Sur le podium de la descente féminine, empêtrée entre sa paire de skis, son bouquet de fleurs et son malcommode drapeau suisse, qu’elle finit par mordre pour l’empêcher de tomber dans la neige, elle avait un air de petite fille à la remise du certif. C’est pourtant une championne, Corinne Suter, une vraie.
Rayon technique pure, l’expert et ex-entraîneur national Patrice Morisod loue son «extraordinaire position de recherche de vitesse». Raconte que, «en soufflerie, elle se place toujours juste». Vrai: sur une piste, la descendeuse fut longtemps d’abord et surtout cataloguée comme «une glisseuse», de celles qui savent lire les reliefs calmes d’un terrain pour mieux les dompter et les exploiter. Aujourd’hui, négocier les virages dans les pentes les plus abruptes ne la handicape plus. Elle trouve la ligne et s’y jette avec gourmandise. Tout à coup, les podiums s’ouvrent à elle. Troisième du super-G des Mondiaux le mardi, deuxième de la descente le dimanche, elle aurait sans doute adoré une troisième course pour gravir la dernière marche, qui l’attend encore.
Alors que l’heure est aux larmes de joie et aux remerciements, tombent quelques détails biographiques. La jeune femme a 24 ans et vit encore à Schwytz, dans une famille de quatre enfants, trois garçons et elle. La tribu a fait le déplacement jusqu’à Are, en Suède, aux confins du cercle arctique. Pour être plus précis, tout le monde est là sauf le troisième frère, «qui garde les trois chats». Chez les Suter, on aime le sport. L’athlétisme, la natation, le fitness. Et le ski, bien sûr, lors des après-midis de congé et pendant le week-end, dans la 1 station voisine d’Ibergeregg. Seule fille, Corinne voulait «absolument aller plus vite que [ses] frères». Un jour, à force de faire des «tout droit» alors que ceux-ci slalomaient, elle a fini par les devancer.
Ensuite, tout s’est enchaîné sans hâte. «Une amie m’a demandé si je ne voulais pas faire partie de son skiclub. Cela ne m’intéressait pas. J’aimais le ski libre, pas la compétition; du moins, je l’ai cru longtemps.» Elle finit par céder, mais l’idée de carrière sportive n’est pas une évidence pour elle. Corinne, selon ses proches, est la gentillesse incarnée, peut-être trop. «Elle donne tout ce qu’elle a pour les autres», glisse sa mère, Silvia. «Or on doit se montrer un peu égoïste, en sport, reconnaît Corinne, presque en s’excusant. J’ai dû apprendre à ne me concentrer que sur moi.»
Quelques revers vont l’aider à se faire violence. En janvier 2015, une chute lui vaut une blessure à la tête du tibia, avec déchirure partielle du ligament intérieur du genou gauche. Trois mois de pause, saison terminée. La période de réadaptation ne représente pas forcément que du temps perdu: «Je me suis rendu compte que je ne pouvais rien obtenir en forçant et que je ne devais pas me mettre de pression néfaste.» En quête, elle a recours à un coach mental.
L’autre coup dur, elle le vit l’été dernier. En juin, victime d’une infection du sang, elle passe deux jours sous perfusion à l’hôpital. La maladie est si sérieuse qu’on craint un instant pour sa jambe. La sportive s’en sort sans dommage, même si les médicaments la fatiguent tant qu’elle peut à peine s’entraîner pendant deux mois. Elle revient cependant, découvre la rage et peut-être le privilège que constitue le métier de skieuse d’élite.
La prière du soir
La douceur, elle la trouve ailleurs. Notamment dans cette forme de rédemption qu’un animal peut offrir. Elle aime les bêtes, à la folie. Elle l’avoue, l’accident arrivé à son petit chat il y a quinze ans, tué par une voiture alors qu’il voulait la suivre, la traumatise encore. Aujourd’hui, elle aime passer du temps à soigner et à monter Nikito, le cheval franches-montagnes d’une amie. «Chaque minute que je passe en sa compagnie me permet de décompresser.» La relation est profonde. Il lui est arrivé de poster une photo de ce franches-montagnes sur Instagram avec la mention: «Si Dieu a créé quelque chose de plus beau que le cheval, il l’a gardé auprès de Lui!» Car son autre force, elle la puise dans la foi. Elle prie chaque soir pour sa famille et certainement un peu pour elle.
Jusqu’à ce dimanche d’hiver suédois où elle se glisse sur le podium. Vingt-trois centièmes derrière la gagnante, la Slovène Stuhec, mais surtout 26 devant la troisième, Lindsey Vonn ellemême, légende finissante qui dispute la dernière course de sa vie. Comment pour Corinne Suter ne pas y voir un signe du destin, elle qui croit aux voies célestes? «Depuis le début, Lindsey Vonn est mon idole. Quand je l’ai vue pour la première fois, j’étais si nerveuse que les autres filles m’ont demandé ce qui m’arrivait. Ensuite, nous nous sommes entraînées avec elle et je ne parvenais plus à descendre une pente!»
Le sentiment indescriptible qui la saisit aujourd’hui, elle tente de l’exprimer en expliquant que, dans sa carrière, elle a «versé trois à quatre fois plus de larmes pour des défaites que pour des victoires». Elle n’exagère pas. Elle n’avait jamais terminé parmi les trois premières et menaçait de demeurer un de ces éternels espoirs qui s’étiolent peu à peu.
Cette fois, Dieu merci, c’était son tour d’être une étoile.