Matthieu Chedid a reçu le don des arts en héritage. Héritage qui se transmet depuis quatre générations. Dans la famille Chedid, on demande sa grand-mère, Andrée Chedid, sublime poétesse, disparue en 2011. Puis on demande son père, le chanteur Louis Chedid. Ses sœurs et son frère? Emilie, réalisatrice et directrice artistique, Anna et Joseph, chanteurs, auteurs, compositeurs et musiciens. On demande aussi sa fille, Billie, 18 ans, qui fait les chœurs sur huit des 13 chansons de son dernier album, Lettre infinie. Et son fils? Encore trop tôt pour évoquer les dons de Tao, né en février 2019. Il a le temps... Matthieu Chedid joue sur ces fils généalogiques, laissant sa voix s’envoler dans les aigus, comme pour embrasser toute sa lignée sur plusieurs octaves.
Matthieu Chedid est né à Boulogne-Billancourt, en 1971, mais ses racines les plus profondes puisent leur force dans la terre d’Egypte, le lieu de naissance de sa grand-mère Andrée et de son père Louis. Il y a quelque chose d’un Oriental en lui et il ne s’en défend pas. «J’ai été bercé par les roulements des «r» de mes grands-parents quand ils parlaient le français. Ma grand-mère avait une vision du monde qui me touche, une attention à l’autre, quelque chose de très humaniste. Malgré la conscience des drames du monde, elle nous a appris à toujours célébrer la vie», explique M au téléphone.
La musique, Matthieu l’a apprise en écoutant, en la vivant au quotidien. Elle s’est juste infusée en lui. Les potes de son père s’appelaient Alain Souchon, Laurent Voulzy, Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg, ça aide aussi. Ce doux rêveur n’était de loin pas le meilleur élève de son école. «J’avais un tel manque de confiance. J’étais au-delà de la timidité.» Pour s’amuser, il a commencé à gratter une guitare vers l’âge de 12 ans et s’est retrouvé le cœur pris entre les cordes. «Je jouais avec une seule corde, puis un jour, David McNeil, un copain d’Alain Souchon, m’a appris les accords fondamentaux. Et là, j’ai compris la puissance de la guitare. C’est devenu passionnel. J’ai écrit plus tard la chanson Une seule corde, qui raconte cette histoire-là», confie Matthieu Chedid.
Quand il n’était pas encore une star, ses amis le surnommaient «Monsieur Guitare». Il suffisait qu’un groupe lui demande de jouer sur un album, il répondait: «Oui, bien sûr!» et entrait dans le studio d’enregistrement. Il ne se faisait pas payer. Jouer lui suffisait, comme une récompense, ou une respiration.
Il a tenté d’apprendre la musique dans des institutions, mais il n’a jamais tenu plus que quelques mois. Sa vraie école fut celle de la vie. «On a créé le groupe Les Bébés Fous avec mes amis Pierre Souchon et Julien Voulzy», les fils de. Avec Mathieu Boogearts, ce fut Tam Tam (Mat Mat à l’envers). Il est parti en tournée avec le groupe de blues Jane X Band. «Puis mon père m’a demandé de l’accompagner. J’ai eu la chance incroyable de ne jamais demander un sou à mes parents dès l’âge de 17 ans», confie Matthieu.
En 1997, il prend son envol et se lance dans un premier album solo – Le Baptême – pour les besoins duquel il crée son double, qu’il baptise M. Un curieux personnage à la coupe de cheveux improbable qu’il vêt de redingotes et d’habits de velours pailletés. «J’avais besoin de sortir de ma timidité, du côté fils à papa toujours un peu lourd, confie Matthieu. J’ai commencé à vouloir dessiner un M avec mes cheveux, puis il fallait trouver un look à ce personnage. Je me suis inspiré de Prince, de Sgt. Pepper, de Bowie. J’avais besoin de me créer mon monde imaginaire. M m’autorise à être un enfant en étant adulte.»
Pendant le confinement, Matthieu Chedid a offert à son public des moments musicaux inoubliables, «les grands petits goûters-concerts à la maison», concoctés chez lui, à la campagne, et diffusés en live sur Instagram et Facebook. Et le 28 mai dernier, il a réalisé un «grand petit live en famille». On l’a vu chez lui, dans sa cuisine, dans son studio, avec sa fille, son frère et sa sœur, tous réunis sous ce toit multicolore qui ressemble à la maison du bonheur. Un lieu qu’il a rêvé, avec un jardin et un potager en permaculture, des jardins mandalas et un studio à l’ancienne. «J’avais le sentiment d’être privilégié, dans une bulle d’amour, avec ma fille, ma femme, mon fils. On a ressenti le besoin de partager, de diffuser de bonnes ondes. C’était comme si on avait une mission. C’est paradoxalement un souvenir très joyeux dans une période anxiogène, comme si on vivait un rêve. Il y a un avant et un après, et c’était une autre façon de communiquer.»
On aimerait bien lui trouver des défauts, à Matthieu Chedid, mais il est pétri de bienveillance, d’humilité vraie. Il a l’énergie rassembleuse, l’engagement poétique. Son œuvre est un vaccin contre le cynisme, épidémie de notre époque. Matthieu est plutôt du genre à dire: «Aime/Et je le sème/Sur ma planète/Je dis M/Comme un emblème/La haine je la jette/Je dis AIME, AIME, AIME.» Allez lui en vouloir, après ça. «Quand j’avais 13 ou 14 ans, mon père me disait: «Tu sais, Matthieu, il faut que tu t’énerves! S’il te plaît énerve-toi, fais une crise!» Et le jour où ça m’est arrivé, il m’a dit merci.»
Avant d’être interrompue pour cause de Covid-19, sa tournée Le Grand Petit Concert a fait carton plein, à l’Arena, en novembre 2019. Il était seul sur scène, avec ses instruments et un étrange automate musical. L’artiste a voulu garder la trace de ces moments-là et un coffret retraçant son expérience à Bercy va être mis en vente. «C’était un concert unique que je ne referai plus. C’est émouvant d’être le spectateur de mon propre concert, et de me voir me promener avec mon piano au milieu des spectateurs ou courir dans la salle. Cela appartient à une autre époque», dit-il.
Son dernier album, Lettre infinie, il l’a écrit pour son fils. On ne devient pas tous les jours le papa d’un petit mec quand on a 47 ans. «C’est une histoire de transmission, à l’image de Qui de nous deux, qui était pour ma fille.» Juste une histoire d’amour.