Le coronavirus a totalement bouleversé les relations de couple. Que l’on soit forcés de cohabiter toute la journée à la maison ou séparés en attendant la fin de la pandémie, cette situation n’est pas toujours simple à vivre. Elle peut même avoir des conséquences dramatiques: le confinement est un terreau propice aux violences conjugales et intrafamiliales.
Comment entretenir la flamme en ces temps de crise? Que faire face aux violences domestiques?…
Pour en discuter, nous vous avons proposé un échange avec Jacqueline Gay-Crosier et Marie-France Courvoisier. Conseillères conjugales et thérapeutes de couple, elles exercent pour le CSP Vaud, dont la consultation couple et famille fait partie du programme cantonal d’aide et de conseil pour les couples avec son partenaire Profa. Découvrez leurs réponses ci-dessous.
Constatez-vous une augmentation des violences ou des consultations de ce type avec le confinement? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Ce n’est jamais simple de témoigner – j’imagine – lorsqu’une personne est victime… Surtout en étant 24h sur 24 avec le partenaire et les éventuels enfants… (Julie)
Marie-France: Cette période de confinement augmente effectivement les situations de tensions.
S’il y a présence de violence, il est impératif de demander de l’aide et de ne pas rester seule dans cette situation.
Vous trouvez sur le site www.violencequefaire.ch beaucoup d’informations et d’adresses.
Dans le canton de Vaud, vous pouvez vous adresser aux consultations spécialisées au numéro 021 620 76 76 ou sur www.vd.ch/violence-domestique
Il est du devoir de chaque parent de se protéger soi-même et de protéger ses enfants.
Le 147 est une ligne à disposition des enfants.
Je suis proche d’une rupture en raison du stress lié au confinement. Cette situation peut-elle apparaître comme un vrai révélateur ou est-ce plutôt un amplificateur? C’est-à-dire: est-ce que je dois rester sereine et ne pas me précipiter? (AFE)
Jacqueline: Effectivement, le confinement n’est pas un moment propice pour prendre des décisions majeures pour le futur qui engagent le couple et/ou la famille. Comme le dit le Dr Robert Neuburger: «Ce n’est pas l’enfermement qui crée les dissensions, elles existaient avant. L’enfermement en est un révélateur.» Il y a lieu de prendre le temps et de ne pas se précipiter. Cette période peut être l’occasion de mieux prendre soin de soi pour, dans un deuxième temps, prendre soin de son couple.
Quels sont les principaux conseils à suivre pour sauver son couple? Et les choses à surtout éviter? (Xavier)
Marie-France: Parmi les choses à éviter, citons par exemple les critiques, les reproches, les «j’ai raison, tu as toujours tort» ainsi que les sujets très conflictuels qui peuvent provoquer une escalade dans les tensions.
Par contre, pour prendre soin de son couple, la bienveillance est très importante.
Vous pouvez cultiver les compliments, les souvenirs des bons moments, vos forces et vos qualités et reconnaître ces mêmes forces et qualités à votre partenaire. Nous ne connaissons pas votre situation, mais structurer les espaces géographiques dans votre appartement et les différents temps (moments individuels, moments de couple, moments avec les enfants) peut amener plus de sérénité dans cette période.
Et ne pas hésiter à utiliser l’humour!
Est-il important de conserver une part de mensonge (quand ça n’est pas bien méchant) ou faut-il toujours tout se dire au sein d’une relation? (Philo)
Jacqueline: Chacun a droit à son jardin secret et la transparence à tout prix n’est souvent pas constructive.
Ma libido est en chute libre en raison de la situation actuelle. Mon homme, quant à lui, en a toujours. Est-ce que vous trouvez que je suis égoïste de pas faire plus d’efforts? (Marie)
Marie-France: La sexualité n’est pas seulement l’acte sexuel, la jouissance physique. Cela englobe aussi la tendresse, les gestes, les paroles, les compliments, les regards empathiques, rassurants, séducteurs.
Les canaux de séduction entre un homme et une femme ne sont pas les mêmes. Ouvrir la communication autour de la sexualité peut être constructif. Par exemple, que chacun demande à l’autre: qu’est-ce que tu aimerais? Qu’est-ce qui te ferait plaisir? Quels gestes ou caresses?
Quand on est tout le temps ensemble, mais ceci est valable aussi en dehors de cette période de confinement, le désir d’intimité peut varier d’une personne à l’autre. Pour éprouver du désir, il faut parfois éprouver du manque. D’où l’importance de préserver des moments seul.e et d’autres en couple. Ce n’est pas parce que l’on est H24 ensemble que l’on doit tout partager.
En quoi la notion de couple pourrait-elle évoluer par rapport à l’histoire que nous vivons? (Fred)
Jacqueline: Votre question est très intéressante. Le confinement qui est imposé bouleverse chacun.e et cela différemment. Il nous amène à devoir revoir les habitudes, les façons de fonctionner ensemble et tout ce qui a trait au quotidien. Cela peut amener le couple à des évolutions et des changements.
Cela peut être un moment propice pour prendre le temps «parler vrai», apprendre à mieux se connaître et connaître l’autre, identifier ses émotions et ses besoins et surtout les exprimer à l’autre, tout cela dans un climat bienveillant et indulgent.
Toute crise amène du danger mais aussi l’opportunité d’évoluer et de grandir individuellement et dans son couple.
Comment arrivez-vous à déterminer s’il est mieux pour un couple de rompre ou de trouver des solutions pour rester ensemble? (Hervé)
Marie-France: La thérapie de couple peut permettre d’entrer dans un processus où la question du maintien ou non de la relation peut être abordée.
La séparation peut recouvrir plusieurs choses: est-ce par exemple le besoin de se séparer d’une situation conflictuelle ou d’un contexte éprouvant? Ou, plutôt, est-ce vouloir se séparer du partenaire car le couple est arrivé au bout de son chemin conjugal?
Tout au long de la vie du couple, des étapes sont à franchir et la question de la séparation peut surgir à ces moments-là: fin de la période passionnelle, arrivée d’un enfant, début de la vie commune, départ des adolescents… et tous les aléas de la vie (chômage, infidélité, maladie... et, aujourd’hui, le confinement).
C’est à travers ce chemin et d’éventuelles séances de consultation que le couple pourra décider de la séparation ou non en meilleure connaissance de cause.
A la fin de cette période si particulière, où l’on est en permanence avec son conjoint, que recommandez-vous lors du retour à la normale? Plutôt se faire un week-end en solo chacun de son côté ou profiter à deux d’un bon week-end en vacances? (Marie)
Marie-France: Ce sont de très bonnes questions, car le confinement aura une fin.
Chacun pourra reprendre sa vie d’avant ou alors tirer profit des découvertes et des différents changements négociés et mis en place au sein du couple et/ou de la famille. Nous pensons par exemple à la répartition des rôles, des tâches ménagères et familiales, mais aussi aux valeurs de solidarité, de travail en équipe, d’entraide qui ont pu être transmises et vécues durant cette période.
Il est à souligner que toute personne a des besoins, des désirs et ceux-ci ne sont pas forcément les mêmes. Chacun aura probablement traversé cette étape différemment: pour l’un, être toujours ensemble peut être bien vécu, pour un.e autre cela peut être pesant.
Poursuivre le dialogue ensemble avec bienveillance permet d’identifier ses propres besoins et entendre ceux de l’autre. Et pourquoi pas imaginer, dans des temps différents, un projet commun et un projet en individuel?
Puisque c’est votre métier, je serais intéressé de comprendre comment se déroule une thérapie de couple. Dans quel ordre est-ce efficace? (Martin)
Jacqueline: Le confinement peut rendre plus visibles des difficultés et dysfonctionnements dans le couple qui pourraient amener dans un deuxième temps à consulter. Ce n’est sans doute pas le moment d’aborder des sujets très conflictuels durant cette période.
La thérapie de couple est une démarche volontaire, en présence des deux partenaires et d’un.e professionnel.le de la relation de couple. Ensemble, vous pourrez aborder votre situation de couple, revisiter votre histoire de couple, identifier vos besoins et attentes personnels et de couple ainsi que vos fonctionnements et dynamiques de couple.
Il s’agit d’entretiens réguliers, avec un tarif abordable dans les institutions subventionnées par les cantons.
Dans quel ordre? Cela pourrait commencer par parler ensemble avec votre partenaire de votre désir d’entamer une thérapie de couple.
Cette démarche n’implique pas forcément un engagement à long terme, parfois quelques entretiens suffisent à mieux vivre sa relation de couple. Dans notre pratique, nous regrettons parfois que les couples fassent appel trop tardivement à une aide professionnelle.
On parle beaucoup des problèmes qui pourraient survenir dans le couple du fait du confinement. Mais est-ce qu’il n’y a pas des couples qui profitent de cette cohabitation forcée pour renouer des liens plus étroits et harmonieux? (FR)
Marie-France: Oui, vous avez tout à fait raison, c’est l’occasion pour certains couples de renforcer leurs liens. Le confinement donne plus de temps pour prendre soin de l’autre et de la relation. Si vous avez cette chance-là, cultiver le partage et la connaissance de vous-même et de votre partenaire, cela peut vraiment enrichir la relation de votre couple.
Ma compagne est bloquée en Italie. Cette étape peut-elle être positive dans un couple? Si oui, que recommandez-vous au quotidien pour bien vivre l’expérience? (Hervé)
Jacqueline: Vous vivez une situation de séparation due au confinement qui peut être vécue de façon différente en fonction de la dynamique du couple. Certains couples qui sont très fusionnels peuvent vivre cette distance en traversant différentes émotions: notamment des sentiments d’abandon, la peur de perdre l’autre, la jalousie, le doute.
Pour d’autres, qui ont déjà vécu plus d’indépendance au sein du couple, les sentiments peuvent être plus sereins car ils ont plus l’habitude d’avoir des espaces personnels.
Mais pour tous les couples, la distance oblige à vivre différemment les contacts physiques autour de l’intimité: la tendresse, la sexualité et plus encore toutes les activités communes partagées ensemble (par exemple autour des repas, des sorties, des loisirs).
Ce moment singulier peut être l’occasion de développer une créativité dans votre couple, d’imaginer des scénarii, des histoires (pourquoi pas érotiques) que vous pourriez échanger. Pourquoi ne pas partager un repas en amoureux via Skype, prendre soin de soi en s’habillant élégamment, en mettant une belle table, de la musique que vous aimez? Vous pourriez aussi imaginer des échanges sur des projets futurs à vivre ensemble.
En un seul mot: continuer à bien nourrir votre relation de couple.
Ma femme ne me comprend pas. Comment lui faire comprendre la psychologie d’un homme? (Abby)
Jacqueline: L’homme et la femme sont différents comme toute personne est différente l’une de l’autre. Le dialogue est une des clés permettant de mieux se comprendre et de faire avec nos différences. Par exemple, vous pourriez lui parler de ce que vous-même vivez, de ce que vous aimeriez et elle pourra ainsi peut-être mieux vous comprendre. Cela peut permettre de faire évoluer votre relation de couple.
J’ai 46 ans et je suis avec ma femme depuis 22 ans. Le confinement dû au Covid-19 a fait éclater ce qui somnolait en moi depuis quelque temps. Nous nous retrouvons confinés quasiment 24 heures/24 et 7 jours par semaine. La crise personnelle que je traverse a fait que je me suis involontairement rapproché d’une autre femme (sans qu’il y ait rien eu entre nous) et qui tend à me laisser croire que ma vie serait plus complète avec elle. Je pense aussi souvent à notre fille. Comment pourrais-je retrouver la flamme permettant à mon couple de repartir et à moi de m’épanouir pleinement? (Julien)
Marie-France: Merci beaucoup de votre confiance et de nous parler ainsi de votre situation. Elle parlera sans doute à bien d’autres personnes.
Chacun vit différemment le confinement, et parfois il peut être l’occasion de révéler des questionnements qui peuvent être liés à une étape de vie.
Vous vous posez des questions essentielles depuis un certain temps déjà et le confinement vous permet aujourd’hui d’aborder celles-ci avec votre épouse. Elle n’est sans doute pas dans le même rythme que vous et a certainement du temps pour mieux comprendre ce que vous vivez.
Vous vivez une longue relation de couple et avez traversé et traversez aujourd’hui encore différentes étapes de vie, personnelles, de couple et de famille.
Tous les couples qui durent dans le temps sont amenés à se poser à un moment donné des questions sur eux-mêmes et sur leur relation de couple.
Le dialogue que vous avez pu initier est positif, puisque ensemble vous prenez déjà conscience de certains fonctionnements et pouvez imaginer des changements dans votre relation.
L’oreille attentive que vous avez pu trouver auprès d’une de vos collègues répond certainement à votre besoin d’être mieux compris dans vos désirs et vos attentes.
Dans cette double crise que vous vivez, personnelle et due au confinement, il est constructif de maintenir le dialogue avec votre épouse: pourquoi ne pas se remémorer les bons moments que vous avez vécus ensemble et en famille, ressortir des albums photos et imaginer aussi d’autres projets que vous pourriez avoir envie de partager avec votre épouse et votre famille?
Une fois que le confinement sera levé, vous aurez aussi, si vous le désirez, la possibilité d’être accompagné, en couple ou seul, dans toutes ces réflexions que vous menez par un.e professionnel.le de la relation de couple.
Vous pouvez trouver des informations sur www.problemedecouple.ch
A part l’amour, je ne vois pas ce qui peut aider à vivre ce moment. Y a-t-il autre chose? (Abby)
Marie-France: Oui, il y a d’autres choses, comme prendre soin de soi et ce dont vous avez besoin. Par exemple, à part l’amour, qu’est-ce qui vous donne le sentiment d’exister, qui vous donne de l’énergie et de l’espoir?
Qu’est-ce que vous aimiez faire et que vous pourriez toujours faire mais de façon différente? Par exemple du sport en suivant des exercices par Skype, échanger avec des amis comme d’habitude le vendredi soir par Skype, faire le restaurant à la maison avec votre partenaire…
C’est important de structurer vos journées entre des moments pour vous, des moments professionnels, des moments de couple et/ou de famille.
Car l’amour et les sentiments sont importants, mais le partenaire ne peut pas répondre à tous vos besoins et vos attentes. Car lui aussi des besoins individuels.
Mais échanger avec votre partenaire sur ce dont vous avez chacun besoin et sur ce que vous aimeriez vivre en couple est très constructif pour votre relation de couple.
Et ne vous privez pas d’échanger avec les autres, prenez des nouvelles de votre entourage, de vos ami.e.s car, si vous si vous êtes confinés dans l’espace, vous n’êtes pas pour autant confiné du monde.
Conclusion:
Dans cette période de confinement, le dialogue, la créativité et la bienveillance sont à cultiver avec soin.
On ne peut pas forcément cultiver son jardin extérieur mais on peut prendre soin de soi et de sa relation avec son partenaire et ses proches.