- Comment allez-vous, chez vous, à Monte Carasso, au Tessin?
- Christa Rigozzi: Je suis en bonne santé, c’est le trésor de la vie. Après 15 années passées à travailler d’arrache-pied dans toute la Suisse et à l’étranger, j’ai apprécié, pendant le confinement, de rester à la maison afin de profiter de mes filles, Alissa et Zoe, 3 ans et demi, et de mon mari aussi... au début (rires). Comme tout le monde, je me suis demandé: «Jusqu’à quand cela va-t-il durer?» Je suis une fille du Sud, j’ai besoin d’interaction et de retrouver cette valeur essentielle qui nous a tant manqué pendant deux mois: la liberté.
- Elue Miss Suisse en 2006, vous êtes diplômée universitaire en communication et criminologie, femme d’affaires, animatrice, égérie de marques, vous parlez cinq langues et Alain Berset vous a demandé, tout comme à Roger Federer, de participer à l’appel national pour rester chez soi. Comment avez-vous fait, vous qui aimez tout «planifier, organiser et décider», devant l’impossibilité soudaine de le faire?
- J’ai pu m’adapter, notamment grâce aux médias sociaux. J’ai participé à des campagnes de publicité sur Instagram tout en restant à la maison. Comme beaucoup, j’ai travaillé à distance, via les applications Zoom et YouTube. Soudain, il n’était plus indispensable d’aller jusqu’à Lausanne ou à Zurich pour une heure de rendez-vous. Travailler ainsi est un gain de temps, d’énergie personnelle et un bienfait pour l’environnement.
- Comment avez-vous ressenti cet appel du ministre de la Santé?
- Comme un honneur et un devoir. J’ai pris conscience que la Suisse n’était pas un îlot entouré de murs au milieu de l’Europe et du monde. Cela fait quatre ans que je me suis rendue en Haïti pour Handicap international et dix ans que ce pays a été frappé par un tremblement de terre dont il ne s’est pas encore remis. Si les méfaits du virus ne sont pas comparables, nous n’en sommes pas moins vulnérables nous aussi, à la merci de catastrophes naturelles, comme les autres. La Suisse n’est pas à l’abri.
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- Vous êtes connue pour avoir été la première «Miss millionnaire». Avez-vous perdu des plumes ces derniers mois?
- J’ai déplacé ou annulé 30 événements, le Salon de l’auto aura été le premier. Mais j’essaie de positiver. C’est un trait de mon caractère et une règle de vie. J’ai toujours eu le sens des responsabilités et, financièrement, je peux voir venir pendant deux à cinq mois. En revanche, si le virus devait s’installer durablement – des mois, voire des années – comme j’ai pu l’entendre, ce serait dramatique.
- Le lien s’est-il resserré avec votre public?
- Oui, surtout avec les Romands. Je m’adresse directement à eux désormais. Je propose des recettes de cuisine via «la Trattoria da Christa» sur mon compte Instagram. Chacun peut les réaliser et poster la photo de son plat. L’autre jour, un jeune homme m’a demandé comment faire une pizza, il était tout fier de montrer sa pâte qui avait levé. Une autre fois, j’ai préparé un vitello tonnato ou une crostata, la tarte au four italienne. Je suis une vraie gourmande, j’aime cuisiner et manger. J’envisage même dans la foulée de publier un livre de recettes.
- Du sport pour effacer les kilos?
- Malgré les apéros et les bonnes bouffes, j’avoue que je me suis plutôt dépensée en faisant le ménage à la maison et en repassant. J’ai de bons gènes et je n’ai pas pris de poids.
- Vous êtes une grande collectionneuse de chaussures et avez lancé votre propre ligne, Christa X Varese Shoes. L’accueil a-t-il été bon malgré la fermeture des magasins?
- Tout a été vendu en ligne en mars au moment du lancement. La prochaine collection est sur les rails et la campagne se tournera en juin prochain.
- Que faut-il garder en tête de positif après cette épreuve en vue de l’après-coronavirus?
- La solidarité! Les jeunes ont aidé les seniors à faire leurs courses. La mobilisation est partout. J’ai été frappée par ces images provenant de Genève au journal télévisé: l’aide apportée aux plus démunis, aux travailleurs précaires. La Caravane de solidarité met à disposition jusqu’à 2000 sacs d’une valeur de 20 francs en biens de première nécessité. L’information a fait les titres du New York Times. Cela semblait impensable en Suisse, le monde d’après devra s’en souvenir.
- Vous avez été l’animatrice de «The Voice of Switzerland». Comment avez-vous mené l’aventure à son terme là où TF1 a dû abandonner pendant plusieurs semaines?
- Il aurait été dommage de renoncer si près du but et, pour la première fois dans l’histoire de ce show (ndlr: créé en 2010), nous avons organisé une finale depuis nos salons respectifs: candidats, présentatrice et coachs. C’est Giò, mon mari, qui me filmait.
- Giovanni est décorateur d’intérieur, mais il cumule les talents. Pour vous, il est même devenu coiffeur?
- Le mien est à Zurich, Giò a donc réalisé ma couleur. Il était très nerveux: il ne l’avait jamais fait de sa vie et, en plus, il était filmé et grimé avec un bonnet et de fausses mèches. Nous voulions que ce soit drôle. Il a suivi les instructions de mon coiffeur et nous en avons diffusé la séquence. Il craignait que je finisse avec les cheveux noirs ou bleus. Le résultat était si bon que mon père a pris exemple et a fait trois brushings à ma mère! (Rires.) Nous avons bien rigolé. C’est aussi cela traverser cette épreuve. Sinon, on risquait de sombrer dans la dépression.
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- La cohabitation forcée a fragilisé des couples. Votre relation est-elle restée au beau fixe?
- Oui. Il ne fallait pas rester l’un sur l’autre vingt-quatre heures par jour. Giò partait faire un tour à Vespa, bricolait au garage, s’occupait de la cave. Le matin, si je travaillais, il restait avec nos deux enfants. Nous avons la chance d’habiter une maison de trois étages avec un jardin. La situation était complexe pour les familles.
- Le coronavirus n’a pas eu que des effets négatifs sur la santé.
- Il a aussi entraîné une crise psychologique et économique. C’est un cercle vicieux.
- Comment avez-vous expliqué la situation à vos jumelles?
- Elles sont encore trop petites pour comprendre ce qu’est une pandémie, alors nous avons imaginé une histoire: «Il y a tellement d’insectes dehors que personne ne peut sortir sans risquer de tomber malade.» Or elles détestent les insectes. Cela expliquait pourquoi nous ne pouvions plus aller à Locarno, au marché à Bellinzone ou rendre visite à mes parents et à ma grand-mère. Tous les matins, Alissa et Zoe regardaient par la fenêtre et demandaient si les insectes avaient disparu.
- Vous êtes une famille très unie et votre grand-mère, qui habite la région, a eu 92 ans. Comment l’avez-vous fêtée?
- La dernière visite, chez elle, en famille et sans les gestes barrières, remonte à fin février. Depuis, je vais la voir régulièrement et elle me salue de son balcon. D’en bas, je lui montre les vidéos des petites, car elle n’a pas accès à la technologie. Pour son anniversaire, je me suis dit: «Je mets un masque, je prends un cadeau et un gâteau et j’y vais!» Je me suis tenue à 2 mètres de distance. L’idée de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras et l’embrasser, la priver de la visite de ses arrière-petits-enfants, quelle tristesse! En rentrant chez moi, j’ai fondu en larmes. Je me disais: «Qui sait si ça n’est pas son dernier anniversaire?»
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- Les directives de Daniel Koch en vue des retrouvailles entre grands-parents et petits-enfants vous ont-elles réjouie?
- Dans un premier temps, je me suis dit: «Génial!» Avant de me raviser: on peut les étreindre, mais on ne peut pas les garder? Pour moi, il est hors de question de mettre la vie de ma grand-mère ou de mes parents en danger. Alors que faire? Je n’ai toujours pas la réponse…
- Fausto, votre père, a eu 65 ans le 16 janvier. Comment a-t-il réagi, lui qui a été garde-pêche et garde forestier?
- C’est un solitaire, il aime la marche en montagne, se promener au bord des rivières avec les chiens. Il en a eu marre comme tout le monde: l’autre jour, il me disait en plaisantant qu’il parlait à son frigo. Il a pris une retraite anticipée bien méritée il y a cinq ans. Mais il travaille presque plus qu’avant en aidant mon frère aîné, Christian, qui exploite des vignes.
- Vous vous êtes mariée à l’église par conviction et avez eu le privilège de rencontrer le pape. La religion vous a-t-elle aidée?
- Au début pas du tout. J’ai pris les choses comme elles venaient, jour après jour, car je n’étais pas capable de comprendre ce qui nous arrivait. Il y a deux semaines, assise sur mon canapé, j’étais triste et j’ai prié pour les miens en demandant: «Pourquoi?»
- Vous n’avez eu ni malade, ni décès dans la famille?
- Non, en revanche, mon meilleur ami a perdu son père, qui souffrait de diabète. Il était dans un EMS au Tessin. C’est là que l’on a dénombré le plus de victimes. Il m’a dit: «Je me souviendrai de cette m… de coronavirus parce qu’il m’a pris mon papa!» La question se pose de savoir si tout a été fait à temps afin de protéger la population la plus vulnérable.
- Avez-vous pris conscience avant le confinement que la situation pourrait se gâter?
- Je me souviens de notre retour du Mexique en famille. Le 25 février, c’est l’anniversaire de Giovanni, date impossible à oublier. En plus, elle coïncide avec le premier cas national détecté au Tessin. J’ai pressenti le danger et dit: «Cet été, nous passerons nos vacances en Suisse.»
- Le paradoxe veut que vous ayez dû demander aux touristes de ne pas venir à Pâques au Tessin…
- Fin 2019, j’avais tourné en trois langues une campagne pour Ascona-Locarno Turismo, dont je suis la marraine. Le spot s’intitulait «La Dolce Vita». Hélas, il a fallu l’annuler et prier les gens de renoncer. Nous allons donc passer l’été en Suisse afin d’aider l’hôtellerie et la restauration. Nous avons prévu d’aller voir les oursons à Berne, ensuite nous partirons en Gruyère pour la fondue et la double crème, on rejoindra le Blausee près de Kandersteg et on visitera l’Engadine. L’un de nos endroits préférés, avec Giò, est la Villa Orselina, sur le lac Majeur. Le 4 septembre, on fête là-bas notre anniversaire de mariage. Cette année, pour les 10 ans de notre union, on y séjournera toute une semaine.
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