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C’est l’histoire d’une souris devenue un mastodonte. C’est la success-story à l’américaine par excellence. Mais c’est surtout un siècle de quête sans concession de l’excellence au service du divertissement.
Philippe Clot
A Londres, en 1931, un cinéma mobile financé par deux candidats à une élection locale projette un film de Mickey pour gagner des votes
Fox Photos/Hulton Archive/Getty ImagesQue serait devenu le monde sans «Blanche-Neige», «Pinocchio», «Bambi» ou encore «Le livre de la jungle» de Disney, sans oublier «Le roi lion» et «La reine des neiges»? L’inexistence de leurs personnages, si bien animés qu’ils semblaient avoir une âme, est une hypothèse presque douloureuse à envisager. Ces êtres nous ont valu tant de terreurs, de rires et de larmes, ont exalté tant de sentiments fondamentaux qu’ils nous sont consubstantiels. Seul le Charlot de Chaplin a réussi, au cinéma, à s’imposer avec une puissance comparable à l’imaginaire collectif.
Quel était donc le secret de Walt Disney pour réussir à coloniser les esprits de centaines de millions d’enfants et d’adultes depuis un siècle? A la lumière de sa biographie – notamment un formidable podcast de neuf heures sur France Culture intitulé «Oncle Walt, Mister Disney» –, la première moitié de la réponse tient en un mot: le perfectionnisme. Un perfectionnisme obsessionnel, pathologique. Et puis cet Américain moyen d’origine modeste, sans diplôme, bon dessinateur et bon comédien avait un sens du récit hors norme. Enfin, le hasard a voulu que, au début des années 1920, ce jeune homme du Middle West américain, sans réelle vocation, découvre à Kansas City le film d’animation, un genre encore balbutiant. Moins de vingt ans plus tard, son «Blanche-Neige et les sept nains» élevait le dessin animé au rang d’art à part entière.
Séance de travail (sans doute un peu mise en scène pour la photo) vers 1955 autour du projet «La Belle au bois dormant». Walt Disney (à dr.) se fait présenter le story-board et la musique d’une scène par des collaborateurs.
Gene Lester/Getty ImagesSéance de travail (sans doute un peu mise en scène pour la photo) vers 1955 autour du projet «La Belle au bois dormant». Walt Disney (à dr.) se fait présenter le story-board et la musique d’une scène par des collaborateurs.
Gene Lester/Getty ImagesA 21 ans, il fonde ses premiers studios et fait faillite presque immédiatement à cause d’un client insolvable. Pas grave, Disney prend le train pour Los Angeles avec 40 dollars en poche et ouvre un nouvel atelier en 1923. Cette fois, ce sera le bon, même si le distributeur de sa série «Alice Comedies» le malmène en l’obligeant à bâcler son travail pour augmenter les bénéfices. Pas question pour Disney de transiger avec la qualité, de renoncer à l’expérimentation. Le fric, il s’en moque. Ce qui l’obsède, c’est de créer une illusion toujours plus fidèle à la réalité, quitte à reléguer des scènes entières dans ses archives parce qu’il les juge superflues et donc néfastes pour la fluidité du récit.
Disney a très vite compris que l’amélioration de l’animation seule ne suffisait pas. Il fallait soigner aussi la bande-son. Trois acteurs enregistrent en 1964 des voix du «Livre de la jungle».
Lawrence Schiller/Premium Archive/Getty ImagesDisney a très vite compris que l’amélioration de l’animation seule ne suffisait pas. Il fallait soigner aussi la bande-son. Trois acteurs enregistrent en 1964 des voix du «Livre de la jungle».
Lawrence Schiller/Premium Archive/Getty ImagesTout l’argent gagné est réinvesti pour faire mieux, quitte à friser la banqueroute à plusieurs reprises. Ce qu’il veut, ce sont des films rythmés, avec une bande-son sublime, des personnages forts et variés, des mouvements naturels, des récits simples et efficaces. On a beau lui arracher ses meilleurs collaborateurs, comme Ub Iwerks, le créateur de Mickey, ou Tex Avery, le roi de l’animation burlesque, le chef d’orchestre recompose à chaque fois une équipe forte et truste les Oscars avec ses «75 Silly Symphonies», des bijoux de six à huit minutes. Ses animateurs et techniciens emmagasinent une expérience qui leur permet de s’attaquer à l’Everest: un long métrage d’animation ultra-sophistiqué. Ce sera «Blanche-Neige», en 1937. Le conte de fées industriel pouvait vraiment commencer.
1923. «Alice Comedies» est la première série de courts métrages d’animation signée Walt Disney, qui, à 22 ans, s‘installe à Hollywood après avoir fait faillite à Kansas City.
Disney1927. Avec Oswald le lapin chanceux, le petit studio Disney commence à imposer sa patte dans le film d’animation, mais aussi dans les produits dérivés.
Disney1928. Disney se dispute avec le producteur d’Oswald et doit inventer un nouveau personnage. Mickey s’impose dès son troisième film, «Steamboat Willie».
Disney1933. «Les trois petits cochons», 36e des 75 «Silly Symphonies». Ces huit minutes et quarante-deux secondes d’animation font un triomphe.
Disney1937. Walt Disney voulait que son premier long métrage soit un chef-d’oeuvre. «Blanche-Neige» réussit le défi après quatre ans de travail acharné.
Disney1961. «Pinocchio», «Dumbo», «Bambi» et «Cendrillon» hypnotisent des millions de familles. Mais Disney invente aussi des histoires originales comme «Les 101 dalmatiens».
Disney1964. «Mary Poppins» est considéré comme l’oeuvre testament de Walt Disney, qui répond, deux ans avant sa mort, à ses détracteurs avec ce film musical exquis.
Disney1971. Désormais orphelins de leur père et chef d’orchestre, les studios Disney se réfugient d’abord derrière des productions très sages comme «Les Aristochats».
Disney1988. Avec le décapant «Qui veut la peau de Roger Rabbit», qui associe prises de vues réelles et animation, Disney surprend et convainc à la fois les critiques et le grand public.
Disney1994. En frisant le milliard de dollars de recettes dans le monde, «Le roi lion» était le plus gros succès du film d’animation de l’histoire jusqu’à «La reine des neiges».
Disney1995. «Toy Story» renoue avec l’imaginaire du père fondateur en donnant vie à des jouets. Il confirme aussi l’aide incontournable de l’informatique dans le film d’animation.
Disney2013. «La reine des neiges» détrône «Le Roi lion» en perçant le plafond du milliard de dollars de recettes. Au Japon, le film suscite une passion collective sans précédent.
Disney2019. Disney est un ogre qui rachète des studios concurrents talentueux. Pixar, Lucasfilms ou encore Marvel Studios et ses Avengers sont gobés par Mickey.
Disney2023. Et voici, en avant-première, la future livraison de Disney pour Noël: «Wish, Asha et la bonne étoile», qui se déroule dans un pays où tous les voeux sont exaucés.
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