«Que ce soient les trois communes de Crans-Montana, Icogne et Lens qui trouvent un repreneur ou CMA, ce n’est pas le plus important. Ce qui est capital, en revanche, c’est que le nouveau propriétaire s’engage à collaborer le plus étroitement possible avec les communes afin de ne pas répéter les erreurs du passé.» Alors que les premières giboulées ont blanchi les sommets, Nicolas Féraud lance un appel qu’il qualifie de cri du cœur. Treize ans après le rachat de la société des remontées mécaniques Crans-Montana-Aminona SA par le milliardaire tchèque Radovan Vitek, le président PLR de la cité du Haut-Plateau estime que l’heure est venue de tirer un trait sur ce partenariat souvent houleux et de repartir sur des bases saines. Via son associé et administrateur Philippe Magistretti, l’homme d’affaires praguois assure être prêt à vendre, mais a fixé un prix – 80 millions de francs – que Nicolas Féraud juge prohibitif pour les communes. Des noms de repreneurs potentiels circulent néanmoins en coulisses. En particulier, ceux d’un géant américain déjà engagé dans une quinzaine de stations huppées aux Etats-Unis et au Canada et d’une société émiratie basée à Abu Dhabi. D’autres compagnies du secteur et même des acheteurs privés semblent également avoir déclaré leur intérêt. Le point avec Nicolas Féraud.
- Des rumeurs assurent que la reprise de CMA est imminente, des noms de repreneurs circulent, qu’en est-il précisément?
- Nicolas Féraud: Personne ne peut empêcher des rumeurs de circuler. Mais lorsqu’un domaine skiable d’une station aussi réputée que la nôtre est à vendre, cela suscite forcément de l’intérêt. Mais à cette heure, nous ne sommes qu’au début d’un processus qui pourrait prendre du temps. Le temps presse pourtant. Par la voix de Philippe Magistretti, Radovan Vitek a affirmé que l’affaire devait se faire avant le 15 novembre sous peine de refermer le dossier pour dix ans… Il est vrai que dans l’intérêt de la station et pour assurer une bonne saison d’hiver, un deal rapide est souhaitable. C’est une partie de poker qui est engagée, avec tout le bluff que cela induit. En parallèle, CPIPG, la holding immobilière qui gère les actifs de M. Vitek, nous propose de lui racheter certaines infrastructures. Des parkings notamment.
- En parlant de la saison d’hiver qui se profile, il se murmure que CMA a licencié la plus grande partie de son personnel, ses cadres en particulier. Inquiétant, non?
- A ma connaissance, des restructurations sont effectivement en cours. CMA a sans doute de bonnes raisons d’agir ainsi et on ne peut qu’espérer que tout soit prêt à temps.
- Revenons au rachat des remontées mécaniques. On dit que la transaction pourrait buter sur ce prix de 80 millions de francs…
- En effet. Nous avons mandaté une société spécialisée qui a analysé la valeur des actifs; elle procède maintenant à l’expertise des installations. A nos yeux, la valeur demandée ne reflète pas la réalité, a peut-être même été doublée par rapport à celle-ci. En bon businessman qu’il est, M. Vitek oublie cependant que tout investisseur doit savoir prendre des risques et assumer les résultats de sa gestion.
- Au-delà du prix, il y a également le déficit récurrent qui plombe la société. Son déficit cumulé atteint 30 millions de francs, dont six pour la seule année 2021…
- Cette situation est inquiétante, mais elle est avant tout le résultat de la gestion de ses dirigeants. En quelques années, le chiffre d’affaires du domaine a passé de 26 millions à 15 millions et son EBITDA de +7 millions à presque rien. Avec de vrais professionnels aux commandes, la tendance doit pouvoir s’inverser.
- En réintégrant le Magic Pass par exemple?
- Pourquoi pas. A ce jour, on ne connaît pas les véritables raisons qui ont poussé CMA à quitter cette coopérative pourtant très lucrative.
- En clair, vous suggérez que vendre les remontées mécaniques à Radovan Vitek se révèle être une grosse erreur de casting?
- C’est votre interprétation. Ce que je dis, c’est qu’un domaine skiable doit être géré par de vrais professionnels du secteur. Ce que CMA, dans sa forme actuelle, n’est pas. Les chiffres et certains épisodes passés en témoignent. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous insistons pour que les recherches se concentrent sur des sociétés ou des personnes qui ont une solide expérience dans le domaine et les moyens de passer la vitesse supérieure en matière d’investissements.
- Vous avez de gros projets dans le pipeline?
- Nous estimons qu’il faudra investir 100 millions de francs pour rattraper le retard d’investissement, moderniser et développer le domaine d’ici à 2035. Une partie de ces investissements devra être réalisée avant les Championnats du monde de ski alpin qui se dérouleront en février 2027. C’est à ce prix que le domaine skiable de Crans-Montana pourra rester compétitif et attractif. J’ai bon espoir que les grandes sociétés intéressées partagent cette vision.
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- A vous entendre, on se demande pourquoi les six communes propriétaires des remontées mécaniques à l’époque ont voulu vendre leur bijou de famille à un trio d’investisseurs privés parmi lesquels Radovan Vitek est vite devenu majoritaire…
- La question est légitime. Face à une situation critique, les responsables en place ont sans doute estimé qu’il s’agissait de la meilleure solution pour assurer la pérennité de la société. Mais il ne sert à rien de refaire l’histoire.
- On a parfois le sentiment que, en Suisse, on accueille à bras ouverts des investisseurs étrangers lorsque la situation est critique puis on cherche à s’en débarrasser dès que les choses s’améliorent…
- C’est votre perception. En l’occurrence, notre jugement est fondé sur des actes et des chiffres qui démontrent que les gestionnaires actuels n’ont pas su prendre les décisions adéquates pour le développement de la société, et ne font pas preuve d’un grand enthousiasme lorsqu’on parle d’investissements.
- CMA a pourtant déclaré être prêt à jouer l’unité en vue des Championnats du monde…
- C’est exact. Et je lui en sais gré. Les Championnats du monde 2027 sont un sujet qui nous réunit tous. Mais pour l’instant, les modalités financières de l’organisation n’ont pas encore été entérinées.
- Vous avez un conflit personnel avec Radovan Vitek depuis la fermeture des installations en pleines vacances de Pâques, en 2018?
- Pas du tout. Mon travail est d’œuvrer pour le bien de la collectivité et de la station. Comme l’ensemble des acteurs touristiques de Crans-Montana, j’ai trouvé inacceptable l’arrêt des remontées mécaniques à ce moment-là! Et je ne parle pas du dégât d’image que cette fermeture a causé…
- Aujourd’hui, c’est tout de même lui qui tient le couteau par le manche. Personne ne peut empêcher Radovan Vitek de vendre CMA et les biens immobiliers que possède sa société à Crans-Montana au prix total de 220 millions de francs, comme il a évalué le package…
- C’est exact. Nous pouvons juste espérer que l’acheteur aura la sagesse de confier la gestion du domaine skiable à des gens compétents et de travailler main dans la main avec les autorités politiques et touristiques de Crans-Montana.
Le Giro 2023 à Crans-Montana
L’Ascension ou l’ascension? Les deux orthographes feront la paire le 18 mai 2023 puisque, en ce jeudi férié, les coureurs du Tour d’Italie rallieront vraisemblablement Crans-Montana au terme d’une ultime ascension de 15 kilomètres. Même si le secret est bien gardé, tout indique en effet que la caravane du 106e Giro fera halte sur le Haut-Plateau ce jour-là, avant de repartir de Sierre le lendemain. Une arrivée que les organisateurs, emmenés par l’ex-coureur professionnel valaisan Steve Morabito, auraient arrachée en déboursant 250 000 francs.
En pleine période touristique creuse, la station, très prisée par la clientèle transalpine, s’offrira un joli coup de projecteur et de pub quatre ans avant d’accueillir les Championnats du monde de ski. Après Lausanne en 1996 et Lugano en 1998, le Giro reviendra donc en Suisse et en Valais, soixante ans tout juste après sa dernière visite, à Loèche-les-Bains, en 1963. Crans-Montana a déjà accueilli plusieurs fois le Tour de Suisse et même le Tour de France, en 1984. Une arrivée restée dans la légende de la Grande Boucle grâce à la victoire en solitaire du grand champion français Laurent Fignon, qui avait ramené le maillot jaune sur les Champs-Elysées au terme de l’édition. Le parcours complet du Giro 2023 sera dévoilé le 17 octobre prochain.