1. Home
  2. Actu
  3. «Si seulement le CO2 respectait la distance»
Actu

«Si seulement le CO2 respectait la distance»

Dans le treizième volet de sa chronique «Huis clos», l'humoriste romand Thomas Wiesel décrit le monde de ses rêves et assure que pour espérer transposer les rêves à la réalité, il faut se réveiller...

Partager

Conserver

Partager cet article

file7a1ykd6ti09xjlnv3li
Le monde rêvé de Thomas Wiesel. VALENTIN FLAURAUD / VFLPIX.COM

Cette semaine, L’illustré m’a demandé à quoi ressemblerait le monde de mes rêves. Alors déjà, dans le monde de mes rêves, y a pas un virus qui m’empêche de monter sur scène et faire rire des gens. Et d’ailleurs, dans le monde de mes rêves, tout le monde me trouve drôle, ce qui simplifie considérablement mon travail et me permet de prendre régulièrement des congés et des vacances (dans le monde de mes rêves, j’en fous pas une sans devoir renoncer à un certain confort).

Toute considération égoïste mise à part, c’est difficile de répondre à la question sans tomber dans le cliché du discours de Miss Suisse (et en plus, dans le monde de mes rêves, comme dans le vrai monde actuel, il n’y a plus de concours Miss Suisse). Oui, idéalement, on veut tous la paix dans le monde, sauf peut-être les fabricants d’armes. Et puisque la Confédération est propriétaire de Ruag, on est tous un peu des fabricants d’armes, donc vouloir la paix dans le monde va diminuer un peu notre richesse publique, ce qui permet d’un peu mieux comprendre le parcours Vidéo Gag d’Ignazio Cassis en politique étrangère depuis sa nomination, il soigne les finances helvétiques.

On espérait aussi que ce coup d’arrêt à l’économie porté par la pandémie permettrait de redémarrer différemment, et de mieux se préoccuper des problématiques environnementales. La Suisse a effectivement réussi à passer la loi sur le CO2 cette semaine, un pas dans la bonne direction, ce qui est suffisamment rare dans ce domaine pour mériter d’être souligné. Mais il me semble que quand on court un marathon, s’arrêter pour s’applaudir après une foulée est rarement une stratégie payante pour rallier l’arrivée. Et il semblerait que le niveau de pollution soit déjà revenu aux valeurs du pré-confinement. Le retour à la normale aura été beaucoup plus rapide pour les gaz à effet de serre que pour les restaurateurs, hôteliers, acteurs culturels, indépendants ou sportifs. Si seulement les particules de CO2 pouvaient respecter les 2 m de distance, on aurait une chance d’atteindre les objectifs des différentes COP.

Dans un monde idéal, il faut que l’on consomme moins, et pourtant la décroissance reste un gros mot. Ces derniers jours, quand un jeune entrepreneur aux dents longues se met en scène avec des attributs de richesse ostentatoire pour essayer de faire envie à d’autres jeunes, la vidéo devient virale pour se moquer de lui. La richesse fait peut-être toujours rêver, mais pas n’importe comment non plus. Et si certaines questions prendront du temps «à être répondues» (sic), celle de la supériorité des riches sur les pauvres semble appartenir au monde d’avant.

Quant à la société plus égalitaire dont on rêve tous (merci de ne pas doucher mes illusions en nuançant ce tous, cette chronique est déjà assez pessimiste comme ça), elle semble prévue plutôt pour après-demain que pour demain. Mais des signes encourageants sont là. Ce week-end, dans les villes de Suisse, peu réputées pour être particulièrement sujettes aux mouvements sociaux (ici, quelqu’un qui jette une bouteille recyclable dans la mauvaise poubelle, c’est déjà presque une manif), il y avait des rassemblements samedi et dimanche. Samedi pour dénoncer les violences policières et le racisme systémique, à l’image d’autres rassemblements partout sur la planète, parfois lourdement réprimés par la police (ce qui est un peu le serpent qui se mord la matraque, quand même). En Angleterre ou aux Etats-Unis, des statues de personnages racistes ou esclavagistes ont été déboulonnées par les manifestants. En Suisse, on a l’avantage de pas connaître les messieurs (quasi toujours des messieurs) sur nos statues. J’ai dû utiliser Google pour savoir que la statue à côté de la place de la Riponne à Lausanne, lieu d’arrivée des manifs, était de Louis Ruchonnet, dont je sais pas s’il était raciste, mais Wikipédia me dit qu’il était champion d’escrime. Bravo à lui. A Neuchâtel, ils débattent d’enlever la statue de David de Pury, dont les historiens arrivent pas à décider s’il était esclavagiste. Les personnages suisses ont pas assez marqué l’histoire pour qu’on puisse leur en vouloir des siècles plus tard.

Dimanche, c’était pour le premier anniversaire de l’historique grève des femmes. Dans le monde de mes rêves, il y aurait moins de manifs. Déjà parce qu’en tant que bon Suisse, j’aime pas ça, et en tant que bon Suisse un peu agoraphobe, j’aime vraiment pas ça, mais surtout parce que j’espère qu’il n’y aura bientôt plus besoin de descendre dans la rue avec des slogans aussi évidents que «Black Lives Matter» ou «Patriarcat, t’es foutu, les femmes sont dans la rue».

Le Conseil national a voté cette semaine pour le mariage pour tous. La loi devra encore passer par le Conseil des Etats, corps législatif dont la vieillesse et la masculinité sont encore le reflet du monde d’avant (ou d’un club de tir à Appenzell, c’est selon), donc c’est pas gagné.

Même si le chemin est encore long, le fait qu’on l’ait entamé, sur tous ces points, est encourageant. Parce que le monde de nos rêves, on peut l’imaginer dans le confort de son lit, en retournant l’oreiller du côté frais. Mais pour espérer transposer les rêves à la réalité, il faut se réveiller. Nombreux sont ceux qui semblent avoir commencé à le faire.

>> Lire la chronique précédente: «Pas besoin de passeport pour les vacances» 

>> Lire aussi l'interview de Thomas Wiesel: «J'ai adopté un rythme de vie plus serein»


Par Thomas Wiesel publié le 19 juin 2020 - 08:44, modifié 18 janvier 2021 - 21:11