Que serait devenu le monde sans «Blanche-Neige», «Pinocchio», «Bambi» ou encore «Le livre de la jungle» de Disney, sans oublier «Le roi lion» et «La reine des neiges»? L’inexistence de leurs personnages, si bien animés qu’ils semblaient avoir une âme, est une hypothèse presque douloureuse à envisager. Ces êtres nous ont valu tant de terreurs, de rires et de larmes, ont exalté tant de sentiments fondamentaux qu’ils nous sont consubstantiels. Seul le Charlot de Chaplin a réussi, au cinéma, à s’imposer avec une puissance comparable à l’imaginaire collectif.
Quel était donc le secret de Walt Disney pour réussir à coloniser les esprits de centaines de millions d’enfants et d’adultes depuis un siècle? A la lumière de sa biographie – notamment un formidable podcast de neuf heures sur France Culture intitulé «Oncle Walt, Mister Disney» –, la première moitié de la réponse tient en un mot: le perfectionnisme. Un perfectionnisme obsessionnel, pathologique. Et puis cet Américain moyen d’origine modeste, sans diplôme, bon dessinateur et bon comédien avait un sens du récit hors norme. Enfin, le hasard a voulu que, au début des années 1920, ce jeune homme du Middle West américain, sans réelle vocation, découvre à Kansas City le film d’animation, un genre encore balbutiant. Moins de vingt ans plus tard, son «Blanche-Neige et les sept nains» élevait le dessin animé au rang d’art à part entière.
A 21 ans, il fonde ses premiers studios et fait faillite presque immédiatement à cause d’un client insolvable. Pas grave, Disney prend le train pour Los Angeles avec 40 dollars en poche et ouvre un nouvel atelier en 1923. Cette fois, ce sera le bon, même si le distributeur de sa série «Alice Comedies» le malmène en l’obligeant à bâcler son travail pour augmenter les bénéfices. Pas question pour Disney de transiger avec la qualité, de renoncer à l’expérimentation. Le fric, il s’en moque. Ce qui l’obsède, c’est de créer une illusion toujours plus fidèle à la réalité, quitte à reléguer des scènes entières dans ses archives parce qu’il les juge superflues et donc néfastes pour la fluidité du récit.
Tout l’argent gagné est réinvesti pour faire mieux, quitte à friser la banqueroute à plusieurs reprises. Ce qu’il veut, ce sont des films rythmés, avec une bande-son sublime, des personnages forts et variés, des mouvements naturels, des récits simples et efficaces. On a beau lui arracher ses meilleurs collaborateurs, comme Ub Iwerks, le créateur de Mickey, ou Tex Avery, le roi de l’animation burlesque, le chef d’orchestre recompose à chaque fois une équipe forte et truste les Oscars avec ses «75 Silly Symphonies», des bijoux de six à huit minutes. Ses animateurs et techniciens emmagasinent une expérience qui leur permet de s’attaquer à l’Everest: un long métrage d’animation ultra-sophistiqué. Ce sera «Blanche-Neige», en 1937. Le conte de fées industriel pouvait vraiment commencer.