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Interview

Clotilde Courau: «Je souhaite vraiment devenir Suissesse»

La comédienne française, princesse de Savoie, est aussi une maman et une citoyenne impliquée. A l’occasion de sa venue au théâtre en Suisse romande, elle se livre longuement et en exclusivité sur sa carrière, ses opinions, sa vie et ses envies. Passer plus de temps à Lausanne et obtenir le passeport à croix blanche font partie de ses désirs ardents. 

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Clotilde Courau, 53 ans, s’est faite plus rare dans les médias ces dernières années. «Le silence est bénéfique. Il permet de vous révéler à vous-même», dit-elle.

Clotilde Courau, 53 ans, s’est faite plus rare dans les médias ces dernières années. «Le silence est bénéfique. Il permet de vous révéler à vous-même», dit-elle.  

Sylvie Castioni/Bestimage/Dukas
Didier Dana

- Clotilde Courau, on vous retrouve au théâtre dans «Une situation délicate», là où vous avez commencé votre carrière. Qu’est-ce qui vous a attirée vers la scène?
- Je n’étais pas très douée pour les études. A l’adolescence, moment complexe de la vie, nous vivions dans un contexte familial compliqué. Mes parents étaient séparés; ma mère élevait seule ses quatre filles. Je souhaitais me destiner à la danse classique, mais je n’en avais pas les aptitudes physiques. Un jour, ma petite sœur m’a dit: «Je vais essayer un cours de théâtre. As-tu envie de venir?» J’y suis allée et on m’a demandé de passer un test. J’avais à dire un monologue du «Mystère de la charité de Jeanne d’Arc» de Charles Péguy. Et j’ai eu une révélation: ce métier était le mien. A 16 ans, je découvrais ma passion dans l’incarnation. 

- Vous avez alors suivi les cours Florent et Simon. Votre mère ne vous a jamais dissuadée?
- Maintenant que je suis moi-même maman, je me dis qu’elle a eu l’intelligence de penser à son adolescente et de pressentir que c’était une chose essentielle. Elle me faisait confiance face à cet intérêt naissant et grandissant. Ça allait être, pour moi, un moyen de vibrer dans cette période difficile.

Clotilde Courau et Max Boublil

Clotilde Courau, ici avec Max Boublil, dont c’est la première apparition au théâtre, dans la pièce à succès «Une situation délicate».

Sylvie Castioni/Bestimage/Dukas

- Que faisait votre père qui vivait en Afrique?
- Il était ingénieur conseil. J’ai vécu ma petite enfance en Afrique de l’Ouest, dans l’ancien Dahomey, devenu Bénin, jusqu’à la guerre civile.

- Qu’est-ce qu’il vous reste de cet éveil à la vie?
- Ce fut une expérience unique d’ouverture sur le monde. Une école d’adaptation aussi à cause de la guerre, avec la découverte brutale de la précarité de la vie, de la force de l’instant présent. Je suis restée très sensible aux tirs à l’arme à feu. J’ai un instinct de survie extrêmement développé. Je sais ce que c’est que le chaos, l’horreur. La violence. Elle a été imprimée dans ma mémoire. Ceux qui ont connu, dans leur chair, ce qu’est un pays en révolution savent à quel point il est nécessaire de lutter. Les gens qui n’en ont pas fait l’expérience peuvent, hélas, tomber dans des extrémismes.

- Est-ce que ce sont des choses que vous arrivez à partager avec vos deux filles, Vittoria et Luisa, 19 et 16 ans, pour leur transmettre la réalité du monde?
- Oui. La réalité du monde, c’est la réalité de notre histoire humaine. Il ne faut pas avoir peur. Je suis capable, dans les grands moments de drame, de ne pas m’écrouler et je transmets ça à mes deux enfants. Je leur dis que rien n’est impossible, que le bonheur se construit. Par contre, il faut choisir le bon chemin et anticiper. Il ne faut pas craindre d’avoir du courage, le sens de l’effort, de la détermination, de la résistance. Le monde dans lequel nous sommes est en pleine révolution. Avec des enjeux politiques, écologiques, des conflits, des situations extrêmes. Il faut être dans la résistance, dans la lumière, dans le sens du collectif autant que de l’individuel. C’est un grand défi. 

Clotilde Courau

«J’ai voulu donner comme modèle à mes filles celui d’une mère qui travaillait. La pédagogie passe par les actes, pas simplement par les mots.»

Sylvie Castioni/Bestimage/Dukas

- Vous avez connu un succès précoce, entre 17 et 21 ans. Et, malgré un tempérament angoissé, vous avez abordé tant le théâtre que le cinéma, la chanson ou le cabaret.
- J’aime l’idée de me mettre en danger afin de pouvoir repousser mes limites. 

- Pour interpréter Irma la Douce, un rôle où vous chantiez, vous êtes devenue l’élève de Madame Charlot, surnommée la «maman du showbiz». Fille d’un Suisse alémanique, elle a été la professeure de chant de Julien Clerc, de Fanny Ardant, de Johnny Hallyday et de dizaines d’autres. Que vous a-t-elle appris? 
- Tout d’abord, je la regrette. Si elle était encore là, je lui demanderais de prendre des cours. Ça chauffe la voix avant d’entrer en scène. Elle m’a ouvert à cet art. La voix, c’est la fenêtre de l’âme. Madame Charlot me disait: «Chanter, c’est être.» C’est très organique. La rencontre avec elle a été fondamentale. En réécoutant l’enregistrement d’«Irma la Douce», je me dis: «Qu’est-ce que je chantais bien!» J’ai perdu cette confiance. J’aimerais la regagner et qu’un homme comme Gérard Daguerre, pianiste et chef d’orchestre qui a fait chanter Gérard Depardieu dans le répertoire de Barbara (il a été l’accompagnateur de la dame en noir pendant dix-sept ans, ndlr), soit là lui aussi. Je souhaiterais qu’un producteur ou un metteur en scène me dise: «Maintenant, tu vas rechanter.» Je lui dirais oui tout de suite et je préparerais une tournée en Suisse. Avec, par exemple, les grandes chansons de l’entre-deux-guerres. Elles ressemblent fort d’ailleurs à ce qu’on est en train de vivre.

- Vous restez fidèle à la déclaration que vous aviez faite lorsque vous avez été meneuse de revue au Crazy Horse en 2010: «J’ai toujours été là où on ne m’attendait pas.»
- C’est vrai. Mais est-ce que l’on attend quelqu’un quelque part? J’ai peu parlé dernièrement. En ces temps troublés où les choses sont moins évidentes, le silence est bénéfique. Il permet de vous révéler à vous-même. C’est bien, ça m’a laissé du temps pour continuer mon métier différemment. Je suis passionnée par la littérature, je fais beaucoup de lectures publiques. J’ai rencontré l’auteur contemporain et poète Christian Bobin (décédé le 23 novembre dernier, ndlr). Il a été fondamental dans mon parcours personnel d’interprète. Son écriture est une respiration. Elle m’a permis d’entendre notre humanité. A travers ses écrits, nous sommes humains et nous avons le cœur vivant. Quant à mon chemin, il continue et il est, encore une fois, là où on ne l’attend pas.

Vittoria de Savoie

Vittoria de Savoie, 19 ans, fille aînée de Clotilde Courau, est princesse et mannequin.

Instagram

- Votre mari, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, vit à Los Angeles, où il est entrepreneur. Que fait-il?
- Il a toujours son activité caritative au sein de l’ordre de Savoie, en Italie et dans différentes parties du monde. Il est entrepreneur avec le Prince of Venise, un «food truck» devenu un restaurant et un commerce de pâtes fraîches aux Etats-Unis. Dernièrement, il a lancé The Royaland, un royaume virtuel pour les gamers et les amateurs d’«heroic fantasy».

- Vos deux filles sont princesses et l’aînée sera appelée à devenir l’héritière de la maison de Savoie grâce à la suppression de la loi salique qui imposait la primogéniture mâle. Comment la préparez-vous à prendre ses futures responsabilités?
- Il faut avant tout qu’elle trouve sa propre voie, ensuite qu’elle connaisse l’histoire de sa famille et qu’elle s’interroge, tout comme sa sœur cadette, par rapport à ce que voudrait dire être héritière d’une famille aussi ancienne. Elles doivent savoir ce que cette famille a fait. Plus l’être est formé, plus il est enraciné et construit – c’est l’éducation que j’ai envie de donner à mes enfants – et plus il saura être juste dans ses responsabilités vis-à-vis d’une famille qui a autant compté à un moment donné dans l’histoire et qui compte d’ailleurs toujours, symboliquement, bien entendu. 

- Vous-même êtes princesse. Ce titre vous occupe-t-il ou est-ce que vous êtes tout entière tournée vers votre carrière de comédienne? 
- J’ai envie de dire: «On en reparlera à la fin de la vie.» Dans un premier temps, je me suis beaucoup consacrée à l’éducation de mes filles. En leur donnant comme modèle une mère qui n’abandonnait pas sa carrière et qui travaillait. La pédagogie passe par les actes, pas simplement par les mots. Donc j’ai acté le fait d’être une femme indépendante qui menait une carrière et qui y tenait. J’aurais été avocate ou médecin, peut-être que ça aurait été plus simple dans cette fonction et ce mariage. Cela aurait moins choqué que je poursuive mon métier. Moi, ça m’étonne qu’au XXIe siècle le métier de comédienne, dans certaines strates traditionalistes de la société, puisse encore être considéré comme quelque chose de léger, de pas très sérieux. 

- Vous en faites une revendication, un combat?
- C’est une activité de grande valeur. La culture est fondamentale. Elle permet d’accéder aux textes, elle forme et élève l’esprit. Il n’y a pas qu’une finalité pécuniaire dans mon métier.

Vittoria de Savoie

Vittoria de Savoie est née à Genève, comme sa sœur cadette.

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- Vous êtes membre du Collectif 50/50, qui promeut l’égalité des femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma. C’est votre idée du féminisme? 
- Les choses ont évolué par rapport à ma grand-mère et à ma mère. On voit de plus en plus de femmes à des hauts postes à responsabilités, on ne s’en étonne plus et c’est formidable. En revanche, je suis surprise que l’égalité des salaires ne soit pas un combat mené plus durement. On parle du droit à l’égalité, non pas de l’égalité. Comment, dans tant de domaines, les salaires ne sont-ils toujours pas égaux entre les hommes et les femmes? 

- En temps de crise, les femmes sont-elles plus vulnérables? 
- Chaque fois qu’il y a une crise ou un conflit, la femme est la première des victimes. On lui enlève ses droits et son droit fondamental, par exemple, qui est celui de choisir ses naissances. Voilà aussi pourquoi j’ai lu «L’événement», d’Annie Ernaux (récit autobiographique de l’auteure sur l’avortement, ndlr), au moment où, aux Etats-Unis, on supprimait le droit à l’avortement dans beaucoup d’Etats. C’est une manière de faire mon métier et d’être, aussi, dans ce qu’on appelle la résistance ou l’engagement. 

- En quoi est-ce que le mouvement #MeToo a-t-il concrètement aidé les femmes dans l’industrie du cinéma?
- Les deux grands succès de la rentrée 2022 ont été signés par deux femmes: «Revoir Paris», d’Alice Winocour, et «Les enfants des autres», de Rebecca Zlotowski. Ce sont deux jeunes réalisatrices fondamentales qui ont des points de vue féminins. C’est une avancée quand les femmes sont considérées au même titre que les hommes et disposent des mêmes budgets en tant que réalisatrices. Mais je nuance. Le féminisme est un combat dont j’exclus toute forme d’excès. On ne va donc pas condamner tous les hommes à être des salauds, des ingrats et des monstres. Parce qu’on a aussi besoin des hommes. Je suis heureuse que, dans la génération de mes filles et celle des 25-30 ans, les hommes apprennent à se comporter dans le respect de l’autre et de la différence.

- Est-ce que vous avez subi ce que dénonçait #MeToo?
- Oui, bien sûr. Mais j’ai eu la chance d’avoir ma force de caractère, l’éducation qu’on m’avait donnée, de croire en moi et de ne pas céder. Sans cela, peut-être que j’aurais accédé à des rôles plus importants. 

Le Prince Victor Emmanuel de Savoie, la Princesse Marina de Savoie, le Prince Emmanuel Philibert de Savoie et sa femme Clotilde Courau, Princesse de Savoie.

Clotilde Courau, au Crazy Horse à Paris en 2010, avec son mari, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, et ses beaux-parents,Marina et Victor-Emmanuel de Savoie.

Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

- Vos deux filles, nées à Genève en 2003 et 2006, sont-elles Suissesses?
- Oui, elles ont de la chance. Il n’y a que moi qui n’ai pas la nationalité suisse pour le moment.

- Pour le moment, dites-vous?
- Oui, j’espère devenir Suissesse! Je croise les doigts, vraiment.

- Est-ce que vous pourriez, le moment venu, vous établir ici, puisque vous avez des projets à Lausanne?
- J’ai un projet avec le réalisateur et producteur suisse Fabrice Aragno. J’aime beaucoup Lausanne, qui est une ville extrêmement dynamique. J’aimerais y donner des cours à de futurs cinéastes, enseigner l’interprétation, animer des master class auprès des étudiants en cinéma ou en théâtre. J’aimerais, comme évoqué précédemment, pouvoir construire un spectacle de poésies et de chansons parce qu’un producteur suisse va me faire confiance. Cela me passionnerait. 

Clotilde Courau

La comédienne confie les soins de son visage à L. Raphael à Genève. «Mon visage, c’est mon métier. Les soins me permettent de rebooster le collagène et les muscles, grâce à des technologies de pointe.»

Sylvie Castioni/Bestimage/Dukas

- Qu’est-ce qui vous plaît en Suisse?
- J’ai eu la chance, en tant que Française, de découvrir et de connaître la Suisse de l’intérieur. Je crois que, du côté de ma grand-mère, une partie de ma famille est suisse d’origine. J’y viens chaque année. Je connais tous les blasons des cantons. J’ai étudié votre système politique. Pour moi, les sept conseillers fédéraux, l’Assemblée fédérale, qui se compose de deux Chambres, toute cette mécanique-là forme une vraie démocratie. Je suis très impressionnée aussi par la beauté de votre nature. J’aime le silence et la lecture, marcher, être dans les montagnes, je peux m’imaginer passer de plus en plus de temps en Suisse. Sans renier ma culture d’origine. 

- Est-ce que vous voyez souvent vos beaux-parents à Gstaad, Marina et Victor-Emmanuel de Savoie?
- Plusieurs fois par an, évidemment. Ce sont les grands-parents de mes enfants. J’ai le sens de la famille. Ça fait partie de mes valeurs et c’est un pilier de la vie. 

Une situation délicate

«Une situation délicate» en Romandie: 17 janvier, Théâtre Equilibre (FR) (complet); 18 janvier, Théâtre du Léman (GE); 19 janvier, Théâtre de Beausobre, Morges (VD); 24 mars, Théâtre du Crochetan, Monthey (VS). Avec Clotilde Courau, Elodie Navarre, Gérard Darmon et Max Boublil. Rires garantis.

DR
Par Didier Dana publié le 14 janvier 2023 - 08:06