Ils se regardent, se tournent autour, poussent des grands cris, plongent au fond des lacs et ressortent avec des végétaux qu’ils s’offrent, dressés l’un contre l’autre, leurs têtes balançant d’un côté puis de l’autre. Il faut les voir, ces grèbes huppés, au printemps, danser l’amour dans les roselières des lacs suisses. Le dos sombre, les flancs aux reflets roux, le cou d’un blanc immaculé et la huppe flamboyante, ils sont plus de 1600 couples à parader sur le lac de Neuchâtel, pour le plus grand bonheur des promeneurs, car quiconque assistera à leurs rituels nuptiaux en restera ébahi.
Mais le grèbe n’est pas seulement un séducteur, c’est aussi l’un des meilleurs plongeurs de nos lacs. A défaut de bien maîtriser le vol (qu’il n’utilise que lors de la migration), le grèbe peut chasser jusqu’à 20 mètres de profondeur et rester plus de trois minutes sous l’eau. C’est d’ailleurs dans les fonds lacustres qu’il déniche sa nourriture: des petits poissons de moins de 10 cm et des insectes aquatiques.
Longtemps chassé par l’homme pour la beauté de ses plumes, qui étaient utilisées pour orner les chapeaux et autres coquetteries, le grèbe huppé est désormais une espèce protégée. Sa population est estimée à plus de 300 000 couples en Europe. La Suisse accueillerait, elle, environ 5500 duos dans ses lacs, habitat de choix de ces bipèdes, même en hiver. Beaucoup d’entre eux ont quitté l’Europe du Nord ces dernières années pour notre climat, plus clément.
Le recensement des grèbes huppés se fait bien souvent par paires. Car, exception dans le règne animal, le grèbe ne tombe amoureux qu’une seule fois et chaque année il retrouve sa moitié, son unique amant(e). Après s’être fait couvrir de cadeaux, la femelle se couche, le cou étiré horizontalement. Le mâle jaillit hors de l’eau et recouvre la femelle trois à quatre secondes avant de se jeter en avant dans une formidable éclaboussure. Ils construiront ensuite, ensemble, un nid flottant pour accueillir le fruit de leur amour, soit trois à quatre œufs. Malheureusement, ces nids fragiles seront souvent détruits lors des journées venteuses, et les couples installés dans la frange
de roselière la plus proche du lac auront peu de chances de préserver leurs œufs jusqu’à la fin de la période d’incubation (qui dure vingt-sept jours) et de voir naître leurs petits.
Couples égalitaires, les grèbes partagent les tâches ménagères. Ainsi, lors de la période d’incubation, mâle et femelle se relaieront pour couver et garder les œufs bien au chaud. Plus tard, lorsque les oisillons seront nés, c’est aussi à chacun leur tour que papa et maman promèneront leurs petits sur leur dos. Il se dit même qu’ils se choisiront chacun un chouchou, qui sera nourri en priorité sur les autres, pour être sûr qu’au moins deux oisillons de la portée
résistent à la sévérité de l’hiver
et puissent, eux aussi, l’année
suivante, participer au jeu nuptial le plus élaboré du règne animal.