Il y a, pour l’anecdote, Charles III marmonnant son agacement, à l’abri de la pluie, dans son carrosse aux vitres électriques. Le roi est contrarié par le retard de William et Kate. Il y a, pour la grande histoire, l’arrivée du monarque dans l’abbaye de Westminster devant 2300 convives. Un sire sans joie à la mine de bougie fondue, comme si la pierre du destin, bloc de grès de 152 kilos, placée sous son trône de bois, pesait sur ses épaules. On apprendra, le lendemain, de la bouche du prince William que «daddy» avait mal au cou. Douleur psychosomatique, sans doute, au moment de succéder, avec 70 ans d’écart, à la pesante figure de sa mère, la reine Elisabeth II. Pas pratique pour cet homme de 74 ans, sujet aux maux de dos, de porter la couronne de saint Edouard, 2,23 kilos d’or et de pierres précieuses. Le samedi 6 mai, la somptueuse cérémonie de son couronnement oscilla entre l’infiniment petit et le grandiose, le céleste et l’humain. Le très haut et le très bas.
Ainsi vit-on arriver la chanteuse américaine Katy Perry, pimpante, de rose vêtue, faisant des selfies avant l’événement religieux mais toute perdue au moment de trouver sa place. On entendit la flamboyante soprano Pretty Yende, née pendant l’apartheid et première Africaine à chanter lors d’un couronnement. On vit glisser la silhouette sombre du prince Andrew, banni du cercle des «working royals» après des accusations d’agression sexuelle contre une mineure. Au troisième rang, il fut placé au bout du banc. On admira, en pleine lumière, Penny Mordaunt, figure du Parti conservateur, leader de la Chambre des communes, première femme à porter l’épée d’Etat, haute de 1,2 mètre et pesant 3,5 kilos.
Il y eut Charles, en chemise, simple mortel, agenouillé, oint à l’abri des regards, et il y eut Camilla, un temps maîtresse honnie, surveillant son souverain du coin de l’œil, esquissant un sourire, puis couronnée à ses côtés. On ne put s’empêcher de penser à leur histoire d’amour et à feu Diana. Elle existait, trace minuscule, dans les boucles d’oreilles de Kate, quadragénaire conquérante, atout star, futur d’une monarchie qui devra se réinventer au-delà de l’étincelant sourire. On s’amusa des facéties de ses enfants. Louis, aussi mignon qu’espiègle, Charlotte, si sage. Et on observa le prince George, page d’honneur appliqué à porter la traîne de son grand-père et, lui aussi, futur roi.
On vit arriver le prince Harry, si seul, à peine débarqué de Los Angeles où il s’est installé il y a trois ans. Il s’avança, courageux, souriant large et le ventre noué. Il assista au sacre de son père devenu son roi, mais repartit promptement afin de célébrer l’anniversaire de son fils, Archie son trésor, atterrissant «on time», à 18 h 30, de l’autre côté de l’Atlantique.
Le duc de Sussex, suppléant, best-seller millionnaire, n’échangea pas un regard avec son frère. L’aîné, monarque en devenir, prêta allégeance au souverain, le gratifiant d’une bise sur la joue, geste dont cette famille royalement dysfonctionnelle s’est montrée bien incapable, en privé, des décennies durant. Au moment où le roi passa devant les siens, on ne vit pas le visage de Harry, cadet exilé. Il était dissimulé derrière la plume rouge du bicorne de la princesse Anne, bombardée, ce jour-là, Gold Stick in Waiting, titre réservé au responsable de la sécurité du souverain. Simple hasard? Les Windsor sont les maîtres d’une visibilité fabriquée. Harry pourrait en faire un chapitre, son pavé est révélateur de ce que signifie, entre rancunes et coups bas, naître dans cette famille-là.
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Le courage de continuer
Le président de la Confédération, Alain Berset, qualifia la cérémonie de «moment très impressionnant». On s’émut, on frissonna. Les 800 anonymes, citoyens invités, réagirent au diapason, impressionnés par la majesté de cet événement d’un autre temps. On vit passer Olena Zelenska, première dame d’Ukraine. On se souvint que son pays était en guerre. On entendit, au final, un «God Save the King» à vous soulever du sol. On se rappela que Charles III était chef d’Etat et chef des armées. De retour à Buckingham, il esquissa un sourire, face aux militaires qui le saluèrent d’un triple «Hip hip hooray». Peut-être avait-il en tête cette phrase de Sir Winston Churchill, le mentor de sa mère: «Le succès n’est pas final, l’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte.»
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