Lorsqu’il arrive, une édition du «Temps» sous le bras, dans cette brasserie de la Limmatplatz, une question le taraude. Le candidat à la succession d’Ueli Maurer au Conseil fédéral ouvre le journal dans lequel un portrait lui est consacré. Il lit à haute voix: «Il parle plutôt un bon français, soit dit en passant.» Un brin inquiet, il nous interroge: «Qu’a voulu dire le journaliste par «soit dit en passant»? Que je le parle bien ou que je dois faire des progrès?» On le rassure, amusée. Sans doute, le côté bon élève qui s’exprime chez ce professeur de droit à l’Université de Zurich.
Si Hans-Ueli Vogt a choisi de nous donner rendez-vous dans ce café, c’est parce que le citadin de 52 ans y a ses habitudes. Et aussi parce que le lieu lui ressemble. Chic, un peu «tradi» mais branché. Costume bleu marine à la coupe impeccable, une cravate à motifs extravagante juste ce qu’il faut, l’homme soigne son apparence. Et il se raconte volontiers. Une enfance «normale», dans la région de l’Oberland avec un père notaire, une mère au foyer et un grand-père agriculteur. Il se souvient que chaque samedi, son père emmenait ses deux frères dans la ferme familiale. Hans-Ueli, lui, préférait accompagner sa mère en ville. «J’ai très vite compris que je ne serais pas un manuel, plutôt un cérébral, même si je reste attaché au monde paysan», admet-il le sourire en coin. Alors il étudie le droit à l’Université de Zurich et file exercer l’activité d’avocat à New York durant deux ans. De ces années dans la Grosse Pomme, il gardera la maîtrise de la langue Shakespeare. D’ailleurs, lorsqu’il bute sur des mots en français, il opte pour l’anglais sans cacher son agacement de premier de classe. «C’est dans ces moments que je réalise que je n’ai jamais vécu dans un pays francophone», déplore-t-il.
De retour à Zurich, il est nommé professeur assistant à l’université à tout juste 33 ans. En 2011, il devient député au Grand Conseil zurichois sous la bannière de l’Union démocratique du centre (UDC). En 2015, il est élu au Conseil national et intègre la Commission des affaires juridiques. Il se fait remarquer en concevant l’initiative populaire contre les juges étrangers, rejetée par 66,3% des votants en 2018. Un échec? «Non, ce n’était pas une surprise, sourit-il. La proposition était trop rigide, mais elle a soulevé un problème fondamental. Il est hors de question d’admettre la suprématie du droit étranger vis-à-vis de la Constitution suisse. Nous sommes un pays souverain.»
En 2021, il quitte le Conseil national. Dans le «Tages-Anzeiger», il confiait se sentir «comme un joueur de tennis sur un terrain de football». Ceux qui l’ont côtoyé à Berne saluent son sérieux et sa maîtrise des dossiers. Mais on a pu lui reprocher son caractère solitaire, voire hautain. «Disons qu’il n’est pas la personne la plus chaleureuse au monde», confirme le député genevois Nicolas Walder (Les Vert-e-s) avant de nuancer: «Il se montrait plus agréable en bilatéral mais il n’est pas un facilitateur, une personnalité qui travaille à créer des liens.»
Un come-back en politique qui fait jaser
Le retour de Hans-Ueli Vogt dans l’arène politique en a surpris plus d’un. A commencer par l’élu Jean-Luc Addor (UDC/VS), qui lui a succédé au sein de la Commission des affaires juridiques à Berne: «Si j’ai bien compris, il a démissionné, car il n’avait pas le sentiment de se réaliser sur le terrain parlementaire, dans ce jeu politique plutôt qu’exclusivement juridique, lance-t-il sans cacher sa perplexité. J’ai un peu de mal à imaginer qu’un gars qui a quitté sa fonction pour ce motif imagine maintenant pouvoir se réaliser dans un exécutif.»
Atypique, intellectuel, citadin, gay, son appartenance au grand parti conservateur et agrarien opposé au mariage pour tous a de quoi faire hausser un sourcil. Voire deux. Le candidat Vogt s’en accommode. Il se présente comme un libre penseur et puis «je suis comme je suis, c’est un fait», ajoute-t-il. Avec l’UDC, il partage «une certaine vision de la Suisse», un petit territoire qu’il s’agit de «préserver de certains mauvais développements». Il affine sa pensée: «La question de l’immigration m’a toujours préoccupé. Si tu viens ici, tu dois t’adapter. C’est ma conviction fondamentale.»
Gay et dans la ligne de l'UDC
Dans les faits, le juriste ne s’est écarté que rarement de la ligne de son parti, en proposant un contre-projet modéré à l’initiative pour des multinationales responsables et en votant en faveur du mariage pour tous. Sur les grands thèmes comme les relations avec l’Union européenne (UE), le climat, la souveraineté, il reste dans le rang et en ordre de marche. Les sanctions contre la Russie? «Une atteinte à la neutralité suisse.» Les statuts S délivrés aux réfugiés ukrainiens? «Il faut que ça cesse et procéder au cas par cas comme cela est prévu par le droit d’asile.» Le climat? «Un problème à résoudre avec nos moyens politiques.» Les actions des militants de Renovate Switzerland l’exaspèrent. «Ce sont des représentants illégitimes de la cause climatique, dit-il en haussant le ton. Il faut les punir et réclamer des dommages-intérêts pour tous ceux qui n’ont pas pu aller au travail à cause de leurs actions.»
S’il est élu au gouvernement suisse, il serait le premier conseiller fédéral ouvertement homosexuel. Un symbole? «Peut-être, mais pas une fin en soi, répond le principal intéressé. Mais si ça peut inspirer une ou deux personnes, alors tant mieux.» Le premier de classe n’a pas dit son dernier mot.