Live Instagram: rejoignez-nous ce mercredi à 18h pour parler cyberharcèlement avec nos invités sur le compte Instagram de «L’illustré»
«Plus tu as d’abonnés, plus tu as droit à ton lot d’enragés»
Birdyy, 26 ans, Genève
Dans son bureau à Carouge, Cédric Matjabo, «aka» Birdyy, est accompagné de toute son équipe pour notre entretien: de sa «community manager» à sa styliste. Avec plus de 1,3 million d’abonnés sur sa page YouTube, l’influenceur de 26 ans est une figure du canular dans toute la francophonie. Depuis ses débuts, il a développé une «fanbase» fidèle qui attend la sortie de chacune de ses «prank videos». «Plus tu as d’abonnés, plus tu as droit à ton lot d’enragés. J’ai quitté Twitter, par exemple. Sur ce réseau, c’est dingue, j’étais une proie», lâche avec un sourire désabusé le Genevois. Les insultes qu’il reçoit sont souvent à caractère raciste: «Sale Noir!» Mais lui, il les scrolle d’un revers du doigt. «Je ne conserve pas les captures d’écran dans mon iPhone. Pourquoi je perdrais du temps à les profiler alors qu’eux, après avoir mis en ligne leur post haineux, ils m’oublient et partent faire du sport?»
De son premier message négatif en mode «Tu es un clochard» à ce qui atterrit dans sa boîte de réception aujourd’hui – car les gens prennent le temps de lui envoyer des e-mails vindicatifs –, il constate que la haine n’évolue pas. «Le contenu des commentaires de 2022 reste le même que celui de 2010. Ça tourne en boucle!»
Il revient sur un «bad buzz», il y a deux ans, dont il garde encore un souvenir amer. Victime d’un raid d’abonnés qui soutenaient une autre influenceuse à la suite d’un conflit personnel, il reçoit plus de 30 000 messages haineux en une soirée. Ses proches s’inquiètent. «Tu fais quoi? Ma solution: montrer que je m’en fous. Je déconseille fortement de faire une vidéo de réponse.» Et depuis, il désactive les notifications.
«Il ne faut pas avoir peur de parler de la violence du cyberharcèlement, car tout le monde la vit. Si tu es fort d’esprit, tu gères, mais un mauvais commentaire peut détruire quelqu’un, le tuer», avertit Birdyy. Aux futurs youtubeurs, il conseille de se préparer mentalement à subir «des vagues de haine, car tout peut aller très vite». Surtout sur de nouvelles plateformes comme TikTok, qu’il décrit comme «un espace de tout et n’importe quoi». «C’est la voie libre vers la catastrophe!» L’humour et la dérision comme moyens de défense ont leurs limites. Entre deux prises photo, il raconte qu’un inconnu a mis le feu à sa porte. «Je ne crois pas à la justice, alors je n’ai même pas porté plainte. Que vont-ils faire face à tout ça?»
>> Lire aussi: Le business des influenceurs, comment ça marche?
«Les gens sont impitoyables parce que je crée un espace d’expression pour les femmes»
Nidonite, 26 ans, Fribourg
A Fribourg, dans l’appartement de Nida-Errahmen Ajmi, plus connue sous son pseudonyme Nidonite, sa fameuse combinaison de moto est toujours suspendue à côté de ses voiles. A 26 ans, la jeune illustratrice de confession musulmane détonne avec ses dessins, mais aussi pour ses interventions dans la webosphère. «En existant, je milite. C’est parfois fatigant», commence-t-elle. «Dès que tu commences à avoir des gens qui te suivent sur les réseaux, il y en aura pour critiquer ton identité digitale. Les influenceurs deviennent un symbole rigide et certains projettent leur combat, leurs frustrations et même leurs peurs», analyse celle qui conserve parfois les messages injurieux comme preuves.
«Je rêverais d’étudier la sociologie de cette population cachée derrière son écran, de créer une géographie des profils et de sortir un glossaire de leurs arguments si peu construits», planifie Nidonite. La Romande collecte du matériel depuis le début de son activité, en 2016. «Pour moi, ils sont comme des chiens qui aboient mais qui ne mordent pas. Moi, je mords, par contre, et je n’hésiterais pas à utiliser la voie légale», ajoute-t-elle.
Comme de nombreuses influenceuses féministes, elle est souvent menacée de mort. «Un youtubeur, l’année passée, a rigolé face caméra en disant qu’il fallait me jeter du sommet du col de la Forclaz. Les gens sont impitoyables surtout parce que je cherche à créer un espace d’expression pour les femmes. Alors évidemment, je subis.» Son premier compte Instagram a par exemple été banni à la suite d’un raid de «haters» qui l’ont faussement signalé en masse. Imperturbable, elle ouvre un nouveau compte. «Grâce à eux, vu que mon compte a été réhabilité, je suis doublement présente aujourd’hui.» Elle cumule près de 70 000 abonnés.
Quand elle se sent submergée par trop d’attention numérique, elle s’éloigne des réseaux pour mieux revenir. «Avec mon sarcasme, j’ai tendance à minimiser, mais les conséquences peuvent être très graves. Les yeux des gens pèsent sur nos épaules», dit-elle avec une touche de poésie. Elle ressent par moments de l'isolement, mais pas de déprime. «Je suis consciente que j’ai construit une armure. Les vagues de haine ne me font rien, car je ne le prends pas comme une attaque personnelle. Par contre, observer la stupidité des gens sur internet, oui, ça me touche.» La Fribourgeoise sait que le cyberharcèlement continuera de la prendre pour cible, de par son statut. «Je suis une femme racisée aux origines tunisiennes qui porte une religion controversée. Je dérange aussi bien les islamophobes que les extrémistes musulmans.»
«On dirait que les «haters» sont investis d’une mission, car ils reviennent à la charge»
Sami Loft, 19 ans, Lausanne
Le jeune Lausannois de 19 ans nous accueille chaleureusement avec un thé et des pâtisseries iraniennes, pays d’origine de son père. Il y a six ans déjà, il a ouvert sa première page YouTube, consacrée aux produits Apple. L’étudiant lance ensuite la chaîne Ne dites pas ça à Siri, une série de courts métrages humoristiques. Cent septante-cinq mille abonnés plus tard, chaque vidéo est vue entre 2 et 3 millions de fois. Avec le succès viennent les 10 000 commentaires par publication, dont certains très virulents.
«Depuis que je me suis montré en ligne, c’est un défilé. J’ai toujours fait face à des vagues de haine. Les insultes se ressemblent: sale PD, tarlouze et d’autres attaques sur mon physique», résume Sami Loft. Pour s’en protéger, il tente d’installer Bodyguard, une application automatique de modération de commentaires haineux. Mais les internautes la détournent facilement. «Des «haters» achetaient même des paquets de «dislikes» pour me perturber, raconte encore celui qui a pris aujourd’hui beaucoup de distance avec ce type de comportement. Je ne m’attarde plus sur ces profils, mais je sais que certains reviennent à la charge. On dirait qu’ils sont investis d’une mission et me traquent sur tous mes
réseaux.»
Sur TikTok, où il a 1 million d’abonnés, il choisit de montrer un aspect plus lifestyle, proposant des tutoriels de couture ou des conseils «foody». «Statistiquement, j’ai bien plus de commentaires négatifs, mais je ne les vois presque plus. Je sais aussi d’avance le type de réactions homophobes que mon post va engendrer.» Résilient mais concerné, il revient sur une publication violente qu’il a reçue en 2021: une menace de mort par vidéo. «Ce n’est pas la première fois, mais, là, le gars a fait un montage avec les images d’un jeu de tir où tu vois qu’ils nous assassinent avec l’un des mes amis», nous montre l’influenceur sur son smartphone.
Malgré l’intensité du flux négatif qu’il reçoit, Sami Loft n’en a jamais parlé à sa famille, ni à un psychologue. «Je n’ai pas eu envie de quitter les réseaux sociaux. Mais mieux vaut éviter les contenus politisés.» Il confie également n’avoir jamais porté plainte. «Il y a si peu de moyens d’action.»
«Si je suis embusquée, j’arrêterai de m’exposer. Je ne veux pas me rendre malade»
Anna Maradan, 26 ans, Lausanne
A Lausanne, Anna Maradan nous reçoit dans son appartement lumineux où elle filme ses nombreuses publications. A 27 ans, elle travaille encore à temps partiel dans l’administration, mais développe ses activités d’influenceuse sur Instagram. En cinq ans, elle s’est construit un réseau solide, évoluant dans le créneau mode et beauté. C’est sa communauté française qui commente le plus ses productions.
Et jusqu’à présent, la jeune femme est passée entre les gouttes des meutes de trolls. «J’ai évidemment reçu de petites attaques sur mon physique, mais je n’ai pas encore subi de flot de commentaires violents», réalise l’instagrameuse, consciente de son privilège. Elle avoue effacer les quelques messages négatifs, comme pour ne pas laisser cette trace sombre sur son profil. «Je bloque aussi les utilisateurs problématiques et tous les comptes que cette personne peut créer.»
Elle sait par contre que tout peut basculer en quelques clics qui attisent les «haters», à l’affût d’une prochaine cybervictime. «C’est un peu de l’autocensure, mais j’évite certains contenus pour ne pas être lynchée, comme le fait de parler de la pandémie. Moi, c’est par conviction, mais je sais aussi que des influenceuses refusent de travailler avec des marques de fourrure pour ne pas provoquer la colère des militants pour la protection des animaux.»
Anna Maradan observe que, sur la Toile, les utilisateurs se permettent un langage plus acide, que peu utiliseraient dans le monde non virtuel. «Si je suis embusquée par des «haters», j’arrêterai de m’exposer sur les réseaux. Je ne veux pas me rendre malade alors que c’est une activité basée sur des échanges bienveillants.»
>> Lire aussi: Cyberharcèlement: la fin de l’impunité pour les «Haters»?
>> Pour en parler plus longuement, rendez-vous le mercredi 9 février à 18 h en direct sur le compte Instagram de «L’illustré» en compagnie des influenceurs Birdyy, Nidonite et Sami Loft.