«Une fois la curiosité éveillée, il n’y a plus qu’à continuer»
Hélène Aubert joue de la flûte et du psaltérion, 75 ans
C’est une vraie passionnée. Elle présente chaque instrument, raconte, explique. «Posez votre stylo», dit-elle en nous mettant une flûte harmonique entre les mains pour une leçon inattendue. Sans trous, s’éveillant à la seule force du souffle, cet instrument fonctionne de la même manière que le cor des Alpes. Hélène Aubert, 75 ans, vit à Aigle (VD), au milieu de sa collection de flûtes, avec ses quelques psaltérions, son piano, ses deux clavecins, sa bonne dizaine d’ocarinas ou encore sa vielle à roue et son cor des Alpes. «J’ai commencé à m’y intéresser pour mon métier. Et puis, une fois la curiosité éveillée, il n’y a plus qu’à continuer!» Aujourd’hui retraitée, elle a longtemps enseigné la rythmique et la musique, notamment aux enfants.
Poly-instrumentiste, elle aime jouer de deux flûtes à la fois tout en s’accompagnant au tambour. Une démonstration s’impose: un morceau à la fois rythmé et mélodique. Suivi de l’explication: «La Suisse est un pays de mercenaires. La rythmique était importante pour eux, car ils avaient de grandes hallebardes et pouvaient s’emmêler s’ils ne suivaient pas la marche de la musique.» Autrefois, c’était plutôt lors de fêtes populaires que les musiciens se réunissaient. «Dès qu’il y a eu la radio, la musique traditionnelle a commencé à décliner, parce qu’on n’avait plus besoin des musiciens qui animaient le village.» Vingt-cinq ans plus tard, les fêtes populaires reviennent sous un vent de renouveau. «De nos jours, plusieurs professeurs de flûte, issus du Conservatoire, se font un plaisir d’animer des fêtes médiévales ou celtiques. C’est là que le folklore regagne ses lettres de noblesse.»
En fêtes folkloriques, Hélène Aubert s’y connaît. Il y a le Festival international folklorique d’Octodure, tous les deux ans à Martigny (VS), mais aussi différents rendez-vous en France, dont un festival de luthiers au château d’Ars, près de La Châtre en Berry. «Il y a là-bas 120 facteurs d’instruments. Ce sont eux qui contribuent au développement du folklore.» Avec le temps, certains de ces facteurs sont devenus des amis et ont confectionné plusieurs pièces de sa collection aiglonne. Parmi lesquelles un instrument suisse: le psaltérion. «Au début, c’était fait pour accompagner les psaumes.» Composé d’une planche triangulaire en bois, d’une vingtaine de cordes et de chevilles métalliques, le psaltérion se joue avec un archet. Si Hélène Aubert l’utilise pour enseigner les différentes gammes de musique, d’autres préfèrent s’en servir pour accompagner des contes, comme le faisait sa maman, Germaine de Crousaz.
«Je suis tombé amoureux de l’instrument»
Michel Nikita Pfister joueur de hackbrett, 65 ans
Face à la porte, une étagère remplie d’accordéons schwytzois, de CD et de livres de musique. Plus loin, un bureau, un piano et, au milieu du local, car il en est la pièce maîtresse: le hackbrett, avec ses 138 cordes fixées sur une planche en bois. «Celui-ci a été fabriqué en 1995 par un luthier appenzellois», indique Michel Nikita Pfister, 65 ans, en présentant fièrement cet instrument dont il est «tombé amoureux» dans un festival il y a quarante ans. Depuis ce jour, il n’a plus lâché son hackbrett, apprenant «sur le tas», car il n’existait pas de formation. «Au début, je me faisais un petit pense-bête que je glissais sous les cordes pour savoir où se trouvaient les notes. Il faut connaître les emplacements de chaque note, parce qu’il n’y a pas de répétitions comme sur un piano», résume celui qui se fait aujourd’hui une joie de transmettre son savoir à ses élèves.
Chaque hackbrett est quasiment unique, car les notes se trouvent à des positions différentes d’un instrument à l’autre. «Un jour, j’ai joué avec un groupe. Tous les musiciens jouaient le même air, mais aucun de nous ne tapait au même endroit.» Groupées par cinq, les cordes forment un «plan» sur lequel le musicien frappe à l’aide de deux baguettes. «Si je ne tape qu’une seule corde, le son est beaucoup plus faible. Je le fais parfois quand je joue des berceuses.» Les baguettes, tenues entre le pouce, l’index et le majeur, ont un embout en bois, en feutre et en cuir. «En tapant avec le bois, le son est assez fort. Si on tourne la baguette, il devient plus doux.»
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Plusieurs personnes, dont notre photographe, ont fait remarquer à Michel Nikita Pfister que sa musique évoquait des mélodies irlandaises. «On s’étonne souvent des styles de musique joués, mais je dis toujours: il y a toutes les notes, donc on peut tout jouer! J’ai un copain qui fait même des «rave parties», sourit-il avant d’ouvrir le chapitre historique. «Avant, c’étaient les mercenaires qui ramenaient la musique des lieux où ils étaient allés se battre. En Suisse, la première mention de l’instrument date de 1447 et c’est quelqu’un qui se plaignait du boucan que ça faisait.» Si le hackbrett était joué plutôt en Appenzell et dans le Haut-Valais, certains documents inattendus pourraient attester de sa présence également dans le canton de Vaud. «Au XVIIIe siècle, les Bernois avaient interdit la musique populaire vaudoise. Les personnes qui en jouaient malgré tout étaient arrêtées. Donc on retrouve le hackbrett dans des rapports de police de l’époque.»
«Ma musique est une reconnexion au corps»
Gaël Robert joueur de hang, 41 ans
«C’était vraiment waouh!» Gaël Robert, 41 ans, en a encore des frissons. La première fois qu’il a entendu ce genre de musique, c’était à Prague, en 2012. «J’ai vu un musicien de rue taper sur un handpan et j’ai eu un énorme coup de cœur pour ce son.» De recherches en découvertes, il finit par débusquer un constructeur italien, chez qui il passe commande en 2016. Quatorze mois plus tard, il tient entre ses mains son premier handpan, sorte de tambour-soucoupe volante en acier et cousin très proche du hang. Il peut maintenant commencer sa nouvelle vie.
Gaël, ingénieur en génie logiciel, a travaillé pendant une dizaine d’années dans la région lausannoise avant de prendre un virage musical radical. «Vers 33 ans, j’ai eu envie de me tourner vers quelque chose d’énergétique, de me reconnecter à l’humain.» Il quitte son job, emménage en Valais, devient musicien et «invite la couleur» dans sa vie. Aujourd’hui, dans sa maison aux volets rouges, aux rideaux mauves et aux tentures vertes, il donne des cours de hang et de handpan et propose des voyages sonores. De quoi s’aérer l’esprit sous les notes vibrantes de l’acier.
Entre hang et handpan, la vibration est différente, mais elle peut sembler identique aux oreilles des néophytes. Pourtant, pour qui sait observer et écouter, un monde les sépare. Si tous deux se composent de deux coupoles collées ensemble, le matériau et la sonorité diffèrent. Le hang est façonné en acier nitruré par des artisans suisses. L’entreprise PANArt Hangbau SA, créée en 1993, fait breveter le métal en question sous le nom de «pang». Le premier hang voit le jour en 2000. Dans cette «sculpture sonore», les notes sont créées à coups de marteau dans l’acier où chaque creux correspond à un son spécifique. «Il s’agit plus d’une harmonisation que d’une gamme précise. Ce sont souvent des gammes pentatoniques ou hexatoniques. Il n’y a pas toutes les notes, car le but est de faire des accords.» Et pour cela, nul besoin de frapper fort, comme le démontre Gaël Robert dans un jeu de caresses sur le hang posé entre ses genoux. «On est plus dans l’effleurement. En général, je ne parle pas de puissance, mais d’intensité de jeu.»
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Sans formation musicale, l’ancien ingénieur a dû dépasser son syndrome de l’imposteur avant de se lancer pleinement dans sa pratique. «Ma musique est une reconnexion au corps. Quand je joue, c’est comme une discussion avec moi-même.» Le hang ou le handpan peuvent aussi être joués en duo, avec une personne de chaque côté de l’instrument. «Jouer à deux, c’est créer une rencontre entre deux humains à travers l’instrument.»