«Quelle année intense! En préambule, il faut dire une chose fondamentale. Ce que je fais ressemble à ce que vit un sportif de haut niveau. Il a un coach, un masseur, un cuisinier et moi non plus je ne peux rien faire seule, je ne suis rien sans mes électrices et électeurs, sans les gens sur le terrain qui me disent de tenir bon. Je vois et j’aime les gens, par exemple chaque samedi matin au marché, j’en ai besoin.
Oui, cette année a été dure. Sur la question climatique notamment, on pratique une politique parlementaire qui n’est clairement pas à la hauteur. Cela dit, elle a commencé pour moi par mon congé maternité, avec la naissance de ma deuxième fille, en décembre 2020. J’ai vécu partiellement la première session parlementaire de mars, mon bébé sous le bras, en sortant pour allaiter. Aucune structure adéquate n’existe pour une maman conseillère, rien n’est prévu. Pas de crèche, pas de suppléance, pas de votes à distance: on l’a refusé aux femmes en congé maternité. Heureusement, j’ai un compagnon solide, qui a pris congé quand il le fallait. Sans lui, ce ne serait pas possible, ce serait un trop gros sacrifice.
Je pensais pourtant que faire un deuxième enfant à 36 ans était dans l’ordre des choses. Mais non, j’ai été surprise de la petite révolution que cela crée encore au Conseil des Etats, à la moyenne d’âge de 56 ans et composé à 71% d’hommes.
La naissance de ma fille, ajoutée aux accouchements de mes collègues Johanna Gapany en janvier et Lisa Mazzone en juin, a sans doute un peu bousculé les codes et les habitudes de cette assemblée. Un collègue m’a même dit: «Ah, tu vas arrêter alors?» Ces quelques réactions de surprise et de gêne, heureusement minoritaires, m’ont rappelé que certains pensent encore en 2021 que les femmes qui font carrière en politique n’ont pas d’enfants. Le Conseil fédéral en sa composition actuelle en est la meilleure preuve.
Dans ce contexte, un témoignage m’a bouleversée. Lors de la commémoration des 50 ans du droit de vote des femmes, une ex-conseillère saint-galloise est venue dire au parlement, à quelques mètres de moi, comment elle avait dû démissionner, alors qu’elle était réélue, parce que son mari ne trouvait plus de travail. On ne voulait pas du «mari de»! Toutes proportions gardées, je peux comprendre ce qu’elle vit. Etre une pionnière a quelque chose de douloureux, c’est dur d’enfoncer des portes. Je me dis que, si je suis à contre-courant aujourd’hui, je suis en train de préparer le terrain pour d’autres femmes plus tard. Parfois j’aimerais que ce soit un peu plus facile. Heureusement, il y a de l’espoir: Irène Kälin, qui a 34 ans et un petit garçon, vient d’être élue présidente du Conseil national. Le nouveau monde arrive enfin.
Quand je suis revenue en mai, ce fut pour vivre cette campagne affreuse contre les pesticides, un de mes combats politiques. Je fais attention en l’évoquant, cela me touche encore. J’ai reçu des menaces de mort, mes filles aussi. En vingt ans de politique, je n’ai jamais connu cela. Pendant quelques jours, j’ai été dans un état de sidération. Je crois en la démocratie, mais comment défendre ainsi les valeurs pour lesquelles j’ai été élue? Fedpol a dû intervenir, les condamnations commencent à tomber, je ne veux plus en parler.
Il a fallu affronter la déception de l’échec. Me dire qu’une partie des paysans avait choisi de faire campagne en faveur de l’agrochimie, décision incroyable pour moi. Le monde agricole est certes sur la bascule, beaucoup ont peur, mais si l’initiative avait passé, la Confédération aurait investi des millions pour lui. Là, ils ont signé la mort programmée de beaucoup d’exploitations qu’on n’aurait pas laissé disparaître avec une agriculture durable.
Mes ressources, à part ma base, demeurent mes filles. Les moments avec elles sont sacrés. Ces derniers jours, ma cadette a dit «maman» et «papa», elle marche. Elles sont tout, la force, le courage, la persévérance. Sans elles, aurais-je le même feu?»
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