- Christa Rigozzi, vous êtes entrepreneuse, influenceuse, maman, épouse, toujours à sillonner la Suisse, en train ou en voiture. Vous vivez tout le temps le pied sur l’accélérateur?
- Christa Rigozzi: Mon agenda est plein tous les jours de la mi-février à la mi-juillet. Je prends un mois et demi de vacances avec mon mari et mes enfants. Ensuite, je n’arrête pas de septembre à mi-décembre. Hier matin, j’étais à Bellinzone, hier soir, j’avais un événement à Lausanne, ce matin, je suis au Beau-Rivage Palace avec vous. Je repars à 15 heures pour Zurich, demain j’ai un shooting photo et je reviens dimanche à Lausanne pour une soirée avec un joaillier. Parfois, j’ai trois événements le même jour. J’ai mes émissions à la télé, je présente de grandes manifestations, comme les National Summer Games – Special Olympics Switzerland à Saint-Gall, je travaille dans cinq langues et je suis l’égérie de marques qui sont mes sponsors, j’ai ma propre ligne de chaussures, Christa X Varese avec Ochsner Shoes, je fais des campagnes nationales et je gère mes réseaux sociaux.
- Quand trouvez-vous le temps d’être à la maison, en famille?
- La Suisse est petite, heureusement (sourire). Je fais des sauts de puce chez moi dès que j’ai un moment de libre. Giò (Giovanni Marchese, ndlr), mon mari, m’a toujours encouragée en me disant: «Fais ton job. Moi, je réduis le mien.» Il travaille à la maison comme graphiste et vidéaste free-lance dans la décoration d’intérieur. Il aime être papa à 100%. Sans son soutien, je ne pourrais pas exercer mon métier. C’était déjà le cas avant la naissance de nos jumelles. Alissa et Zoe ont 5 ans et demi aujourd’hui. Elles vont à l’école du lundi au vendredi de 8h30 à 15h30. Quand je suis en congé, j’oublie mon agenda et mes réseaux sociaux pour ne me consacrer qu’à elles. C’est ma priorité.
- Comment gardez-vous le contact avec vos enfants?
- Je les appelle tous les jours. Ce matin, nous nous sommes parlé à 9 heures. Souvent, elles me demandent: «On mange ensemble ce soir ou tu rentres après quand on dort et tu viens nous faire un bisou?» Au début, c’était difficile. J’appelais deux ou trois fois dans la journée. Je leur manquais et je le ressentais. C’est toujours le cas, mais elles comprennent désormais.
- Les choses se sont-elles bien passées pendant la pandémie?
- Comme je suis très active, ça a été dur au début. Je travaillais non-stop depuis quatorze ans. Mais j’ai aimé le confinement. J’ai pu faire un break et des choses que je n’avais jamais le temps de faire, ne serait-ce que ranger une armoire ou ne pas devoir me maquiller. J’ai maintenu le contact avec le public à travers les réseaux sociaux. Le deuxième confinement a été nettement plus difficile. Plein de projets ont été annulés à court terme. Tout refermait d’un coup, la vie s’arrêtait de nouveau. C’était trop. Au téléphone, Daniel Koch, M. Coronavirus, m’a dit: «Le monde a changé. Il va falloir vivre avec, mais on va revenir à la normale à l’été 2022.» Le jour où je me suis retrouvée à Berne devant 2000 personnes, sans masque, j’ai retenu mes larmes.
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- Y a-t-il des moments particuliers qui vous reviennent en mémoire?
- Le 25 février 2020, le jour de l’anniversaire de mon mari, nous étions au Mexique et le premier cas de covid a été détecté au Tessin. Deux ans plus tard, à la même date, nous partions pour Dubaï. Cette fois, c’est la guerre en Ukraine qui éclatait. Pendant deux ans, on a parlé de solidarité, d’entraide et de compréhension et soudain sont apparues les images des enfants, des femmes, des milliers de gens qui fuyaient sous la menace des bombes. Poutine et son cortège de malheurs arrivaient. Le conflit dure depuis cinq mois. Je me demande parfois si faire des campagnes publicitaires dans la joie et l’enthousiasme est encore possible. J’hésite même à poster des photos de moi souriante.
- Cela vous pèse-t-il psychologiquement?
- La vie doit continuer. La société tourne, on va à la banque, à la poste, on fait ses courses et moi, je dois faire mon boulot et aller de l’avant, j’ai une famille. Je me suis impliquée à ma façon avec la Croix-Rouge et la chaîne de solidarité. Mais une fois que je me retrouve seule dans ma chambre d’hôtel, cela peut être pesant de n’être confrontée qu’à de mauvaises nouvelles et des images effroyables: le viol des Ukrainiennes, les femmes enceintes couvertes de sang, les hôpitaux bombardés, les enfants abandonnés. Je suis une maman et une femme. Je ne peux pas rester insensible. En tant que personne publique, tout ce que vous faites peut paraître dissonant et franchement déplacé. La même semaine, Madonna était censurée sur Instagram pour des raisons de nudité, alors qu’Angelina Jolie renonçait à venir à Cannes, préférant être auprès des réfugiés. Comme elle, il faut savoir se montrer digne.
- Ce drame ravive-t-il votre fibre féministe?
- Je suis évidemment pour les femmes, mais je n’aime pas le terme féministe. Il est trop radical. J’aime tout autant les hommes. Je souhaite plus d’égalité. Je ne suis pas pour voir toutes les femmes au pouvoir et les hommes en dehors. Chaque place doit être accessible à toutes et à tous. En revanche, les femmes au pouvoir ont, à mon sens, plus de sensibilité dans certaines situations. Cela ne veut pas dire que les hommes n’en ont pas. Il ne faut jamais généraliser.
- Etes-vous inquiète pour l’avenir de vos enfants?
- Je suis de nature optimiste. Mais, objectivement, quand je vois tout ce qui se passe depuis la pandémie, je me dis: «A-t-on appris quelque chose?» Nous étions solidaires envers les malades, les personnes âgées, les familles en deuil. Envers les gens qui avaient perdu leur job, envers les petits producteurs suisses, les faillis. Il y a eu des burn-out, un besoin accru de consulter des psys, des dépressions et des divorces. Et après ça, la guerre. Jusqu’où va-t-on aller dans l’horreur?
- Il y a deux ans, vous aviez expliqué la pandémie à vos filles. Et la guerre?
- Nos filles ne regardent pas le téléjournal. Avec Giò, nous échangeons à ce sujet. Comme les petites sont des éponges, elles captent nos conversations: «Tu dis quoi maman, des enfants et des femmes?» Je leur réponds: «Heureusement que nous sommes en Suisse. Dans d’autres pays, il y a la guerre, les enfants n’ont pas à manger et, parfois, ils meurent.» Je leur ai montré deux ou trois images. Elles m’ont dit: «Nous, on a tout. Comment font les enfants qui n’ont pas de toit s’il pleut?» Et elles sont très éveillées. On parle de tout, ouvertement.
- Que vous demandent-elles encore?
- «Pourquoi deux hommes ou deux femmes s’embrassent?» (Rire.) A 5 ans, je n’ai pas le souvenir d’avoir parlé de ça avec ma mère. Je leur dis que, quel que soit le sexe de la personne, on peut s’aimer. Et elles m’ont demandé spontanément: «Ils peuvent se marier aussi?» Je leur ai donné l’exemple de deux de nos copains qui viennent en vacances avec nous. Je leur ai dit qu’ils s’étaient unis. Elles ont ajouté: «Mais pourquoi les hommes mettent du vernis à ongles?» Je leur explique que l’on peut tout faire, qu’il ne doit pas y voir de discrimination, de jugement ou de haine.
- Elles sont très en avance...
- L’autre jour, elles m’ont demandé comment on faisait des enfants. On leur a expliqué qu’on se donnait des bisous et que le bébé grandissait dans le ventre, sans leur parler de la cigogne ou des enfants qui naissaient dans les choux. Peu après, chez leur pédiatre, elles ont vu le dessin d’une cigogne avec, dans le bec, un bébé et elles ont dit: «Docteur, les enfants ne viennent pas des oiseaux, maman nous l’a dit!» (Rire.) Il a rigolé et je lui ai glissé: «Votre photo est datée, on ne peut plus dire ça aux enfants.»
- Avec d’autres personnalités, comme Roger Federer, vous avez fait campagne à l’appel d’Alain Berset pour le confinement et la vaccination. Vous engageriez-vous s’il vous demandait de vous exprimer en faveur de la retraite des femmes à 65 ans?
- Non. La pandémie a touché tout le monde, moi y compris. Je pouvais donc en parler librement. Pour la retraite, c’est différent. Je suis indépendante, j’ai ma société. Si je peux, je travaillerai jusqu’à 80 ans. En tout cas, je ne cesserai pas à 65 ans. N’étant pas employée, je devrais d’abord en parler avec celles qui sont concernées. Est-ce juste ou pas? Je ne fais les choses que si j’y crois complètement, dans le domaine caritatif, politique ou publicitaire. Quel que soit l’enjeu. Parfois, il est financier. Je reçois des offres publicitaires intéressantes tous les jours, j’en refuse beaucoup quand je ne suis pas persuadée à 100%. C’est ma ligne de conduite dans tous les domaines.
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- Vous avez été élue Mis Suisse à 23 ans, vous en avez 39. Comment avez-vous appris à devenir entrepreneuse et comment avez-vous réussi à rester sur le devant de la scène?
- (Elle chuchote, pensive...) L’année prochaine, j’aurai 40 ans…
- Vous y pensez?
- Sincèrement, non. Je suis sûre de moi, je me sens mieux qu’il y a vingt ans. J’ai acquis de la maturité et de l’indépendance. Pour répondre à votre question précédente, j’ai étudié les sciences de la communication et des médias à Fribourg. J’avais un bagage théorique. En m’inscrivant à Miss Suisse, concours auquel j’ai participé pour faire une pause après mes diplômes, dont la criminologie, j’ignorais ce qui m’attendait. Dès que j’ai commencé à travailler dans le monde de la télé et du show-business, j’ai aimé le contact avec les autres, les voyages, parler nos trois langues nationales, plus l’anglais et l’espagnol. J’ai commencé par présenter les Swiss Awards en français, en italien et en allemand. Pas à pas, j’ai découvert que j’avais de l’aisance, que j’aimais ça et que j’en étais capable.
- Comment progresser dans ce domaine?
- En travaillant. Etre élue Miss Suisse ne suffit pas. En seize ans, je me suis évidemment améliorée. Il faut apprendre à se tenir devant une caméra, à parler en public, à réagir en cas de panne devant 1 million de téléspectateurs. J’ai fondé mon entreprise, j’ai créé une maison d’édition, j’ai écrit un livre («Selfissimo», 2016, ndlr), j’ai une émission de télé et des projets. Je regarde toujours ce que font les autres et je me demande toujours ce que je pourrais améliorer chez moi. Si on ne le fait pas, on n’a pas de succès et on disparaît.
- Qu’est-ce que le concours de Miss Suisse représente à vos yeux en 2022?
- Ça a été un tremplin. Mais c’est quelque chose qui fait partie du passé. Autrefois, je regardais Miss Italia, cinq soirs de suite, de 21 heures à minuit. Il y avait plus de 100 participantes. Et chez nous, Miss Suisse travaillait. C’était à la fois un job et un business, pas seulement une jolie fille qui défilait en maillot sans dire un mot. Aujourd’hui, c’est dépassé. Ces concours n’existent plus, pas même en Italie. Sur le fond, tout a changé, y compris notre regard. La forme aussi, en raison du numérique. Il n’y a plus de campagnes d’affichage. Dans le même temps, les émissions de télé n’ont fait qu’accentuer l’aspect voyeuriste des choses. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène. On montre sa maison, sa chambre, ce qu’on mange. Si un concours de Miss existait aujourd’hui, il devrait prendre en compte tous ces nouveaux paramètres.
- Avez-vous des échanges sur l’évolution de la société avec votre grand-mère?
- On en parle beaucoup. Elle a 94 ans et elle est très ouverte d’esprit. Elle accepte le changement. Elle me dit que c’est cool que je travaille. «Aujourd’hui, les femmes ont cette chance, moi, je ne l’ai pas eue», dit-elle. Elle aurait aimé étudier. Dans sa famille, ils étaient deux frères et cinq sœurs. Les cinq femmes ont dû travailler en usine pour ramener l’argent à la maison et permettre aux deux garçons d’étudier. Pour ça, elle est fâchée. Quand elle s’est mariée, elle avait une robe beige crème. Elle me l’a avoué il y a dix ans: le blanc lui était interdit parce qu’elle était enceinte. Elle n’a jamais manqué de rien, mais elle ne s’est jamais battue ou engagée pour faire changer les choses. Moi-même, je ne manifeste pas dans la rue. Ce n’est pas dans ma nature. Je le fais à ma façon, en communiquant sur les réseaux. Je soutiens, je manifeste mes émotions, mes pensées. Je me suis engagée en faveur du mariage pour toutes et tous, pour les causes LGBTIQ et pour les femmes.
- Votre mari et vous avez une conception du couple très actuelle.
- Lui et moi sommes sur la même longueur d’onde. Giò est à fond pour les femmes. Il pousse nos filles à faire ce qu’elles aiment, librement. Une fois, Alissa m’a dit: «Maman, tu vas nettoyer ça?» Giò lui a répondu: «Ce n’est pas la femme qui fait ça, tout le monde doit le faire.» On parle comme ça à nos enfants. Nous avons grandi tous les deux dans cet esprit.
- A quel moment vous retrouvez-vous tous les deux?
- Dès que les enfants sont au lit. Non seulement parce qu’elles ont l’école, mais Giò et moi voulons rester seuls et profiter de notre intimité. C’est notre moment. Parfois, on va au restaurant et les enfants sont chez leurs grands-parents. Pas souvent, mais il faut trouver du temps pour ces moments-là. Nous ne sommes pas que des parents. Nous sommes toujours un couple. C’est très important.
S’il y avait une seule... recette
Christa a lancé des recettes, «La Trattoria da Christa», sur son compte Instagram. «Ma dernière recette, je l’ai essayée dimanche, c’est une pizza blanche avec mascarpone, artichaut, huile d’olive, sel et poivre et de petites mozzarellas.» A vous de jouer.
Joyeux anniversaires et tragédies
25.02.2020 et 25.02.2022
La date d’anniversaire de Giovanni Marchese, 44 ans, le mari de Christa, a concordé deux fois avec des événements dramatiques. En février 2020, c’était le début de la pandémie et le premier cas de covid au Tessin. Et, cette année, la guerre en Ukraine éclatait.