Une énième commotion en 2017, et le ballon ovale qui gravitait au centre de sa vie, doit être remisé. C’est comme si le mot «fin» avait effacé plus de vingt ans de camaraderie en club (à Yverdon, puis à Nyon) et en équipe nationale. Et que faire de cette trentaine de week-ends par année sans les émotions et l’adrénaline des matchs et des après-matchs?
Ce grand vide, le Pulliéran Cyril Coulot, géographe actif à l’époque dans l’immobilier, tente de le combler d’abord avec le golf. Il trouve ça plaisant, mais insuffisant. Il suit alors le conseil d’une amie, elle-même lasse de le voir tourner en rond: apprendre la navigation à la voile. Miracle! Cette «hobbythérapie» entamée sans prétention sous le soleil corse estival puis prolongée sous la pluie bretonne de novembre débouche sur une résurrection sportive. Cinq ans seulement après avoir posé pour la première fois le pied sur le pont d’un voilier, l’ancien troisième ligne du LUC Rugby s’est inventé une seconde vie baptisée «Cyril en mer»: il a quitté son job, acheté son propre voilier de course d’occasion, déniché des sponsors, s’est installé en Bretagne et aligne depuis cette année les courses au large avec des résultats prometteurs et un objectif majeur à l’horizon 2025: la Mini Transat, c’est-à-dire LA course en solitaire réservée, chaque année impaire, à ces petits voiliers de 6,50 m.
S’il ne s’était pas méchamment blessé l’année passée lors d’un entraînement physique, le Pulliéran de 37 ans serait d’ailleurs en train de la préparer, cette Mini Transat 2023 qui partira le 24 septembre prochain des Sables-d’Olonne à destination de la Guadeloupe, via les Canaries. Mais, faute d’avoir pu satisfaire les impitoyables exigences d’inscription, il participera finalement à l’édition de 2025. «Ce n’est peut-être pas plus mal, se console-t-il, car ce que je voyais plutôt comme un «projet-aventure». à un seul coup. s’est transformé avec ce délai de deux ans en un projet de longue haleine. J’étudie donc la météo, je me documente sur tous les aspects de cette compétition, je développe différentes compétences.»
Initiations corses et bretonnes
Le Breton d’adoption nous invite à bord de son Mini pour tirer quelques bords au large de Concarneau. Dans cette brise irrégulière, le marin restera concentré durant toute la sortie, un brin préoccupé aussi par son pilote automatique en panne alors qu’il doit prendre le départ d’une grande course dans quelques jours. Soudain, un groupe de petits dauphins communs longent la coque, bondissent brièvement hors de l’eau, passent sous l’étrave et disparaissent. On les identifie à l’étonnante coloration chamois de leurs flancs. Signe de la capacité d’émerveillement intacte du marin pour la mer, le skipper se dira quelques minutes plus tard, en aparté: «C’était cool, ces dauphins.»
Même s’il doit désormais penser à tout, à l’entretien de son bateau, aux sponsors qui manquent encore pour boucler le budget, le Vaudois a visiblement conservé l’état d’esprit de la vision inaugurale qui, en septembre 2018, l’a convaincu: «C’était merveilleux, une véritable révélation, cette vie en mer, en maillot de bain, au chaud.» Un soir, lors d’un mouillage dans la baie de Bonifacio, il voit un homme seul à bord de son voilier qui jette l’ancre à quelques encablures. «Je trouvais déjà enviable qu’il sache naviguer seul. Mais quand je l’ai vu gonfler sa voile et partir faire quelques bords avec son kitesurf, c’était la liberté que j’avais sous les yeux. Oui, j’ai vraiment réalisé ce jour-là que la voile, c’est la liberté totale.»
Après trois bonnes heures de navigation détendue mais toujours attentive, il est temps de rentrer au port. L’expédition nous a permis à la fois de vérifier l’absence quasi totale de confort à bord de ce Mini et de mesurer l’exploit que représente le fait de traverser seul l’Atlantique en deux étapes et en un mois de navigation à bord d’un si frêle esquif.
Le skipper rejoint sa compagne dans une petite maison qu’ils louent près des magnifiques plages à l’ouest de Concarneau. Cette région a conservé le charme de ce qui rend la Bretagne unique. Cécile Hoynant est une journaliste et photographe française spécialisée dans la voile. Cette vraie experte a notamment publié un manuel de matelotage et écrit des articles dans la presse spécialisée. Elle possède elle-même un voilier habitable sur lequel elle passe des semaines entières en famille. Quel regard porte cette navigatrice de longue date sur la trajectoire atypique de son compagnon?
«En fait, ce n’est pas si rare dans la voile, ce type de reconversion un peu tardive. Pour les «voileux» venus d’ailleurs, comme lui, le gros défi, c’est de faire une Mini Transat. Ce qui est atypique chez lui, en revanche, c’est que Cyril est plus un citadin qu’un montagnard. Le rugby, ce n’est pas un sport «outdoor». Il n’aime pas vraiment avoir froid, même s’il a mis des mois à s’acheter une bonne veste de quart et qu’il navigue en short de rugby et en Crocs. C’est un peu un Martien. Et en plus, il se caractérise par une grande sociabilité, dans un monde de la voile où les taiseux sont plutôt la norme.»
La solitude des marins de Mini
Et quel crédit accorde-t-elle à son compagnon comme marin, après ses cinq ans d’apprentissage? «Je crois qu’il a tous les atouts pour devenir un très bon marin. Il a notamment la capacité de ne penser plus qu’à son projet et de n’agir qu’en fonction de celui-ci», le taquine-t-elle avant d’ajouter: «Il faut reconnaître qu’en Classe Mini votre équipe, c’est vous-même d’abord et, souvent, votre conjoint. Cette solitude rend l’aventure parfois obsessionnelle. Reste que Cyril est un compagnon agréable, dynamique, jovial, qui sait transmettre son enthousiasme.»
Entre les périodes de courses, Cyril s’efforce d’embarquer dans son odyssée un ou deux sponsors supplémentaires. Il lui manque en effet un apport de 40 000 euros afin de boucler le budget de 120 000 euros. Les entreprises qui ont déjà affiché leur logo sur le Mini suisse ont été séduites par l’originalité de ce transfert sportif des mêlées aux marées, de cette trajectoire personnelle qui démontre que la résilience n’est pas un concept... bateau.
>> Plus d'informations sur sa participation à la Mini Transat: www.cyrilenmer.ch