1. Home
  2. Actu
  3. Cinq couples homosexuels témoignent de ce que signifie vraiment le mariage pour tous
Société

Cinq couples homosexuels témoignent de ce que signifie vraiment le mariage pour tous

Après des années de débats aux Chambres fédérales et une campagne virulente, l’acceptation du mariage pour tous est à bout touchant. Des couples homosexuels évoquent ce que ce vote signifie pour eux.

Partager

Conserver

Partager cet article

Nicolas Walder et de son amis Jorge

«Avant, on voulait être tolérés. Maintenant, on veut le respect.» Le conseiller national Nicolas Walder (à g.) et Jorge Cadena chez eux à Carouge.

David Wagnières

Chez les hétéros, le mariage ne fait décidément plus rêver: les statistiques montrent que les couples sont de moins en moins nombreux à s’unir ainsi. Chez les homos, cela reste un Graal: le symbole d'une acceptation sociétale et la reconnaissance qu'ils ont, tout simplement, les mêmes droits que les autres. A quelques jours de la votation sur le mariage pour tous, nous avons souhaité donner la parole à différents couples pour qu’ils rappellent ce que signifierait pour eux cette avancée et pourquoi ils la désirent absolument.

Jorge Cadena, 37 ans, et Nicolas Walder, 55 ans, Genève
«Parce que nous sommes des citoyens comme les autres»
Les deux hommes sont en couple depuis cinq ans «et deux mois», précisent-ils. «Quand j’ai rencontré Nicolas, je me suis dit: «Oh non, pas un politicien!» rit Jorge Cadena. «Quand j’ai vu qu’il assumait son homosexualité et qu’il était écolo, j’ai changé d’avis», poursuit le réalisateur colombien dans un sourire malicieux. Selon le conseiller national genevois, leur couple se retrouve sur leur engagement commun, artistique comme politique. «Ça me nourrit beaucoup de voir ces autres façons, souvent plus belles, de faire passer des messages», indique le député. Qui, au sein de la Commission des affaires juridiques du National, traite de thématiques comme le changement de genre à l’état civil. Ces questions, comme la votation du 26 septembre, «ne concernent pas des minorités abstraites, mais des personnes incarnées, des amis, nous-mêmes».

Pour Jorge Cadena, «nous ne sommes plus dans les années 1990, lorsque nous demandions à être tolérés. Nous voulons le respect. Accorder le droit de se marier aux personnes homosexuelles, c’est pour moi le signal que la société devient plus saine, moins toxique. Lorsque nous avons participé à la Geneva Pride récemment, ça m’a fait chaud au cœur de voir des hétéros, des familles avec des enfants. On sent que les choses bougent.» Eux-mêmes ont d’abord évoqué le mariage comme une blague, lorsque le court métrage Sœurs Jarariju de Jorge Cadena a été nommé au Festival international du film de Berlin en 2019. «Je lui ai dit: «Si tu gagnes, je t’épouse!» Quand le film a reçu un prix, on a commencé à y réfléchir sérieusement. Et puis, tous nos amis nous le réclament, ils ont aussi envie de fêter notre amour», indique Nicolas Walder. S’ils se décident, «ce ne sera en tout cas pas pour des questions administratives», précise le Colombien, arrivé en Suisse il y a une dizaine d’années et très bien intégré. De manière générale, insiste son compagnon, «avoir le droit de se marier participera à la normalisation de l’homosexualité, une différence qui ne devrait plus être marquante, comme être blond ou gaucher. Il ne s’agit pas d’imiter l’hétéronormativité, mais d’une étape importante pour être reconnus citoyens comme les autres.» A. B.

MARIAGE POUR TOUS

«Le monde sera vraiment libre quand il n’y aura plus besoin de Gay Pride!» Josefa (à g.) et Eléonore à Genève.

Magali Girardin

Josefa, 31 ans, et éléonore, 26 ans, Genève
«Le droit au mariage, c’est un pas de plus important vers l’égalité»
Les deux Genevoises le répètent volontiers: elles ont envie de «construire quelque chose ensemble». Même si cela ne fait que deux ans qu’elles sont en couple, leur assurance est communicative, l’intensité de leur relation une évidence. Josefa, musicienne chilienne, et Eléonore, psychomotricienne, ont d’ailleurs conclu en août dernier un partenariat enregistré. «Nous avons déjà observé un changement positif chez certaines de nos connaissances hétérosexuelles. Cette officialisation a visiblement donné à notre couple un statut plus solide, plus respectable en quelque sorte.» C’était également indispensable pour que Josefa, venue du Chili il y a cinq ans pour étudier, puisse rester en Suisse. Mais ce partenariat, célébré par une grande fête sans chichi au début du mois, n’est pas suffisant à leurs yeux. «Le droit au mariage, c’est un pas de plus important vers l’égalité», sont-elles convaincues.

Si elles ne sont pas engagées dans des associations, elles se considèrent comme des militantes «au quotidien, parce qu’on assume et visibilise notre homosexualité. En se tenant la main, on dit qu’on existe, que notre amour existe et qu’il a autant de valeur que n’importe quel amour. C’est triste que les couples homosexuels ne puissent faire ce geste en toute décontraction qu’un jour par année, dans le cadre d’une Pride, comme la semaine passée à Genève. Si militer signifie prendre la parole pour transmettre un message, alors on milite tous les jours, juste en existant. Prendre la parole dans votre magazine pour parler de ce sujet, c’est aussi du militantisme.»

Dans la vie courante, «les regards, même bienveillants, nous rappellent qu’on nous considère comme des personnes hors norme. C’est absurde. Le droit au mariage sera un pas de plus vers la normalisation de toutes et tous. Le monde sera vraiment libre quand il n’y aura plus besoin de Gay Pride, ou plutôt que ce sera la Pride tous les jours», expliquent-elles avant d’ajouter, en riant mais avec une soudaine fermeté: «Et quand il n’y aura plus de patriarcat!»

Le droit au mariage n’est bien sûr pas seulement une avancée symbolique, il offre aussi des avantages pratiques que le partenariat n’a pas: «Quand je dois indiquer mon état civil sur un document officiel, par exemple, la mention «partenariat enregistré» me catégorise immédiatement comme homosexuelle auprès d’un possible employeur ou d’une gérance. Cet outing obligatoire est une discrimination», explique Eléonore. A Josefa, le mariage ouvrira les portes de la naturalisation facilitée, une option qui n’est pas incluse dans le partenariat. Et il y aura bien sûr le droit pour les couples de femmes de faire des enfants en toute légalité, sans devoir bricoler quasiment en cachette des fécondations ou devoir recourir à des services à l’étranger. Cette égalité supplémentaire, les futures mariées – pour autant que les sondages favorables disent vrai – se réjouissent de l’acquérir, même si elles n’ont encore rien décidé ni programmé sur ce plan-là.

En les écoutant, on réalise à quel point le droit à la complète égalité est décidément fondamental, même pour ces deux femmes rayonnantes, bien dans leur peau et dans leur vie professionnelle, et que rien ne semble pouvoir atteindre. Il n’est en effet pas simple de devoir vivre avec les innombrables signes de pseudo-différence que la société leur renvoie constamment, directement ou indirectement. «Nous demandons d’ailleurs aussi le droit au divorce pour tous», plaisantent-elles pour illustrer la lassitude que les inégalités encore en vigueur suscitent chez les citoyennes et citoyens concernés.
Et leurs futures noces, comment les imaginent-elles? Toutes les deux en blanc? «Ah non, surtout pas! Nous n’allons pas sacrifier au vieux cliché hétéro de la femme innocente et pure!» se récrient-elles d’une seule voix. La simplicité sera de mise. Les gens heureux n’ont pas besoin de se raconter des histoires. Ph. Ct

Céline Favre, 44 ans, et Stéphanie Risse, 42 ans, Savièse (VS)
«Pour être en accord avec les valeurs qui nous ont été inculquées»
Elles auraient préféré pouvoir se marier vraiment, «comme n’importe qui». Mais, après huit années de vie commune et le constat que leur couple, c’était vraiment du solide, elles en ont eu assez d’attendre. Alors, en mai dernier, les deux femmes ont finalement signé un partenariat enregistré. Pour des raisons administratives, certes, «parce que tout ce qui est à moi est à elle, et vice-versa», souligne Stéphanie Risse. Mais aussi parce que marquer leur union était «une évidence». Toutes deux soulignent qu’elles ont grandi dans une famille stable, dont les parents sont toujours ensemble. Se marier sera la prochaine étape de leur cheminement commun, parce que «cela a un vrai sens, une vraie symbolique». «Dans ma famille, il n’y a pas de divorcés, glisse Stéphanie. Se marier, c’est être en accord avec l’éducation et les valeurs qui nous ont été inculquées.»

Au sein de leurs familles respectives, «tout s’est toujours très bien passé, ils nous soutiennent à 2000%». Leur couple n’a jamais posé de problème non plus aux clients du restaurant qu’elles ont tenu à Sion ou à la table d’hôte qu’elles ont ouverte à Savièse, L’Envol.

Alors le mariage, oui: «Pour la bague!» glisse Stéphanie dans un éclat de rire. Et puis parce que le partenariat n’a pas la même portée. «Nous payons les mêmes impôts, la facture du partenariat a été la même que pour un mariage, mais nous n’avons pas eu droit à la salle de réception.» Heureusement, les proches ont fait de cette journée un événement mémorable. «On a vraiment été gâtées par les gens qui nous entourent. La fête, c’est eux qui nous l’ont offerte. Ils avaient même décoré le mazot avec des pétales de roses partout.»

Les affiches et la campagne des opposants de ces dernières semaines leur ont laissé un goût amer. «D’abord, l’argument de la PMA n’a pas de sens. Les hétéros l’utilisent aussi», souligne Stéphanie. Elles-mêmes n’ont aucune intention d’avoir des enfants. Les deux femmes ont surtout été choquées par «ce ressentiment, je dirais presque cette haine. Ça, non, je ne le comprends pas», souffle Céline. Mais elles restent optimistes. «Les gens vont voter oui. C’est une évidence.» A. B.

Karen, 24 ans, et Élodie, 28 ans
«Le partenariat enregistré n’est pas suffisant»
A la fin de l’année, Elodie, qui vit actuellement dans le sud de la France, rejoindra Karen en Suisse. «Je suis née et j’ai toujours habité en Suisse. Je suis trop attachée à mon pays pour m’établir ailleurs. Il est donc important que nous puissions nous marier ici», explique cette ancienne candidate au concours Miss Suisse qui travaille comme assistante médicale. Cela ne fait qu’une année et demie que les deux femmes se connaissent et s’aiment. «Mais nous en avons déjà discuté: nous voulons nous marier sans trop attendre! Avant que je rencontre Elodie, le mariage ne me concernait pourtant pas du tout. Mais pour la première fois, j’ai l’impression de vivre l’amour de ma vie. Le mariage me semble désormais s’imposer naturellement. Pour autant, bien sûr, que le peuple suisse vote oui ce dimanche.»
Le partenariat enregistré leur semblait insuffisant. Et puis Elodie souhaite avoir des enfants, même si pour Karen ce choix reste encore ouvert. «Oui, le mariage est un véritable engagement, une prise de risque. Mais c’est une belle prise de risque», estime la Suissesse, qui a changé d’orientation sexuelle il y a trois ans seulement. «J’ai vécu des expériences compliquées avec des hommes. Je me sens plus en sécurité, plus confortable avec une femme. C’est plus doux, plus tactile, plus complice.»

En revanche, les réactions hostiles, dans la rue notamment, sont encore comme un absurde et révoltant prix à payer. «J’ai décidé d’assumer ouvertement ma nouvelle orientation. Et j’ai donc été victime d’agressions verbales. Mais je ne regrette rien. Je me sens vraiment moi-même, désormais. Et cette vie à deux qui nous attend, avec un mariage à la clé, ce sera un accomplissement.» Ph. Ct

Marc Voltenauer et Benjamin son compagnon depuis 16 ans.

«S’il arrivait à l’un de nous un grave problème de santé et que nous n’étions pas liés juridiquement, la charge de la décision incomberait à nos parents…» Marc Voltenauer (à g.) et Benjamin Amiguet, à Gryon (VD), où ils ont élu domicile.

Julie de Tribolet

Marc Voltenauer, 48 ans, et Benjamin Amiguet, 35 ans, Gryon (VD)
«Pour corriger une inégalité»
L’auteur de polars romand bien connu Marc Voltenauer et Benjamin Amiguet s’aiment au grand jour. Ils se connaissent depuis seize ans, vivent ensemble et se sont unis au château d’Aigle en 2019. «Cette année-là, nous avons opté pour le partenariat enregistré fédéral, explique Marc. Notre décision est principalement administrative et juridique. Nous avons quasiment les mêmes droits et devoirs que ceux d’un couple hétéro. D’ailleurs, nous sommes taxés au même titre qu’un couple marié. Pour nous, la question s’est posée au moment de l’achat d’un logement à Gryon, où nous nous sommes installés.» L’autre raison majeure de leur choix est liée à la succession. «S’il arrivait quelque chose à l’un d’entre nous, un grave problème de santé par exemple, et que nous n’étions pas liés juridiquement, la charge de la décision incomberait à nos parents», commente Benjamin. Marc ajoute: «Imaginons qu’il faille débrancher une machine si Benjamin ou moi étions dans le coma. Eh bien sans cette union, le dernier mot nous échapperait et le conjoint restant ne pourrait pas bénéficier du droit successoral.»

Benjamin, venant du marketing, est responsable de l’unité distribution et de la gestion du personnel des points de vente des Transports publics du Chablais. «Dans le domaine de l’édition, nous avons coécrit deux polars destinés à la jeunesse et nous avons un projet de guide commun à paraître au printemps 2022», précise Marc.

En ce qui concerne le mariage à proprement parler, ils distinguent deux choses: «Il y a la reconnaissance sociale du couple, au niveau familial et sociétal, et la reconnaissance légale. Pour le premier aspect, nous n’en voyions pas la nécessité. C’était déjà une réalité que nous vivions harmonieusement. Nous sommes conscients que ce n’est malheureusement pas le cas de toutes les personnes LGBT en Suisse. Si la votation passe, elle donnera aux couples homosexuels un niveau juridique égal à celui des couples hétéros. Cela pose un cadre, comble des manques et corrige une inégalité», disent-ils. Quant aux enfants, la question ne se pose pas. «Dès le départ, nous avons décidé que nous n’en aurions pas.»

Comment ont-ils vécu la campagne des opposants, cette affiche montrant des femmes étrangères au ventre rebondi traitées d’«esclaves» ou cette autre, du comité Non à l’enfant-objet, accompagnée du visage d’un zombie et du slogan «Enfants avec un mort»? «Je ne suis pas choqué, réplique Benjamin. C’est le jeu politique et, bien que je réprouve son contenu, la campagne a atteint sa cible en créant la polémique.» Tous deux estiment qu’aujourd’hui les couples hétéros ou homos doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits et devoirs. «Il y a encore du chemin à faire pour que l’orientation sexuelle devienne un non-sujet. Le mariage pour tous est un pas nécessaire dans ce sens. L’essentiel maintenant est d’aller voter! Cela permettra aussi, en cas de oui, de donner une meilleure image de la Suisse, pas si bien classée en termes de droits LGBT.» D. D.

Cinq dates clés
 

1942 Le Code pénal dépénalise les actes sexuels entre adultes consentants du même sexe.
1992 L’âge de consentement pour les relations homosexuelles est abaissé à 16 ans, comme pour les hétérosexuels.
2007 Approuvée en votation en 2005, la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe entre en vigueur.
2013 Pour contrer l’initiative du PDC (auj. Le Centre) qui prévoit d’inscrire dans la Constitution la définition du mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, les Vert’libéraux lancent l’initiative «Mariage civil pour tous».
2020 Après cinq années de débats, le parlement fédéral approuve le projet de loi le 18 décembre. Le référendum des opposants, emmenés par l’UDF et l’UDC, aboutira en avril 2021.

Par Albertine Bourget, Philippe Clot et Didier Dana publié le 23 septembre 2021 - 09:01