndlr), est pire que moi. C’est une hypocondriaque, mais dans un autre genre. C’est-à-dire que moi, je fais des examens non-stop, j’appelle tout le temps des médecins, etc. Tandis qu’elle, elle m’annonce qu’elle a un truc, que ce n’est même pas la peine d’appeler le docteur, car de toute façon elle va mourir.
- La Suisse, qu’est-ce que ça représente pour vous?
- Mes enfants, tout d’abord. Mes trois derniers habitent à Genève avec leur maman, qui est Suisse et à qui j’ai été marié plus de quinze ans. Mais la Suisse, c’est aussi pour moi Children Action. J’y suis justement venu la première fois en 1993 ou 1994 pour faire un spectacle pour cette association avec Michel Boujenah et Catherine Deneuve. C’est mon ami Bernard Sabrier qui a créé cet organisme. On fait des choses pour les enfants dans le monde entier. Il y a des gens très généreux et, à Genève, on récolte beaucoup d’argent quand on joue aux Forces motrices. Sinon, j’aime bien les montres aussi…
>> Le huitième long métrage de Dany Boon «La vie pour de vrai» sort en salle le 19 avril.