Bientôt un quart de siècle qu’on «babole» lorsque Christian Constantin vire un entraîneur. Autant dire qu’après une cinquantaine de licenciements, c’est l’indigestion. Marre de ces rengaines! L’heure est venue de changer le disque, d’entonner une mélodie dont on rêve de faire un tube. Son titre: «Tintin, t’es ringard!» A la clé, une interview les yeux dans les yeux ou plutôt, la lampe de table 44 Magnum chère à l’inspecteur Harry Callahan braquée sur son regard noir. Objectif: mettre notre «prévenu» face à une gestion qui semble ne plus fonctionner.
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Connaissant la «bête», on est confiant. CC «en a», comme on dit, et n’est pas du genre à reculer devant le défi. On lui propose le concept. Il valide. Mieux: il l’emballe dans un petit rire cynique et moqueur de celui qui est impatient d’en découdre. Sans doute imagine-t-il nous dribbler. Avec lui, mieux vaut serrer les jambes et marquer à la culotte. On impose une règle toutefois: interdiction de botter en touche. Lui veut de la profondeur dans le propos. Car si le foot est un jeu, présider un club professionnel est loin d’en être un, dit-il. Exit donc le hâbleur ascendant baratineur. CC ne veut pas juste répondre et se justifier. Il veut raconter ses plaisirs et ses douleurs, décrypter ses décisions, expliquer l’envers du décor et passer un message. On allume. La lampe, donc…
- Comme disait feu Jacques Chirac, les emmerdes, ça vole toujours en escadrille…
- Christian Constantin: Ecoutez, si vous ne supportez pas les emmerdes et n’acceptez pas l’idée que la défaite fait partie du sport, présider un club de foot n’est pas pour vous. Mais il est vrai que j’ai déjà vécu des saisons plus joyeuses.
- C’est quoi cette histoire avec Wee, l’un de vos sponsors qu’on accuse d’escroquerie?
- Nous avons signé un partenariat avec cette société il y a deux ans. A la suite de la fermeture des commerces, Wee n’a malheureusement pas pu développer ses affaires comme elle le souhaitait. Nous avons donc suspendu notre accord. Jusque-là, l’entreprise a respecté ses engagements. C’est tout ce que je peux dire.
- Côté sportif, ce n’est pas la joie non plus. Vous allez vous en sortir?
- Nous ferons tout pour, en tout cas. Mais on a du souci à se faire. A l’heure où on se cause (avant les deux rencontres face à Servette et à YB), je signe des deux mains pour une place de barragiste.
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- Les saisons se suivent et se ressemblent. Vous promettez la lune puis le projet part en vrille. N’est-ce pas la méthode CC qui est dépassée?
- La méthode CC a rapporté sept Coupes de Suisse, un doublé coupe-championnat, maintenu le club en première division et lui a permis de vivre un régime professionnel dans une région fort sympathique mais parmi les plus pauvres du pays. C’est plutôt pas mal pour la plus petite ville de la ligue, non? A l’aune de ces constats, il faut inverser la question. Moi, je dirais plutôt: «Lorsque nous gagnons la coupe et que nous terminons bien classés en championnat, ne sommes-nous pas en surrégime compte tenu de nos moyens?»
- Avec 22 millions de budget, vous n’êtes pas démunis dans une ligue où le budget moyen est de 28 millions…
- Enlevez 4 millions pour la formation, il en reste 18, et tu en trouves maximum 3 dans le canton. Le reste, tu l’obtiens en grattant. Je vais vous dire comment se construit le budget: 25 à 30%, transferts de joueurs; 15 à 20%, apport du président; 25%, apport des relations d’affaires du président; 15%, abonnements, entrées, merchandising; 8%, droits TV et ligue; 7% gala et catering. Et ça, c’est sans les infrastructures, comme les terrains d’entraînement, qui m’appartiennent et qui ne sont pas destinés à cette vocation.
- On dit que vous facturez les locations au club?
- On dit beaucoup de choses. Comptablement, je fais ce que je dois faire pour être en ordre, mais je ne suis pas encore au stade de m’envoyer des factures. En Suisse, un président doit être en mesure de mettre 4 millions par année de sa poche.
- Vous concernant, on dit que c’est plutôt un investissement qui vous permet de réaliser de bonnes affaires comme promoteur…
- Ceux qui disent n’importe quoi ne m’intéressent pas. Le foot, tu peux l’utiliser comme moyen de communication, mais ça te coûte une blinde. En Suisse, il y a plus de tournus de présidents que d’entraîneurs. Président, tu dois payer, consacrer du temps, avoir des compétences, savoir constituer un réseau. Et si c’est seulement pour se faire taper sur la gueule, ce n’est pas très rigolo.
- Avec les transferts de Cunha, d’Edimilson Fernandes, de Sierro, de Toma, vous avez encaissé plus de 30 millions ces dernières années…
- C’est vrai. Et heureusement, puisque le poste «transferts» compte pour 7,5 millions par année dans le budget.
- La conséquence a été de grandement affaiblir le contingent…
- On n’a pas le choix. Ces transferts sont nécessaires. En gardant les joueurs jusqu’au terme de leur contrat, nous perdons les indemnités. Ce ne serait plus viable. Et rien n’est jamais garanti. En janvier 2020, nous avions par exemple une offre de 7,5 millions de francs pour notre gardien, Anton Mitryushkin. En octobre, il se brise la rotule et est déclaré perdu pour le foot.
- On a évoqué des salaires proches de 60 000 francs par mois pour certains joueurs…
- Ce sont des conneries. Ce temps-là est révolu depuis longtemps. Aujourd’hui, on est en moyenne à 13 000 francs par mois. Le dernier gros coup a été l’engagement de Gennaro Gattuso, en 2012. Il a touché 800 000 francs pour sa saison au FC Sion. Cette année-là, nous avons vendu 12 000 pulls floqués «Gattuso» sur lesquels nous avons réalisé 60 francs de bénéfice par pièce. Faites le calcul.
- Venons-en à un sujet qui a contribué à forger votre légende: le licenciement d’entraîneurs. Une soixantaine. Respect!
- Dans 60, vous comptez cinq fois Christian Constantin. Parlons plutôt d’une bonne quarantaine. Un chiffre à mettre en adéquation avec la durée de mon mandat. En plus de vingt ans, combien d’entraîneurs ont défilé dans les autres clubs? Je serais curieux de faire le compte.
- N’est-ce pas avant tout un besoin de satisfaire votre pouvoir?
- Rien à voir. Un entraîneur, tu l’engages et tu le paies pour qu’il mette en valeur et tire le maximum du contingent que tu lui confies. Les gens disent: «Laisse-lui du temps.» Cette théorie marche dans un championnat à 16 ou à 20 équipes, pas à dix, comme le nôtre, où tout est si serré. Comme président, quand tu es dans la gonfle, tu as deux solutions: soit tu essaies de changer les choses pour sauver les meubles, soit tu laisses aller et tu paies la facture. Cette saison, avec Fabio Grosso, j’ai beaucoup trop laissé aller. Et la facture risque d’être lourde.
- Malgré leurs défauts, c’est vous qui les engagez…
- C’est vrai. La comparaison paraîtra triviale, mais un entraîneur, c’est un peu comme un melon. C’est seulement après l’avoir ouvert que tu sais s’il est bon ou pas. Je préfère cette autre analogie: si tu donnes dix pierres précieuses brutes de différentes qualités à dix diamantaires, ce n’est pas forcément celui qui a hérité de la plus belle d’entre elles qui taillera le plus beau bijou.
- Cela dit, prendre leur place sur le banc, n’est-ce pas ridicule?
- Je ne peux plus. Je reçois une lettre de la ligue dès que je le fais. Elle a changé le règlement à cause de moi. Désormais, il faut être au bénéfice d’un diplôme pour prendre place dans la zone technique. J’ai coaché 21 fois l’équipe depuis que je suis président. Mon bilan: trois défaites, un nul et 17 victoires, 52 points, soit 2,47 points par match. Ridicule vous dites?
- Beaucoup estiment que licencier Peter Zeidler, l’actuel entraîneur du FC Saint-Gall, en 2017 fut l’une de vos plus grandes erreurs. Pour cause de mésentente avec votre fils, Barthélémy, directeur sportif du club…
- C’est complètement faux. Peter a fait du super boulot l’automne, mais n’a pas réussi à insuffler la même dynamique après qu’on lui a renouvelé son contrat. Un épisode personnel que je ne peux pas évoquer ici a également joué un rôle, mais il n’a rien à voir avec mon fils. Leurs relations étaient au contraire des plus cordiales.
- Installer votre fils sans grande expérience à ce poste clé, est-ce une bonne solution pour le club?
- Si un papa ne donne pas sa chance à son fils, qui la lui donnera? Barthélémy accumule chaque jour de l’expérience et grandit favorablement. Comme président, je lui ai fixé des règles strictes et comme père, c’est normal que je l’aide. Je ne vois pas le problème.
- Pour revenir à votre gestion, mettre «Le Nouvelliste» à l’index, n’est-ce pas un comportement d’un autre âge et se tirer une balle dans le pied par la même occasion?
- Chacun vit de son côté et semble plutôt bien s’en porter. Notre relation était proche de se normaliser en août dernier. Peu avant son départ, le directeur du journal m’avait proposé une grande interview qui devait permettre de formuler nos reproches mutuels et d’enterrer nos différends. La direction éditoriale s’en est mêlée et, finalement, le projet est tombé à l’eau. On en est là.
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- Et vous, vous en êtes où de votre job et de la présidence, à deux ans de l’âge légal de la retraite?
- Je posais la même question à Bernard Nicod il y a quelques jours. On a conclu que des types comme nous, seul un pépin de santé peut les arrêter. Personnellement, il me faut dix à douze ans pour liquider mes affaires. Moralité, si j’ai la santé, je serai encore là dans dix ans. Au club et à mon bureau.
- Vous n’avez pas envie de tout envoyer balader parfois?
- T’envoies tout balader et après? Ce n’est pas une option. Maintenant, dire que j’ai du plaisir, non. Les résultats sont décevants et le covid nous enfonce encore plus. Quinze mois bientôt que je regarde les matchs seul dans la tribune, quinze mois que plus un franc ne rentre. L’autre jour, au Letzigrund, à Zurich, le chien du président est allé faire ses besoins sur la pelouse pendant le match. Tout cela n’a plus de sens. C’est très dur. Impossible de voir de quoi demain sera fait.
- C’est-à-dire?
- Je crois que le foot se trouve à un tournant. On le voit sur le plan international avec le projet de Super League, mais également sur le plan national. La crise que nous traversons est dévastatrice. Nous serons tous contraints de réduire la voilure. Plus encore dans un canton comme le Valais où les ressources sont limitées et les charges en augmentation: 150 000 francs par année de police cantonale, qu’on ne payait pas avant, 27 000 francs de police communale pour le match contre Servette, une location de stade pratiquement du double de celle de Lausanne qui a un stade neuf. Je ne vois pas comment nous pourrions poursuivre l’expérience du professionnalisme dans ce contexte. A ce jour, je suis même incapable d’articuler un budget pour la saison prochaine ou de désigner la ligue qui correspondrait le mieux à nos moyens.
- Sur le plateau du «19 h 30», vous avez parlé d’amis qui vous aidaient…
- Je parlais des relations d’affaires qui émargent à mon réseau. A part ça, tout le monde vient me parler de foot, beaucoup critiquent ma gestion, mais personne ne me tape sur l’épaule en disant: «Je me démerde pour trouver 5 millions.»
- Il est où, votre plaisir, finalement?
- Les joueurs. Ces gamins sont bien en général. On dit que ce sont des enfants gâtés dans le meilleur des cas, des pourris dans le pire. Ça me fait mal. L’argent du foot attire toute une faune qui gravite autour des joueurs et qui, souvent, monte la tête de parents qui ne ressentent plus de fierté de voir leur fils porter les couleurs d’un club mais le considèrent comme une source de revenus. Croyez-moi, ces gamins sont vachement bonnards. C’est souvent l’entourage qui pourrit les choses.
- C’est quoi l’héritage que vous aimeriez laisser?
- Un président ne laisse pas un héritage. Il est jugé sur l’histoire qu’il a écrite. Cela étant, j’ai un gros projet que nous allons soumettre au nouveau Conseil d’Etat. Un grand centre de formation, dans le Valais central, sur un espace de 100 000 m2, comprenant sept terrains, dont un chauffé et deux synthétiques, un hébergement de 25 chambres, une salle d’entraînement, etc. Un projet devisé à 50 millions qui contribuerait à pérenniser le FC Sion et le football dans notre canton.
1970. «Le décès de ma maman, Charlotte, le drame de ma vie. J’avais 13 ans.»
1985, 1994, 1998. «Les années de naissance de mes enfants. Respectivement, Armelle, Barthélémy et Charline.»
1980. «Ma première construction, l’hôtel de la Porte d’Octodure. J’avais 23 ans.»
1997. Doublé coupe-championnat avec le FC Sion.
Et s'il n'y avait qu'un... chanteur: