Michael Jackson, Elvis Presley et Bob Marley trustent les trois premières places des chanteurs morts les plus rentables de l’histoire. L’an dernier, jusqu’à 75 millions de dollars pour le King of Pop, Elvis the Pelvis bon second fait la moitié et l’auteur de No Woman No Cry en récolte 23. Les artistes de ce calibre rapportent autant, si ce n’est plus, une fois passés de vie à trépas. L’année de son décès, le King of Pop aurait, selon Forbes qui établit un classement annuel, rapporté plus d’argent que toute sa vie durant. Une somme estimée à 2 milliards de dollars.
Le business est juteux. Encore faut-il savoir exploiter et gérer le filon, tout en respectant l’artiste et son legs. Le public n’est pas dupe longtemps.
En cette période de l’année, les maisons de disques réalisent jusqu’à 40% de leur chiffre d’affaires annuel en ventes physiques. Ces jours, le marché propose une avalanche d’œuvres posthumes. Maurane, disparue en mai dernier, rend hommage à Brel mort il y a quarante ans. Bashung, dont la petite entreprise ne connaissait pas la crise, va revivre à travers 10 titres inédits fin novembre. Ses musiciens, comme ceux de Bowie, effectuent une tournée hommage.
Un très bon John Coltrane a émergé cinquante-cinq ans après son enregistrement. Adam, le fils de Leonard Cohen, producteur du sombre You Want it Darker, rassemble des chansons romantiques et lumineuses jamais entendues.
Enfin, le 31 octobre, Bohemian Rhapsody, l’émouvant et fidèle biopic autour de Freddie Mercury, va relancer l’intérêt et les affaires de Queen. A Montreux, où le groupe a vécu et enregistré, une statue sert de mémorial au chanteur charismatique et le Casino Barrière recèle un petit musée avec instruments et vêtements authentifiés.
Johnny Hallyday vient de déclencher un raz-de-marée. En une semaine, Warner France a écoulé 780 177 unités de son album Mon pays c’est l’amour. Un record dans l’histoire hexagonale de l’industrie discographique et la meilleure vente planétaire de l’année sur une semaine. Même la BBC s’étonne de cet old French rocker coiffant le rappeur Drake. La suite? Outre l’édition de 700 000 copies supplémentaires, une école de musique, un musée, propose Laeticia, sa veuve et seule héritière. Et pourquoi pas un second opus posthume. Selon Le Point, elle pourrait percevoir, hors litige successoral, jusqu’à 4 euros par disque vendu.
Jackson, 3 titres bidon en justice
Une fois embaumées, enterrées ou incinérées, les stars deviennent de véritables machines à cash. A travers des trusts et des fondations, avocats et ayants droit les gèrent comme des marques, on les fait fructifier, on les décline sous forme de produits dérivés. Dans ce marché du macchabée, le meilleur côtoie parfois le pire.
Le cas du King of Pop est exemplaire. Criblé de dettes, il devait se refaire à l’occasion de sa dernière tournée This is It, soit 50 concerts en neuf mois à l’O2 Arena de Londres. La perspective de cet épuisant défi aurait eu raison de l’artiste le 25 juin 2009. Incapable de dormir, il se faisait administrer du propofol, un puissant anesthésique.
Rien qu’en 2016 la vente par la «Michael Jackson estate» du catalogue de ses chansons à Sony/ATV a rapporté 750 millions de dollars. Soit la plus grosse affaire de tous les temps.
A côté, les versions remastérisées de ses albums s’écoulent sous de nouveaux emballages, coffrets et picture discs. Une façon de relancer l’intérêt et d’assurer à l’œuvre un nouveau souffle.
Entre 2011 et 2014, la musique a servi à rythmer Immortal, le spectacle acrobatique du Cirque du Soleil et, One, un show créé par la même compagnie, toujours en résidence à Las Vegas. Jusque-là, bravo. Sauf que l’album posthume, Michael, sorti en 2010, contient trois titres frelatés.
Il aura fallu l’acharnement de Vera Serova, une fan de la première heure, et son oreille affûtée – il est quasi impossible de différencier le vrai du faux – pour faire plier Sony Music. Le label a reconnu en août dernier devant la cour d’appel de Californie qu’un certain Joe Malachi feulait en lieu et place de Michael Jackson sur Breaking News, Keep Your Head Up et Monster. Escroquerie? La firme plaide le droit, malgré tout, de commercialiser ces titres avouant ignorer les conditions de leur enregistrement. Ils ont été fournis par les frères Cascio, ses producteurs. Selon l’accusatrice, les preuves matérielles auraient disparu. Les adorateurs demandent le retrait ou la mention explicite de ce qu’ils considèrent comme une trahison. La justice est appelée à trancher en novembre.
Entre l’artiste et son public, c’est une affaire de passion doublée, en principe, d’un lien de confiance. Les héritiers de Bob Marley – dont la fortune est estimée à 130 millions de dollars – ont pris le chemin clair de la diversification. Le roi du reggae disparu le 11 mai 1981 était le père d’une tribu de 12 enfants. Il a écoulé plus de 80 millions d’albums depuis sa mort. Désormais, la rastaman vibration déborde de son cadre musical. L’homme aux dreadlocks dont la tête est devenue un logo vante un café éthique à travers la Marley Beverage Company. On inonde large: la firme met en vente des boissons relaxantes en canettes colorées et de l’eau gazeuse. En marge, la House of Marley commercialise une série d’accessoires audio – casques, platines et speakers – aux couleurs du drapeau jamaïcain avec label eco-friendly. Sur le site de la figure vénérée on propose Zippo, vêtements, encens et bougies odorantes.
Devant ce marché idolâtre, il fallait imaginer l’impensable: une (quasi-)résurrection. Le dernier cri technologique s’y emploie. Des vedettes hologrammes remplissent les salles. L’image spectrale en trois dimensions, une fois projetée sur scène, donne l’illusion de sa présence en mouvement. Ahmet, l’un des fils de Frank Zappa, a fait appel à la firme Eyellusion pour monter le Bizarre World Tour. Son paternel moustachu est entouré de quelques vrais et anciens musiciens.
Sur le même modèle, Mitch, le père d’Amy Winehouse, va ramener sa fille à la vie l’an prochain. «Toutes les recettes seront reversées à l’Amy Winehouse Foundation pour aider les jeunes ayant des problèmes d’addiction», a-t-il déclaré.
On a même surpris le rappeur assassiné Tupac Shakur chanter en 2012 au festival de Coachella. A ses côtés, Snoop Dogg et Dr. Dre, en chair et en os, faisaient pâle figure.
En France, Sacha Distel, Claude François, Dalida et Mike Brant bougent encore grâce à l’assemblage de leur visage enregistré naguère, plaqué sur le corps d’un autre, danseur professionnel, filmé aujourd’hui. La toujours remuante Sheila n’en pense pas du bien. «Je trouve cela sordide, c’est manquer de respect à quelqu’un qui a eu une carrière extraordinaire et c’est le faire revivre pour se faire de l’argent.» Les enfants de Joe Dassin ont refusé que l’image paternelle soit associée à ce projet de danse macabre seventies.
De l’hôtel à la spatule Elvis
La gestion familiale est-elle un garde-fou aux dérives mercantiles? Jacques Brel avait signé un document chez Barclay demandant à ses proches, mais aussi à ses compositeurs, arrangeurs et producteurs, de ne jamais sortir cinq titres laissés derrière lui. On les retrouve finalement sur une compilation, sous le prétexte qu’ils avaient été largement diffusés dans les locaux de la Fondation Jacques Brel.
Feu Jimi Hendrix, exploité sans scrupules de son vivant, l’est comme jamais depuis sa disparition. Avec un certain talent. A sa disparition en 1970, à 27 ans, il lui restait 20 000 dollars en banque. Sa succession a fait l’objet d’une guerre sans merci. Le père du Voodoo Child a attaqué la maison de disques. Paul Allen, richissime créateur de Microsoft, lui aurait prêté main-forte. Ainsi, en quarante-huit ans, la discographie du génial gaucher s’est enrichie de 14 albums studio et 22 live. L’an denier, il a rapporté 7 millions de dollars.
Elvis reste un cas à part. Sa légende fait swinguer le tiroir-caisse quarante ans après sa mise en terre. Six cent mille fans venus du monde entier lui vouent un culte annuel dans son manoir de Graceland, où pour 8 billets verts, vous pourrez acquérir jusqu’à la copie de sa spatule à barbecue et mille choses encore. A cinq minutes à pied, on vous propose de séjourner au Guest House at Graceland. Un hôtel où, du sol au plafond, tout est décoré Presley.
Enfin, on attendait beaucoup des prolifiques Prince (18 millions de dollars l’an dernier) et David Bowie (9,5 millions) montés au ciel en 2016. Le studio Paisley Park du premier est devenu un musée. Compter entre 38 et 160 dollars le sésame. Le premier opus proposé depuis son overdose accidentelle de médicaments, Piano & A Microphone, clavier et voix datés de 1983, n’a rien d’un feu d’artifice. L’artiste a pourtant laissé des centaines de bandes numérotées et classées rangées dans une pièce sécurisée baptisée The Vault. Bowie, plus conventionnel, écoule l’intégrale de son oeuvre en coffrets destinés aux complétistes. Le tout dernier, Loving The Alien (1983-1988) contient même une version inédite de l’album Never Let Me Down réorchestré autour de sa voix, mais sans lui aux commandes. Le résultat est forcément discutable. Las, l’étoile du chanteur polymorphe brille à jamais. Celles de la pochette de Blackstar, version vinyle, se sont dévoilées aux yeux des fans sous l’effet de la lumière quatre mois après sa mort. Un dernier et élégant clin d’œil d’outre-tombe bel et bien voulu par l’artiste.