Christelle Luisier, conseillère d’Etat vaudoise.
«2022? Une des années les plus intenses que j’ai jamais vécues. La campagne électorale pour les élections au Conseil d’Etat fut celle où j’ai donné le plus de temps et d’énergie. Avec les quatre autres candidats de l’Alliance vaudoise, nous sommes allés partout, presque auprès de chaque citoyen. Au final, je suis élue au premier tour pour 113 voix, sur près de 150 000 votants. Ma première réaction est la surprise: quatre jours plus tôt, les sondages me plaçaient quatrième…
Ensuite, je suis «au taquet», je vis un début de législature du style dynamique, avec beaucoup d’un coup: un changement de majorité, quatre nouveaux conseillers d’Etat, la présidence du gouvernement pour moi, le budget à mettre en place, les crises à gérer. Au sein du Conseil d’Etat, où j’occupe un rôle de coordination, il faut apprendre à se connaître, créer quelque chose entre nous. Voilà pourquoi nous avons pour la première fois organisé des journées au vert.
Le pouvoir? Il existe et toute personne qui exerce des responsabilités et dirait le contraire serait hypocrite. Si j’ai eu envie d’accéder à un tel poste, c’est pour faire bouger les lignes. Chez nous, il demeure cependant fragmenté et c’est bien ainsi. Il reste d’ailleurs chez moi une part de timidité. Paradoxalement, elle s’exprime moins devant 1000 personnes que dans le contact bilatéral. Le «small talk» est parfois pour moi un exercice compliqué. Même après des années d’expérience, on ne se refait jamais complètement.
Cette retenue, je la surmonte quand je fais des discours. Quand j’étais syndique de Payerne, je les écrivais moi-même. Aujourd’hui, j’en ai tellement à élaborer que quelques personnes de mes équipes m’aident à les préparer, en fonction des thèmes. On en parle avant et j’aime faire tourner ces éléments dans ma tête puis les exprimer «à ma sauce». Je trouve important de respecter le style direct et spontané qui est le mien. Si tous les discours sont importants, je retiens cette année ceux que j’ai adressés pendant la campagne aux adhérents du PLR, là où l’objectif est de donner un élan. Là, pas de notes, il faut parler avec les tripes! Après, il existe des discours plus posés, comme celui de l’assermentation, où j’ai parlé de liberté, de cohésion, du désir de trouver des chemins au-delà des différences culturelles ou régionales. J’ai dit aussi qu’on doit garder une forme de plaisir et de légèreté dans tout ce qu’on fait. Je m’y essaie toujours.
J’aime la convivialité, les moments de proximité. Cet été, j’ai participé à pas mal d’abbayes. On y sent battre le pouls du terroir, c’est fantastique. J’ai pu faire les Brandons, comme chaque année. Ils tombaient sur le deuxième tour des élections. Le lundi soir, on y a fait la fête avec l’équipe de campagne et même avec Michaël Buffat, qui n’avait pas été élu. Payerne, c’est chez moi, j’en ai besoin. J’y ai mon cercle familial, mes amis proches. C’est là que je peux m’extraire du travail quotidien et que je continue d’habiter, sans aucune hésitation. Oui, je suis de là…
Super Woman n’existe pas. Je le dis souvent: toute personne, femme ou homme, qui s’engage à la fois aux niveaux politique, familial et professionnel y laisse des plumes. Impossible d’être à 100% partout, il existe forcément des sacrifices, des pans de vie qui vont moins bien. Je sais aussi que, dans une démocratie de proximité, tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Même si la politique prend une place énorme, j’ai une vie à côté, d’autres envies. Potentiellement, je me vois reprendre un café un jour, marcher en montagne, partir à l’étranger, me mettre à disposition d’une manière différente.
Un jour, vous êtes portée aux nues et, le lendemain, c’est le précipice, je le sais bien. J’ai une méthode à moi pour prendre du recul. En cas d’article négatif contre moi, ou de polémique, ou de débat qui s’est mal passé, j’applique la «règle des vingt-quatre heures». Je me dis que cela ira mieux demain…»