Saint-Martin, au cœur du val d’Hérens, Sion. Puis Sion-Cointrin, Genève-Paris, Paris-Bombay, Bombay-Goa et, histoire de finir en beauté, deux heures de voiture sur des chemins tortueux et bien cabossés pour rallier Mandrem, petit village côtier de l’ouest indien réputé pour ses plages et ses cures ayurvédiques (voir ci-contre). Vingt-quatre heures à courir après un train, un avion, un taxi, une info. Décalage horaire non compris et avec, en prime, un choc thermique de +35 °C.
A l’aube de ses 94 ans, qu’elle fêtera le 22 avril prochain, vous imaginez sans doute que Germaine Cousin a vécu le calvaire entre le 25 et le 26 novembre dernier. Pensez donc. De la tarte plutôt à la croire. «A chaque escale, de gentils messieurs m’ont baladée en chaise roulante et Frédérique, mon infirmière préférée, s’est occupée des bagages et des formalités.» Moralité, pour la vieille dame de fer, se réfugier derrière les tracasseries et la durée du voyage pour renoncer à ce dernier n’est qu’une échappatoire. «Excuse non valable!»
D’ailleurs, la truculente «fée de l’or vert», comme on la surnomme en Suisse romande, entend bien remettre ça l’année prochaine et les années suivantes puisque, elle l’a décrété unilatéralement, le compteur de sa vie dépassera allègrement les 100. Tout juste reconnaît-elle, dans un sursaut d’indulgence, que l’affaire n’est peut-être pas à la portée de tous ses contemporains.
«Mais quand on a grandi en montagne aux côtés de treize frères et sœurs, qu’on s’est relevée d’un accident de luge censé me laisser paralysée à l’âge de 12 ans et qu’on a vaincu une tumeur maligne sur un rein à près de 80 ans, on est sans doute plus obstinée que les autres», évalue avec son accent chantant l’habituée des plateaux de la RTS. «Un vrai caractère. Volontaire et déterminée, mais tellement pleine de bon sens et de connaissances», confirme Frédérique, l’infirmière ASDR (Aide et services à domicile romand) qui l’accompagne depuis deux ans et demi.
Le grand nettoyage
A l’heure des retrouvailles, dans sa clinique ayurvédique indienne, le 5 décembre dernier, cela
fait déjà dix jours que Germaine se fait dorloter, choyer, materner par les masseuses et autres thérapeutes «aux doigts de fée». Résultat, «l’été prochain, je pourrai descendre du mayen
à pied, c’est sûr. Fini le transporteur», annonce-t-elle, péremptoire, avant même de nous dire bonjour. Le visage irradié par un sourire éclatant, la nonagénaire apparaît plus sémillante et pétillante que jamais.
A l’entendre, tous ses petits maux inhérents au temps qui passe ont quasiment disparu. Même sa surdité, pourtant assez sévère, semble battre en retraite à force d’huiler les rouages. Et puis, grâce à son régime adapté à son dosha, quelques kilos ont fondu. Que du bonheur pour l’insubmersible Valaisanne, qui rêvait de cette cure depuis des lustres. «En Suisse, j’en fais deux par année. Au printemps et à l’automne, avec mes préparations à base de plantes. Mais là, c’est autre chose. C’est le grand nettoyage, la détoxification complète, un rééquilibrage physique, mental et émotionnel pendant deux semaines et demie.»
L’ayurvéda, quèsaco? Littéralement «science de la vie», c’est la plus vieille médecine du monde. «Elle est née au cœur de l’Inde, il y a cinq mille ans», explique le docteur Rohit Borkar, qui suit la curiste de Saint-Martin au quotidien. Une «patiente» pas tout à fait comme les autres, confirme-t-il dans un sourire entendu. «Madame Cousin possède un cœur, une vivacité d’esprit et une positivité incroyables pour son âge. J’ai déjà vu quelques personnes âgées à la clinique, mais aucune ne se trouvait dans une forme pareille.»
Une santé que la Valaisanne dit aussi puiser dans les arbres de nos forêts. «Ils paraissent figés, mais dégagent une force incroyable. Je les enlace pendant mes promenades. Les racines nous apportent leur énergie, le tronc et les branches celle du cosmos», assure-t-elle.
En Inde, rien de tout ça. Tout commence par une consultation. Prise de pouls, observation de la langue, de la peau, de la morphologie, questionnaire détaillé sur les habitudes alimentaires, la digestion, l’état d’esprit, les douleurs du moment. Des informations qui permettent au médecin de déterminer le fameux profil dosha de la personne. Plutôt vata-pitta ou pitta-kapha, par exemple.
Et là, pas de surprise. Germaine appartient à la première catégorie. On aurait presque pu le deviner sans être médecin, juste en lisant les données caractérisant les individus de ce groupe. «Vous êtes doté d’une énergie intense. Pensez à un brasier: ses flammes sont vives et difficiles à apaiser. Des étincelles jaillissent. D’une nature déterminée, le tempérament pitta, dominé par le feu, n’a peur de rien.» Tout Germaine en somme…
«J’ai rajeuni!»
Dans ce village perdu aux confins de la mer d’Oman colonisé par les touristes russes, l’auteur du best-seller «Les remèdes de grand’mère ne se perdront pas», qui se bat pour transmettre son savoir encyclopédique sur les bienfaits des plantes, a vécu une sorte de renaissance. Regain d’énergie, détente profonde, sommeil de plomb, problèmes articulaires soulagés, voire réglés, la cure l’a régénérée, rajeunie même, dit-elle en rigolant. «Malgré la fatigue du voyage du retour, l’effet du décalage horaire et le changement drastique de température, je l’ai retrouvée dans une forme étincelante», témoigne, au téléphone, Raymond, son enfant unique, lui aussi tombé dans la marmite des végétaux dès son enfance.
Un fils qui se met à rire quand on lui demande pourquoi sa mère ne répond pas à son portable. Et pour cause. «Je l’ai à peine vue depuis qu’elle est rentrée. Aujourd’hui, elle dédicace son livre à Sion et ensuite, deux jours durant, elle participe à un grand événement autour du film «Human», de Yann Arthus-Bertrand, dans lequel elle a témoigné avec d’autres femmes du canton.»
Pas sûr que le traitement réservé aux vata-pitta, aussi bénéfique soit-il, ait déployé tous ses effets modérateurs sur notre grand-mère hors norme. Entre deux séances de yoga et un massage, entre deux conférences et deux interviews, elle court, elle court Germaine…