«Il n’y a plus aucun espoir de retrouver des survivants.» Dimanche soir, Andreas Tobler, chef de la police cantonale des Grisons, avait le visage sévère devant les caméras de télévision à Flims (GR). La veille, peu avant 17 heures, le destin n’a laissé aucune chance aux deux pilotes chevronnés d’un vieux Junkers, anciens commandants de bord de Swissair, de Swiss et d’Edelweiss Air, âgés de 62 et 63 ans. Ils n’auront eu le temps d’aucun appel de détresse, ni de tenter le moindre atterrissage d’urgence. Leur appareil s’est écrasé sur les hauteurs de Flims contre le Piz Segnas, à cinq cents mètres environ de cette montagne des Grisons culminant à 3099 mètres, faisant 20 morts, tous tués sur le coup. Des victimes, onze hommes et neuf femmes, âgées entre 42 et 84 ans, parmi lesquels plusieurs couples suisses alémaniques, et un du canton du Vaud, partis de Locarno quarante-cinq minutes plus tôt après une paisible randonnée au Tessin.
La Suisse, toujours traumatisée par les 229 morts du Swissair 111 au large d’Halifax il y aura tout juste vingt ans le mois prochain, n’avait plus connu pareille catastrophe sur son territoire depuis le crash du Jumbolino de Crossair peu après son décollage de Zurich, à Bassersdorf, le 24 novembre 2001, faisant 24 morts. Le nouveau drame du Piz Segnas offre du même coup un record insolite: le crash du plus vieil aéronef encore en fonction du monde, un avion âgé de 79 ans!
Le Ju-52, comme l’appellent les amoureux de l’aviation, était un coucou au passé légendaire. Il faisait le bonheur de randonneurs du dimanche qui s’offraient volontiers le frisson de bouffées de nostalgie. Un appareil sorti des usines en 1939, comptant plus de 10 000 heures de vol, restauré par des passionnés de l’histoire de l’air et qui avait passé toutes les certifications de l’aviation civile (OFAC). L’appareil accidenté était un des quatre «Tante Ju» de l’association JU-AIR, amicale regroupant des amis de l’armée suisse, créée il y a près de cinquante ans. On l’avait même vu apparaître au cinéma dans Quand les aigles attaquent de Clint Eastwood mais aussi dans Walkyrie avec Tom Cruise en 2008. Moins connu cependant et moins glorieux: c’était le modèle d’avion préféré d’Adolf Hitler, avec lequel il effectuait tous ses déplacements durant la Seconde Guerre mondiale – il apparaît notamment dans de nombreux films des actualités du IIIe Reich.
Reste à connaître les causes de ce drame. Sans boîte noire sur ce modèle d’antiquité volant, saura-t-on un jour toute la vérité? Les spécialistes de l’aviation semblent tous s’accorder sur un facteur aggravant: la température élevée qui, en cette période de canicule, offre une moins grande densité de l’air, par conséquent une portance et une puissance forcément réduites. L’aéronef a tapé à la verticale, à une vitesse relativement élevée. Des témoins oculaires ont vu tomber le trimoteur comme une pierre, laissant à penser que le Ju-52 a bien décroché. Christian Gartmann, responsable de la communication de l’association JU-AIR, tient à relativiser, excluant d’ores et déjà la panne d’essence, mais laissant ouverte la possibilité d’une panne de moteur ou d’une éventuelle erreur humaine: «Il faut tenir compte aussi des conditions venteuses et des rafales, des turbulences, d’une diminution de la vitesse. Ils étaient en vol de croisière, pas en phase de décollage. Ils ont peut-être été pris dans un orage et ont tenté de faire demi-tour. L’avion était à sa capacité maximale et on ne le manœuvre pas aussi aisément et rapidement que les autres aéronefs.»
Lundi, les premières familles de victimes commençaient à arriver à Flims, station la plus proche des lieux du drame.