Certains magazines aiment encore les appeler des «cougars». Sur le site de L’Officiel américain, un article récent consacré à «sept couples cougars célèbres» présente ainsi des duos amoureux où la femme est plus âgée que son compagnon. Y figurent la top-modèle Miranda Kerr, 38 ans, et son mari, le magnat de la Silicon Valley Evan Spiegel, 31 ans. Ou encore l’actrice Cameron Diaz, 47 ans, et le musicien Benji Madden, 42 ans. Sept ans d’écart dans un couple. Cinq dans l’autre. Pour qualifier une femme de mammifère carnivore en voie de disparition, moins de dix ans de différence suffisent.
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Mais l’écart semble beaucoup plus grand quand la presse décide de s’intéresser aux couples où l’homme est plus âgé. Ainsi, dans un article de l’année consacré à ce phénomène, on peut trouver: l’acteur Leonardo DiCaprio, 46 ans, et la top-modèle Camila Morrone, 24 ans, l’acteur Nicolas Cage, 57 ans, et la comédienne Riko Shibata, 26 ans, ou encore l’acteur Dennis Quaid, 67 ans, et sa nouvelle épouse, la diplômée en comptabilité Laura Savoie, 28 ans. Soit trente-neuf ans de différence entre ces derniers. «Je n’ai pas intentionnellement cherché quelqu’un de beaucoup plus jeune que moi, a récemment confié Dennis Quaid dans le quotidien britannique The Guardian. On ne contrôle pas de qui on tombe amoureux.» Hélas, un peu…
Car si l’amour est un sentiment véritable, l’âge reste une donnée importante dans le recrutement amoureux, qui répond à ce que les sociologues appellent la norme de l’asymétrie sexuée. Celle qui fait que l’on braque les projecteurs sur une personnalité publique de sexe féminin dès qu’elle a cinq ans de plus, mais que l’on ne lève un sourcil qu’à partir du moment où l’homme a vingt, voire quarante ans de plus.
Dans la population générale, l’écart d’âge est souvent moins spectaculaire: selon le recensement de 2018 de l’Office fédéral de la statistique, les couples hétérosexuels du même âge représentent 28%, les couples où l’homme est plus âgé, 59%, et ceux où la femme est l’aînée, 13%. Dans les couples où le partenaire est plus vieux, la différence d’âge moyenne est de 4,8 ans. Et dans 8,6% des cas, il a dix ans d’écart ou plus. Dans les couples où la femme est née avant, la différence moyenne est de 2,9 ans. Et dans 1,4% des cas, elle a dix ans d’écart ou plus.
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«La différence d’âge est une vraie question sociétale dans la mesure où les femmes qui se permettent de vivre avec un compagnon beaucoup plus jeune reçoivent des remarques constantes, alors que ce discours n’existe pas vis-à-vis des hommes», note Catherine Grangeard, psychanalyste et psychosociologue, autrice d’Il n’y a pas d’âge pour jouir (Ed. Larousse). «Derrière la critique à leur égard, c’est la sexualité des femmes au-delà de 50 ans qui est interrogée. Car le désir sexuel féminin, encore aujourd’hui, n’est pas aussi bien accepté que celui des hommes. Même lorsqu’une femme plus âgée que le compagnon est louée, on la dit «audacieuse», comme si elle transgressait la norme. A force, les femmes intériorisent celle-ci et ont moins envie de former ce genre de couple. Elles sont surtout plus dans la gêne vis-à-vis de leur corps vieillissant.»
Dennis Quaid a beau s’en remettre à la magie du coup de foudre, la sociologue Marie Bergström, en analysant les échanges sur les sites de rencontre, a également démontré une «hiérarchie sexuée» de l’âge. Surtout dans le cadre des unions tardives. Ainsi, sur Meetic, si les deux sexes indiquent, passé la trentaine, une ouverture similaire à la différence d’âge (une moyenne de 13,8 ans entre l’âge minimum et l’âge maximum pour les hommes, et 10,9 ans d’écart toléré du côté des femmes), les données prouvent qu’en vieillissant les hommes «manifestent un intérêt de plus en plus marqué pour les femmes plus jeunes: de 2,2 ans en moyenne quand ils ont 18-24 ans, à 7 ans à 60-70 ans», écrit-elle dans un article scientifique. Les échanges en ligne montrent surtout que les hommes de plus de 40 ans contactent «très largement des femmes plus jeunes».
L’analyse de Marie Bergström concernant ces velléités de trouver leur ex en plus jeune? Ils ont souvent, à partir de cette période de la vie, un «âge social» différent de celui de leurs artères. Soit un âge attribué par les autres et un âge subjectif (le fait de se sentir jeune ou vieux) frétillant. Du fait notamment de l’attribution de la garde des enfants de l’union précédente échouant encore majoritairement aux mères… A ces dernières, une «attitude pragmatique du couple» lors de leur retour sur le marché du cœur, et donc la recherche d’un compagnon leur ressemblant, et aux hommes, des «aspirations plus idéalistes».
«Objectivement et subjectivement plus «libres», ils sollicitent des femmes qu’ils identifient comme l’étant également», conclut la sociologue. Résultat: sur Meetic, les femmes séniors sont largement ignorées par les hommes de leur âge. Et les productions culturelles qui marquent l’inconscient collectif n’aident pas à changer la donne. Une enquête du quotidien français Le Monde sur les écarts d’âge au cinéma note ainsi que Daniel Auteuil passe son temps à jouer un sénior «marié ou divorcé» fantasmant sur une femme de dix à vingt-cinq ans de moins (dans les films: Je l’aimais, L’un reste, l’autre part, Entre amis, Amoureux de ma femme). Tandis que les partenaires de Dany Boon rajeunissent au fil du temps (pas lui).
Selon la sociologue Gwénaëlle Le Gras, spécialiste des star studies (l’étude de la représentation des stars dans le champ médiatique) et coautrice de L’âge des stars. Des images à l’épreuve du vieillissement (Ed. L’Age d’Homme), 40 ans est même «un âge pivot» pour les femmes à l’écran, souvent contraintes d’évoluer dans le seul registre de la séduction. «Depuis les années 2010, on voit quand même des personnalités féminines former des couples avec des hommes plus jeunes à l’écran, car, au-delà d’un certain niveau de pouvoir, les femmes arrivent à un traitement plus proche de celui des hommes. Le genre est un premier critère de tri pour l’ensemble des actrices, mais quand elles arrivent à maintenir leur pouvoir, et même l’accroître, elles passent de partenaires plus âgés à plus jeunes. Souvent aussi, il s’agit de femmes dont le physique est perçu comme répondant aux normes de jeunesse. Du côté des acteurs, le standard est différent: même en prenant de la bedaine, ils peuvent se permettre de s’afficher avec des femmes de vingt ou trente ans de moins.»
Si l’écart d’âge est souvent moins spectaculaire dans les couples à la ville, il reste encore majoritairement «en faveur» des hommes et participe à une «ascendance patrimoniale», constate Céline Bessière, professeure de sociologie et coautrice du Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités (Ed. La Découverte). «Cet écart crée une séniorité qui a une incidence, affirme-t-elle. C’est-à-dire que la carrière professionnelle du conjoint va pouvoir l’emporter sur celle de la femme, puisqu’il sera mieux payé, du fait de son ancienneté. Dans les choix de vie géographiques aussi, la décision du lieu où l’on s’installe va souvent dépendre de cette séniorité. L’âge assure un pouvoir économique aux hommes dans leur couple.»
Ainsi, l’écart de revenu français entre hommes et femmes en couple est de 42%, quand il est de 25% dans l’ensemble de la société. Et pourtant, ce sont les femmes qui, statistiquement, plébiscitent toujours un conjoint (légèrement) plus âgé. «Dans les critères amoureux, la définition d’un bon conjoint s’accompagne toujours d’une maturité économique, incarnée par l’âge. Il y a encore cette idée qu’un conjoint bien installé dans la vie est désirable», poursuit la sociologue. Mais les femmes sont désormais plus diplômées que les hommes, et tout pourrait changer.
«La tendance est à la transformation de la norme dans le sens d’une réduction de l’écart d’âge», confirme Wilfried Rault, chercheur à l’Institut national d’études démographiques français et spécialiste de la formation des couples, qui étudie actuellement les unions homosexuelles. Dans ces couples, l’écart d’âge moyen est plus important: sept ans pour les hommes et cinq ans et demi pour les femmes. Du fait d’un marché de la rencontre plus restreint: «Cela est dû à la condition minoritaire. Vous avez des personnes dont l’homosexualité n’est pas publique lorsqu’elles sont dans le cadre scolaire ou universitaire, par exemple, ce qui rend plus difficile de s’appuyer sur ce contexte du quotidien pour faire des rencontres. Elles vont alors dans des espaces dédiés aux sociabilités LGBT, où se côtoient des personnes avec une plus grande diversité en termes d’âge. Mais une plus grande visibilité de l’homosexualité permettra de faire des rencontres à des âges plus jeunes.»
Et tendre vers des couples plus égalitaires en termes d’âge? Au cinéma, une nouvelle représentation est également apparue, selon Gwénaëlle Le Gras: «Dans les films, on voit de plus en plus de couples, la cinquantaine tous les deux, évoluer ensemble dans le champ du désir. Ils ont le même âge et sont montrés comme toujours actifs sexuellement tous les deux.» Un futur rôle pour Dennis Quaid?
Des représentations à sens unique
Au cinéma, les acteurs ne vieillissent pas, grâce à des partenaires toujours plus jeunes au fil de leurs anniversaires civils. Ce procédé perdure décennie après décennie. La preuve.