Nous vous l’avouons sans détour. En préparant cette interview, nous imaginions le représentant du CIO la jouant profil bas, récitant sobrement un credo du genre: «On comprend que certains aspects de l’organisation fassent polémique. Nous les prendrons bien sûr en compte pour les prochaines éditions, blabli, blabla.» C’était à la fois faire preuve de naïveté et mal connaître Christophe Dubi, le grand organisateur de l’événement. Face à la pluie de critiques et aux cris d’épouvante qu’ont suscités ces XXIVes olympiades d’hiver, le fils de Gérard, légende du hockey suisse et du LHC, reste droit dans ses bottes. Mieux – ou pire diront certains –, offensif, le Vaudois de 53 ans déroule un plaidoyer en tout point favorable aux organisateurs pékinois. Pour le directeur exécutif de l’institution, ces derniers ont non seulement maîtrisé à la perfection le dossier sanitaire, mais ils ont aussi montré la voie à suivre en matière d’écologie et d’aménagement du territoire. Celui qui a été désigné personnalité francophone la plus influente du mouvement sportif international en 2020 assène ses arguments et ses vérités en réfutant l’accusation de mauvaise foi et de fuite en avant.
- Avec des Jeux d’été (Tokyo) et d’hiver (Pékin) très controversés, peut-on parler d’une année cauchemardesque pour le CIO?
- Christophe Dubi: Pas du tout. Je dirais plutôt une année de défis, dont nous tirons un bilan extrêmement positif. Et pour cause: premières éditions de l’ère covid, ces olympiades se sont hyper bien déroulées. Nous avions deux objectifs. Que les athlètes s’éclatent et que le problème sanitaire soit maîtrisé. Avec à peine 500 cas à Pékin et aucune contamination collective, l’objectif a été largement atteint.
- Il fallait toutefois être motivé par les exploits extraordinaires de nos athlètes pour suivre au milieu de la nuit des compétitions sans grande ambiance, ni ferveur, un peu ternes, au-delà des médailles…
- Nous n’avons pas vu les mêmes JO, apparemment. Il faut avoir un certain cynisme pour dire que cette édition a été terne. Je ne connais pas les chiffres de la télévision suisse mais, globalement, nous avons battu tous les records d’audience. Au niveau digital, cela a même été l’explosion. Et le digital, ce sont surtout les jeunes. Les stades n’étaient certes pas pleins, protocole covid oblige. Mais ça a donné! Le freestyle et même le ski alpin ont généré des énergies positives incroyables. Comment peut-on dire qu’il n’y avait pas d’ambiance, bon sang de bonsoir?
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- La vue sur les tours de refroidissement d’une centrale nucléaire et sur les cheminées d’une ancienne aciérie n’avait rien de bucolique non plus…
- Ecoutez, une grande partie des gens qui ne connaissent pas la problématique des sports d’hiver en Chine disent de ces Jeux que tout a été fait faux et à l’envers. Ce n’est pas la réalité. Les Chinois ont une capacité à innover hors normes. Ils ont osé transformer un site industriel polluant en un espace sportif et commercial de grande qualité. Les terrains ont été assainis et réaménagés afin que les gens puissent, comme nous, pratiquer les sports d’hiver. Les organisateurs ont rendu aux habitants de Pékin une immense zone dont ils peuvent désormais profiter. Est-ce faux de faire ça? Personnellement, je ne crois pas.
- Pékin est située à 44 mètres au-dessus du niveau de la mer et ces sites ont été enneigés artificiellement, ce qui a nécessité près de 200 millions de litres d’eau. Un doigt d’honneur, n’ayons pas peur des mots, à la planète et à son urgence climatique…
- Je suis impatient de vérifier ce chiffre. Nous l’aurons rapidement. A Pékin, en hiver, il fait au minimum -10°C et -20°C à 1200 m d’altitude. Là-haut, la neige a été produite une seule fois, en novembre. Dans les Alpes, les canons crachent pratiquement toutes les nuits sans que personne s’en offusque. Une ONG très crédible dans le milieu écologique affirme dans son rapport de durabilité qu’en matière de production de neige et de récupération de l’eau, Pékin 2022 est l’exemple à suivre. Quelle station peut se targuer d’avoir drainé toutes ses pistes? Souvenez-vous de Kitzbühel en 2019. Il faisait 20°C au bas de la piste qui avait été enneigée artificiellement. Tout le monde a trouvé ça formidable et a félicité les organisateurs pour ce tour de force. Ce n’est pas tout…
- C’est-à-dire?
- A Pékin, les infrastructures ont été fabriquées à partir d’énergie verte. Hydraulique, éolienne et solaire. De plus, les patinoires sont refroidies avec une technologie révolutionnaire. Sans fréon, ni usine à gaz. En Occident, on ne veut pas le voir parce qu’on n’a pas intérêt à le voir. Mais les experts le savent. Désormais, toutes les patinoires, en Europe et ailleurs, nouvelles ou rénovées, utiliseront cette technologie.
- Vous êtes Lausannois, vous avez baigné dans le sport, son esprit, ses valeurs. Pour autant, vous ne semblez pas choqué de débarquer sur des sites de JO d’hiver recouverts de prés et d’herbe jaunâtre…
- Je ne le suis pas car je ne perçois pas les Jeux olympiques avec les yeux du fan qui regarde la descente de Wengen et qui attend celle de Kitzbühel huit jours plus tard. Les Jeux, leur évolution, il faut les regarder sur une décennie au moins avant d’en tirer des conclusions définitives. C’est à travers ce prisme-là qu’il faut les appréhender. Les Chinois voulaient s’assurer une ouverture sur une nouvelle industrie. Et je vous garantis que ça marche. Des gens skient, s’enthousiasment pour le freestyle, marchent en montagne. Nous ferons le bilan dans dix ans pour voir si la mayonnaise a pris. Si oui, tout le monde sera gagnant.
- Vous dites que les athlètes se sont éclatés. Difficile de vérifier puisqu’on leur a demandé de la boucler, comme on dit, en dehors de l’aspect sportif…
- Qui a demandé aux athlètes de la boucler? En tout cas pas le CIO. Au contraire, celui-ci a obtenu du gouvernement chinois que l’internet reste ouvert et qu’aucune censure ne soit imposée à un média, un athlète ou tout autre participant aux JO. L’été passé, nous avons réalisé une grande consultation qui a réuni 7000 athlètes de tous les pays. Ce sont eux qui ont décidé qu’il fallait protéger les terrains de jeu, les cérémonies et les podiums. Partout ailleurs, sur les réseaux sociaux, dans les zones mixtes et lors des conférences de presse, ils pouvaient s’exprimer librement. Cela étant, un ou une sportive n’est pas forcément à l’aise pour parler de la guerre au Yémen ou d’une situation politique particulière.
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- Après Sotchi, Pyeongchang et maintenant Pékin, on a l’impression que les Jeux d’hiver ont malgré tout atteint la limite de l’exercice, si l’on peut dire. Que reste-t-il de Lillehammer (1994), présentés comme les JO de référence en matière de budget et d’organisation?
- Comparaison n’est pas raison. Il est impossible de prendre des Jeux à un endroit et de les projeter à un autre. Les JO sont contextuels. A travers notre Agenda 2020, nous disons que les Jeux doivent s’adapter à une ville ou à une région et plus l’inverse. Nous sommes presque trente ans après Lillehammer, en Chine, un pays innovant qui souhaite développer les sports d’hiver et qui dispose des technologies pour le faire. Je suis convaincu que dans vingt ans, nous considérerons ces olympiades comme un tournant. Grâce à elles, toute une industrie s’est ouvert de nouveaux horizons.
- Malgré votre plaidoyer, c’est le sentiment d’un CIO incapable de se remettre en question qui prédomine à l’issue de ces joutes. Même les refus de Sion, de Saint-Moritz ou de Montréal ne semblent pas l’inciter à le faire?
- Détrompez-vous. Ces refus nous ont fait très mal et on a cherché à les comprendre. Nous endossons une grande partie de la responsabilité de ces échecs. Notre Agenda 2020 était sans doute trop frais et nous n’avons pas suffisamment insisté sur les incroyables retombées économiques que les Jeux apportent à une région. En clair, nous n’avons pas su convaincre. Maintenant que cet agenda est sur les rails et fait ses preuves, la Suisse devrait d’ailleurs se reposer la question des JO. La confiance dans cet événement rassembleur et l’envie de l’organiser sont de nouveau bien présentes. Où, excepté aux JO de Pékin, avons-nous vu des Américains et des Chinois s’offrir des cadeaux et se faire des accolades? Nous avons des villes candidates pour les JO d’été jusqu’en 2040 et un très grand intérêt pour les futurs JO d’hiver.
- Avant cela, il y aura Paris et ses compétitions de surf à Tahiti, à 15 800 km de la tour Eiffel. Pourquoi pas sur l’océan, en Vendée ou en Bretagne? Pourquoi le CIO n’utilise-t-il pas sa puissance pour dire non?
- Parce que le rapport de faisabilité conclut qu’en Vendée ou en Bretagne il y a une chance sur deux qu’à cette période, les vagues ne soient pas suffisamment fortes pour le bon déroulement des compétitions; alors qu’à Teahupoo, où se déroule chaque année une manche de la Coupe du monde, non seulement les conditions sont assurées, mais, en plus, toute l’infrastructure – y compris pour la télévision – est déjà installée. Mais également parce que l’impact écologique des voyages vers Tahiti, qui est un territoire français je vous rappelle, sera compensé et, malgré ces épreuves, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 à Paris seront les premiers de l’histoire à déclarer un bilan écologique positif.
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