Vêtue d’un pull bleu marine «oversized» et d’un pantalon baggy noir, Billie Eilish arrive nonchalamment sur scène. Dans l’audience, des jeunes filles fondent en larmes, émues de voir leur idole en chair et en os. D’autres hurlent son nom. Mais il ne s’agit pas d’un concert. Mi-juin, la star américaine de 20 ans a occupé une salle de 3000 places à côté de l’arène O2, au cœur de Londres, pour une journée de conférences consacrée à l’environnement. Un événement organisé par et pour les membres de la génération Z intitulé Overheated.
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«Nous avons toujours beaucoup parlé d’environnement à la maison, raconte sa mère, l’actrice Maggie Baird, entre deux interventions sur scène. Je n’ai jamais cessé de rappeler à Billie de ne pas ramener de sacs plastique à la maison, d’éteindre la lumière en quittant une pièce et d’éviter les bouteilles en plastique.» Devenue une célébrité, elle a donc tout naturellement repris le flambeau. «Elle a une connexion si profonde et intime avec ses fans, estime sa mère. Cela lui confère une opportunité unique, une responsabilité même, de les sensibiliser à ces questions. Nous avons besoin de cette génération si nous voulons nous battre contre le changement climatique.»
Quelques heures plus tôt, une longue queue s’était formée devant la salle en attendant l’ouverture des portes. La plupart des participants avaient moins de 20 ans. Ils étaient nombreux à être venus avec leurs parents, à l’image de Pippa, 16 ans, accompagnée de sa mère, Jane, 45 ans. «J’ai appris tout un tas de choses sur l’environnement en devenant fan de Billie Eilish, notamment sur le véganisme et les façons dont nous traitons les animaux que nous mangeons», relate l’adolescente.
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Daria, 15 ans, est venue avec trois copines et sa maîtresse d’école. «C’est une sortie de classe, rigole la jeune fille, qui arbore une pancarte avec une photo de la chanteuse. Mais je suis aussi ici pour dénoncer les générations plus âgées qui ne nous écoutent pas et refusent d’agir pour préserver l’environnement.» A ses heures perdues, elle prend part au mouvement de contestation Extinction Rebellion.
Sur scène, les intervenants sont à peine plus âgés. Le premier panel, qui discute des bienfaits d’un régime végane, fait intervenir Isaias Hernandez, 26 ans, le fondateur de la plateforme QueerBrownVegan. Il raconte son enfance dans une famille d’immigrés mexicains passée à écumer les «déserts alimentaires» du centre-ville de Los Angeles. «Mes parents m’emmenaient dans les foyers pour personnes défavorisées et il n’y avait que de la viande et des produits laitiers, se remémore-t-il. Les seuls légumes étaient en conserve.»
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La conversation devient didactique. On donne une définition du véganisme, des chiffres concernant l’impact de la consommation de viande sur la planète et des conseils pour adopter un régime à base de plantes. «Commencez par éliminer les aliments que vous n’aimez pas trop, lance Isaias Hernandez. Pour moi, c’étaient le poisson et les fruits de mer.» Il enjoint également de ne pas se flageller en cas d’échec, surtout pour ceux qui vivent dans un environnement qui ne leur permet pas d’adopter un régime végane sans mettre leur santé en danger.
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La discussion suivante est consacrée à la mode. Ici aussi, on privilégie les recommandations et le partage d’expériences personnelles aux grandes déclarations. Eshita Kabra-Davies, la fondatrice de l’application By Rotation – qui permet de louer ou d’acheter des vêtements de seconde main –, raconte comment elle a toujours partagé ses habits avec ses sœurs et sa passion pour le vintage.
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Tati Gabrielle, une actrice américaine, relate quant à elle comment elle bricole ses habits – transformant une chemise trouée en foulard, par exemple – pour éviter de les jeter. «Choisissez des fibres naturelles, évitez à tout prix les tissus à base de pétrole comme le polyester et lavez vos vêtements moins souvent», conclut Samata Pattinson, la CEO de l’organisation Red Carpet Green Dress, qui fournit des robes de soirée écolos.
Après une brève pause de midi, ponctuée par une distribution de wraps au poulet végétal, la discussion reprend. La chanteuse britannique Ellie Goulding livre un appel passionné à l’audience. «Vous faites partie d’une génération qui est aussi un mouvement, lance-t-elle. Une mouvance plus puissante que tous les mouvements de jeunesse qui vous ont précédé.» Et chacun y a sa place, selon elle.
Le manque de diversité du mouvement écologiste est l’un des thèmes centraux de la journée. «L’activisme a longtemps été réservé à une petite élite blanche et occidentale, alors que les populations les plus affectées par le changement climatique sont les minorités ethniques et les gens du Sud», dit Aditi Mayer, une blogueuse de mode durable. Pour les membres de la génération Z, qui partagent l’expérience collective de l’urgence climatique, un phénomène intrinsèquement global, ces distinctions doivent être abolies.
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La composition des intervenants reflète cette volonté d’inclusivité. «Je me bats contre l’exploitation des ressources au Baloutchistan par de grands groupes miniers étrangers, raconte Yusuf Baluch, un activiste pakistanais de 17 ans qui dirige l’antenne locale de Fridays For Future, le mouvement de Greta Thunberg. La génération de mes parents ne parvenait pas à faire entendre sa voix, mais je fais désormais partie d’un mouvement global et j’ai de nouveaux outils, comme les réseaux sociaux, à disposition.»
Laura Verónica Muñoz, une Colombienne qui se décrit comme écoféministe, se réjouit, elle, de voir «les logiques patriarcales et colonialistes» qui ont normalement cours lors des conférences climatiques inversées ici. «Un événement comme Overheated renverse la dynamique du vieux monsieur blanc qui impartit son savoir à un public jeune et divers, dit la jeune femme de 25 ans. Ici, ce sont nous – les femmes, les gens du Sud – qui sommes les experts.»
Les participants ne font pas non plus la distinction entre leur combat environnemental et celui pour les questions de droits humains, de genre ou de race. «Ces différentes luttes sont indissociables», juge Isaias Hernandez. Et de citer les conditions de travail dramatiques des migrants dans les batteries de poulets industrielles, l’impact disproportionné du réchauffement climatique sur les gens «bruns ou noirs» vivant dans le Sud ou encore le manque d’accès à des produits véganes parmi les populations discriminées, comme les membres de la communauté LGBT dans certains pays.
Au fil de l’après-midi, les discussions prennent un ton plus intime. «Il y a quelques années, j’ai commencé à souffrir d’écoanxieté, relate Clover Hogan, une activiste australienne de 22 ans. Je me réveillais le matin et je voyais aux nouvelles que des incendies avaient de nouveau ravagé de grandes étendues de mon pays, brûlant des millions d’animaux et forçant mes proches à fuir leurs maisons. Mais je ne savais que faire, alors je restais chez moi toute seule à pleurer.»
(Comment) vivre avec de l’éco-anxiété
Dominique Palmer, une activiste britannique de 22 ans qui a organisé des grèves climatiques dans son école, dit être, elle aussi, «terrifiée» par l’avenir. «Après tout, nous, les jeunes, serons encore là lorsque les catastrophes provoquées par le réchauffement climatique se feront sentir.» Pour éviter de se sentir submergé, elle recommande de se concentrer sur une seule cause. «Personne ne doit avoir l’impression qu’il porte toute la peine du monde sur ses seules épaules», glisse-t-elle. Dans l’audience, les regards inquiets cèdent la place à des demi-sourires. On y détecterait presque une pointe d’optimisme.
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