Entre le moment où j’écris ces lignes et le moment où vous les lisez, un événement majeur se sera produit dans l’histoire de ce pays. 27 avril 2020. Date de la réouverture des salons de coiffure. La date côtoiera le 1er août 1291 dans les futurs manuels d’histoire.
J’avoue qu’avant l’éclatement de cette crise je n’avais aucune idée que l’industrie du cheveu occupait le quart de la population suisse et représentait un tiers de son économie (chiffres non officiels, inférés d’après le nombre de mentions de ce métier dans les conférences de presse par le Conseil fédéral).
Je ne sais pas qui est le lobbyiste des coiffeurs au Palais fédéral, mais il mérite une augmentation! Quel est le premier exemple dans la liste des commerces fermés le 16 mars? Les salons de coiffure. Venant de la bouche d’Alain Berset, dont la dernière visite chez le coiffeur date, c’était sans doute parfaitement intentionnel, une de ces fameuses formules dont il parsème ses discours pour s’attirer la sympathie de la population. Au Département fédéral de l’intérieur, on n’a peut-être pas de cheveux, mais on a des idées.
Quand la présidente passe au 19h30 le 26 mars et détaille les commerces qui souffrent, devinez lequel est en tête de gondole? «Ma coiffeuse a dû fermer!» Ouais, en 2002, non? Et même pas un mot pour sa boulangerie, dont on pensait pourtant que c’était son commerce préféré depuis sa célèbre allocution de Nouvel An. A moins que ce soit sa boulangère qui lui coupe les cheveux, ce qui expliquerait pas mal de choses.
Mais depuis deux jours, les coiffeurs ont rouvert! Et alors qu’on a vu la file devant les magasins de bricolage dans certains pays, en Suisse, à en croire le ramdam politique, il y aura devant les coiffeurs des queues proportionnelles à la longueur de nos favoris, digne de celles pour acheter du pain en Union soviétique (Salons de coiffure: 2 – Boulangeries: 0). On n’avait plus tondu autant d’un coup depuis 45.
Au moment de préciser les mesures de sécurité à respecter pour les commerces qui rouvrent, devinez lequel le journaliste de la RTS Pierre Nebel a choisi comme exemple? Evidemment. Le coiffeur doit-il mettre un masque? La question, posée à Berset et Daniel Koch, dont l’activité capillaire ferait passer le premier nommé pour un membre des Jackson 5, fait évidemment sourire tout le monde. Des dégarnis qui n’arrêtent pas de parler de cuir chevelu, on est chez Ionesco, sauf que la cantatrice est devenue conseillère fédérale. Oui, client et coiffeur doivent se masquer. Super, moi qui peinais déjà à expliquer ce que je voulais quand j’avais la bouche à l’air libre.
Aller chez le coiffeur, c’est le symbole de la vie quotidienne, du petit plaisir qu’on s’octroie pour se sentir bien. C’est le commerce de proximité par excellence. Cette proximité qui nous manque tant depuis qu’elle est interdite. Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est l’exemple qui revient tout le temps. On ne veut pas tant aller se faire couper les cheveux, on veut revenir à une vie où c’était important, car ça voulait dire qu’on n’avait pas de vrais problèmes. C’est le premier pas d’un retour à la normale, où l’on parle brushing, dégradé et couleur plutôt que confinement, dépistage et masques.
Quand on inaugure un nouveau bâtiment, on coupe le ruban. Et là, alors qu’on s’apprête à ré-inaugurer «dehors»: on sait sur qui compter, avec leur armée de ciseaux. Que vous ayez vos habitudes chez Simonettif, Alain B’Hair’set, Viola Amèche ou Conseil Fed’Hair’al, j’espère que vous avez passé un joyeux 27 avril.
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