«Les envahisseurs, des êtres étranges venus d’ailleurs…» La voix off de la série télé dont David Vincent était le héros, créée en 1968, a marqué une génération.
Désormais, les envahisseurs sont là, sous forme d’insectes, originaires d’Asie très souvent. Chacune des espèces détaillées dans les pages suivantes représente un défi pour la Suisse, sa population, son agriculture, son environnement. Engagé dans la lutte, le biologiste Daniel Cherix souligne l’importance de soumettre toute observation et/ou toute photo les concernant au service responsable de chaque canton.
Le capricorne asiatique
A l’évocation de son nom latin, «Anoplophora glabripennis», les forestiers tremblent. «Un seul cas sérieux a été avéré en Suisse romande, en 2014, à Marly (FR), où des moyens gigantesques ont été engagés pour s’en débarrasser», relève Daniel Cherix. Un marronnier et deux érables abritaient pas moins de 160 adultes. Le capricorne asiatique se développe dissimulé à l’intérieur du bois. «Ce n’est qu’une fois parvenu au stade adulte, quand il sort, qu’on mesure les dégâts que ses grosses larves ont commis», explique Daniel Cherix. Redoutable, il s’attaque aux feuillus sains. Classé «organisme nuisible particulièrement dangereux» en Europe, il ne vole par chance pas très loin, ce qui permet souvent de remonter sa piste. Le dernier foyer en date a été repéré à Zell (LU) en 2022. Comment ce fléau a-t-il rallié la Suisse? «Sur des palettes en bois parties de Chine, répond Daniel Cherix. Elles doivent en principe être examinées de près, passées à l’étuvée, etc., précisément pour éviter le transport de parasites, mais les contrôles sont plus que lacunaires...»
La pyrale du buis
Arrivée en Europe dans les années 2000 via l’importation de végétaux, la pyrale du buis («Cydalima perspectalis»), espèce de lépidoptère originaire d’Extrême-Orient, s’est très vite répandue en Suisse à partir de la région bâloise. La chenille, reconnaissable à sa tête noire luisante et à son corps vert clair, strié sur la longueur de vert foncé, n’a aucun prédateur naturel. «Sur les communes vaudoises de La Sarraz, de Pompaples et de Ferreyres, très touchées, on a constaté que les mésanges ont appris à apprécier ces chenilles peu goûteuses en raison d’une toxine présente dans les feuilles de buis qu’elles dévorent, raconte Daniel Cherix. Mais cette détoxification constitue un apprentissage. Ainsi, alors que certains coins de Suisse sont encore confrontés à une explosion de pyrales, les choses se sont calmées ailleurs. On espère à terme pouvoir gérer les populations sans trop de traitements.»
«Tapinoma magnum»
«Son expansion est indirectement liée au réchauffement climatique», explique Daniel Cherix, qui dénonce «les irresponsables qui plantent des oliviers dans leur jardin» en Suisse. Les Romands se fournissent surtout à Lyon, «où la moitié des importateurs d’oliviers sont colonisés par Tapinoma magnum». Cette fourmi méditerranéenne voyage avec l’arbuste, dissimulée dans la terre que négligent les contrôles douaniers. Présente chez nous depuis 2017, elle résiste au gel, décime les fourmis locales et sa morsure est douloureuse. «Ses super-colonies ont d’énormes besoins d’énergie, souligne Daniel Cherix. Pour récolter assez de sucre, «Tapinoma magnum» favorise l’élevage de pucerons et la flore en pâtit.» Un nid peut abriter des milliers de reines! «Une colonie est capable de se déplacer de plus de 100 m par jour, et rien n’en vient à bout», ajoute-t-il. Genève, Vaud et le Valais sont les cantons les plus touchés.
Le frelon asiatique
Natif d’Asie, «Vespa velutina» (son nom latin) arrive en 2004 dans le sud-ouest de la France. En 2017, il est détecté en Suisse, dans le Jura. On le considère aujourd’hui comme établi dans les cantons suivants: BE, VD, GE, JU, NE, FR, SO et BL. L’expansion s’accélère. «En 2019, moins de dix nids primaires étaient recensés et détruits. En 2023, leur nombre a atteint 222 et le risque de se retrouver cet été avec 1200 nids est réel», s’inquiète Daniel Cherix.
Comment l’identifier? «Notre frelon européen se caractérise par le jaune vif de son abdomen. Si c’est le noir qui domine et que les pattes sont jaunes, c’est un frelon asiatique», indique le biologiste, qui met en garde contre sa fulgurance et son agressivité quand on le dérange. Dès le printemps, il impacte la biodiversité en harcelant la faune locale. «En août, ça se gâte quand ses populations, devenues importantes, ont besoin de beaucoup d’énergie pour engendrer la génération suivante, qui ne vit qu’un an: le frelon asiatique s’attaque alors aux colonies d’abeilles mellifères.» En Espagne, l’hécatombe est parfois telle que la pollinisation n’est plus assurée. «En Galice, les gens refusent de travailler dans les vignes. Trop dangereux. Dès que le raisin est mûr, les frelons sont partout!» Le site web www.frelonasiatique.ch lui est exclusivement consacré en Suisse.
La punaise marbrée
Détectée pour la première fois en Europe près de Zurich en 2004, la punaise marbrée («Halyomorpha halys»), insecte polyphage d’Asie du Sud-Est, représente une menace pour notre agriculture, s’attaquant aux arbres fruitiers comme aux légumes. On lui connaît au moins 200 plantes hôtes. Chaque femelle dépose une trentaine d’œufs blanchâtres sur la face inférieure du feuillage. Et elle peut pondre tous les quatre jours (!), avec un pic en juillet. Sa robe, d’un brun jaunâtre, ressemblant beaucoup à certaines de nos espèces locales, son identification est délicate. Dotée d’efficaces défenses odorantes, la punaise marbrée n’a aucun prédateur naturel. Très mobile, elle est capable de voler jusqu’à 120 km par jour. «Pour l’instant, elle provoque plus de dégâts en Suisse alémanique, dans les cultures de poiriers en particulier, qu’en Suisse romande, mais le temps joue contre nous», relève Daniel Cherix. Le Valais est en première ligne.
La processionnaire du chêne
Originaire des régions chaudes, la chenille processionnaire du chêne («Thaumetopoea processionea») est très sensible au climat. «Il existe deux espèces de processionnaires: celle du pin et celle du chêne. La première fait des nids très visibles, en forme de grosses boules blanches, explique Daniel Cherix. Dans le canton de Vaud, chaque année, en janvier, les propriétaires de pins présentant de tels nids doivent couper les branches et les brûler. Sous l’effet du réchauffement climatique, l’espèce est en train de remonter, au nord et en altitude. Il en va de même pour la processionnaire du chêne et ses poils urticants. Attention, il ne s’agit pas des gros poils répartis sur son corps, inoffensifs, mais bien de micropoils qui se détachent pour un rien. Dotés d’un petit harpon, ils se fixent sur la peau. Comme ça démange, on gratte et on s’injecte ainsi un venin urticant. Cela peut se révéler très grave pour les chiens.» Pour la combattre, on peut compter sur l’appétit des mésanges. Il existe aussi des biopesticides.
Le moustique tigre
On l’imagine imposant. A tort. «Aedes albopictus» est un petit sournois (de 5 à 10 mm). Né dans les forêts d’Asie du Sud-Est, il a envahi plus de 100 pays sur cinq continents et doit son nom aux rayures sur ses pattes. Ce qui le distingue? Une ligne blanche sur la tête et le thorax. Seules les femelles piquent. Elles peuvent transmettre des maladies tropicales (dengue, chikungunya, virus Zika). «Le moustique tigre qu’on retrouve chez nous est une souche américaine de l’espèce asiatique, précise Daniel Cherix. Il vient des Etats-Unis, où il a appris à résister au gel. En Europe, il a débarqué en Italie, via le commerce de vieux pneus, cachettes idéales pour ses œufs.» Repéré en Suisse dès 2003, il a envahi le Tessin, les deux Bâles et une petite partie des Grisons. «Cet été, il progresse à Genève, où 18 communes sur 43 sont touchées.» Les signalements augmentent sur Vaud et le Valais, tandis Neuchâtel, Fribourg et le Jura semblent encore préservés. Un site dédié (www.moustiques-suisse.ch) centralise les observations et permet de coordonner le monitoring et la lutte.
Le scarabée japonais
Superbe coléoptère, le scarabée japonais («Popillia japonica») a étrangement épargné le Japon, son pays d’origine, mais il fait des ravages aux Etats-Unis, puis en Europe à partir des Açores. Classé «organisme de quarantaine prioritaire», il est traqué. En Suisse, toute observation doit être signalée à la police phytosanitaire de son canton. Cet insatiable glouton impacte «tout ce qui est cultivé, notamment la vigne», confie Daniel Cherix. Capturé une première fois au Tessin en 2017, il y a fait d’«énormes dégâts». En 2023, deux foyers d’infestation ont été jugulés en Valais, mais «Popillia japonica» y est toujours présent. «Empêcher sa diffusion sera très compliqué, affirme Daniel Cherix. Un char de paille, un camion, un train et... il avance!» Les Agroscopes sont vent debout. «Près de Kloten, l’artillerie lourde a été engagée pour l’éliminer.» Une méthode de lutte biologique, utilisant des champignons entomopathogènes, semble prometteuse, mais à Bâle, ville et campagne, on a dû se résoudre à traiter d’urgence.