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Politique

Céline Amaudruz: «99% des hommes respectent les femmes»

A Berne, la conseillère nationale Céline Amaudruz fut la première à dénoncer le harcèlement au sein du parlement. A 40 ans, la Genevoise qui est aussi vice-présidente de l’UDC suisse évoque ses dix ans de politique et ses nouvelles priorités: l’égalité des salaires et la cause des femmes.

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Céline Amaudruz, conseillère nationale (UDC/GE) depuis 2011. Anoush Abrar

- Le procès du producteur Harvey Weinstein s’est ouvert la semaine dernière à New York. Vous êtes juriste, auriez-vous accepté d’assurer sa défense?
- Céline Amaudruz: Il y a deux catégories de personnes que je ne défendrai jamais: les pédophiles et les agresseurs sexuels. Je ne pourrais pas, ou alors je les défendrais mal pour qu’ils croupissent en prison.

- En 2017, vous avez révélé avoir été victime de harcèlement et de gestes déplacés dans le cadre de vos activités parlementaires à Berne. Vous étiez la première à évoquer le problème…
- Je n’avais rien prémédité, une journaliste m’a posé une question et c’est mon cœur qui a parlé. Les trois semaines de parlement qui ont suivi ont été excessivement difficiles. Je me sentais regardée différemment, certaines personnes ne me disaient plus bonjour. Même certains de mes proches ne comprenaient pas. Ma sœur m’a demandé pourquoi je n’avais pas parlé plus tôt.

- Pourquoi n’avez-vous pas voulu révéler le nom de votre agresseur?
- Pour des raisons qui peuvent paraître un peu lâches, peut-être. Après en avoir discuté longuement, mon avocat me le rappelait: «Faute de preuve, ce sera toujours ta parole contre la sienne. Et ça va te faire encore plus de mal.» C’est difficile de parler. Il y a un sentiment de honte. On se pose des questions «surréalistes», comme: «Ai-je fait quelque chose qui aurait pu susciter de tels actes?» C’est très éprouvant d’aller parler à la police et d’expliquer les faits, car vous revivez l’agression. Ils doivent avoir les éléments constitutifs d’une infraction, ce qui est normal, mais les preuves sont souvent difficiles à fournir dans ce genre d’affaires.

- A Berne, comment les choses ont-elles évolué?
- Comme je n’avais pas donné de nom, certains m’avaient mal comprise, pensant que j’accusais tout le monde. Mais pour moi, 99% des hommes sont des gens normaux, qui respectent les femmes. En revanche, nous, les femmes, devons aujourd’hui nous battre et oser dénoncer ceux qui franchissent la ligne rouge.

- Quel rôle joue la séduction dans une carrière professionnelle ou politique?
- C’est une question un peu piège! Je relève toutefois qu’une femme, lorsqu’elle a le malheur d’être belle, doit supporter un jugement de valeur, contrairement à un homme. Une femme est trop souvent jugée sur son aspect physique, avant de l’être sur ses qualités ou ses compétences. Les gens jugent d’abord l’apparence, on peut le regretter, mais c’est comme ça. Les femmes doivent prouver toujours plus.

- Vous êtes entrée en politique en 2009 à 30  ans, qu’est-ce qui vous y a entraînée?
- Au départ, un simple concours de circonstances. M. Soli Pardo, fondateur de la section genevoise de l’UDC, cherchait des jeunes femmes désireuses de se lancer en politique. Quand on m’en a parlé, j’ai d’abord répondu: «Surtout pas!» Mais après quelques mois de discussions, mon père a réussi à me convaincre de figurer sur une liste. A ma grande surprise, j’ai été élue au Grand Conseil, et ça s’est révélé être une passion! J’ai trouvé ça fantastique, ça a transformé ma vie. Plus tard, mon père m’a dit: «Je sentais que tu avais ça dans le sang.»

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«Ma mère me dit: "C’est incroyable comme tu es devenue une défenseuse des femmes!"» Anoush Abrar

- Qu’est-ce vous plaît le plus dans le travail parlementaire?
- Développer des stratégies pour réussir à faire en sorte que nos sujets passent. J’aime les combats d’idées. J’ai un peu «une grande gueule» et j’aime bien discuter, surtout quand je ne suis pas d’accord! Plutôt que de râler toute seule devant ma TV, ou d’expliquer comment il faudrait faire, je préfère essayer d’agir. Je suis convaincue que nous avons le plus beau système politique du monde, avec notre démocratie directe et nos politiciens de milice. Si on perd l’un ou l’autre, on finira comme les autres Etats. Notre système me rend heureuse et fière. Chaque fois que j’entre dans le parlement fédéral, j’ai le cœur qui vibre!

- Vos deux parents sont avocats, vous étiez condamnée à étudier le droit?
- Non, j’ai adoré le droit. Après ma licence, j’ai travaillé six ans avec eux et puis j’ai ressenti le besoin de prendre mon envol et je suis partie dans la banque m’occuper de gestion de fortune. J’ai démissionné le 31 octobre dernier et j’ai complètement quitté le milieu.

- Quels sont vos projets?
- L’année dernière, j’ai suivi les cours de l’IMD à Lausanne et obtenu un MBA, un master en administration dans lequel on étudie à la fois la finance, la stratégie, le marketing, le leadership… C’était quarante heures de travail par semaine en plus de la banque et de la politique. Un très gros challenge qui m’a complètement transformée, qui m’a donné beaucoup plus de maturité et de recul, par exemple dans l’analyse de dossiers. Je m’y étais inscrite sur un coup de tête, et c’est l’une des meilleures décisions que j’aie jamais prises. Parce que ce MBA, je l’ai vraiment fait pour moi. Je me suis nourri l’esprit sans devoir rendre de comptes à qui que ce soit. J’ai trouvé ça fantastique.

- Qu’allez-vous faire de ce prestigieux diplôme?
- Je ressens un côté plus entrepreneurial en moi aujourd’hui. Sans en être certaine pour autant, peut-être qu’une petite ou moyenne entreprise me correspondrait mieux. J’ai 40 ans et l’impression de m’être enfin trouvée, mais je vais prendre le temps de m’écouter, de bien savoir ce que je veux.

- Qui vous a transmis les idées et les valeurs qui sont les vôtres?
- Au départ, bien sûr, c’est dans le cocon familial que l’on forge ses idées. Mon père et ma mère étaient vraiment contre l’adhésion à l’Union européenne. Je me souviens de leurs discussions en 1992. Pendant les études, comme les profs sont toujours un peu à gauche, je sentais bien qu’il y avait une différence entre leurs idées et les miennes.

- Vous n’avez jamais été «un peu à gauche»?
- Non! (Elle rit.) Même si aujourd’hui, au sein de mon parti, certains me reprochent d’être un peu trop «à gauche» sur les questions sociétales… Parce que je suis pour le congé paternité, pour la création de places de crèche; parce que j’ai soutenu la loi sur l’égalité salariale. Et puis je ne suis pas pour que les femmes restent à la maison. Je suis pour que les femmes puissent choisir!

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S’il y avait un seul film: «"Les Bronzés font du ski", de Patrice Leconte, avec toute l’équipe du Splendid, parce que j’adore rire.» Anoush Abrar

- Ce qui va à l’encontre du credo de votre parti…
- C’est ce que disent ceux qui veulent déconsidérer nos idées. L’UDC veut permettre aux femmes de travailler OU de rester à la maison. Aujourd’hui, la société ne le permet pas, parce que si une famille n’a pas deux salaires, elle n’arrive pas à finir le mois. Après, il peut y avoir des différences entre les UDC des villes et ceux de la campagne, ou encore des différences d’opinions liées aux générations. Mais moi, je considère avoir le droit d’exprimer des opinions différentes. Probablement que si j’annonçais que j’étais tout à coup pour l’adhésion à l’Union européenne, on me conseillerait de changer de parti.

- La politique, c’est aussi prendre des coups, au point parfois d’avoir envie d’abandonner?
- Une fois ou deux en rentrant le soir à la maison, je me suis dit: «Cette fois j’arrête, parce que c’est vraiment trop dur!» Mais le lendemain matin, je me dis: «Bon, Céline, tu étais fatiguée hier soir!» En général, il me faut une nuit et puis je me relève, j’ai été élevée comme ça. J’ai fait beaucoup de compétition sportive. Quand on fait de l’équitation ou du ski nautique, on tombe 50 fois avant de réussir.

- Quel sport pratiquez-vous?
- Aujourd’hui, ce que je fais le plus souvent, c’est de la randonnée, de la peau de phoque (on monte avec notre caquelon à fondue), de la marche, beaucoup de jogging, beaucoup de boxe aussi maintenant, trois fois par semaine avec un coach, j’adore ça. Il y a un côté défoulement, bien sûr, mais aussi l’envie d’apprendre à me défendre. Tout est toujours lié, dans nos vies. Le sport c’est mon refuge, le défoulement total, le seul moment où je ne réponds pas au téléphone. Mon moment à moi.

- Quelles sont vos vacances idéales?
- Ça fait trois ou quatre ans que je n’en ai pas pris. Il faut qu’il y ait un côté sportif, et avec mon compagnon, bien sûr. J’aime les voyages assez «nature». Je n’irais pas aux Maldives, ça ne me fait pas rêver. Notre prochain voyage, ce sera en Laponie, en février. On va faire de la raquette, de la motoneige, du traîneau, mais surtout, j’espère, voir les aurores boréales.

- A Berne, quelles seront vos priorités?
- Depuis dix ans, mon combat est la non-adhésion à l’Union européenne. C’est dans mon ADN. L’indépendance et la souveraineté de la Suisse sont non négociables. Mon autre combat est bien évidemment la sécurité. La victime doit être au centre des préoccupations. Nous devons protéger les victimes, et non pas les criminels! Je m’intéresse de plus en plus aux problèmes sociétaux et à tout ce qui concerne la défense des femmes et des enfants. Aujourd’hui, ma mère me dit: «C’est incroyable comme tu es devenue une défenseuse des femmes!» Jamais de ma vie je n’imaginais prendre de telles positions…


3 dates qui comptent

- 23.10.2011: élection. «C'est le jour de ma première élection au Conseil national, j'avais 32 ans.»

- 14.02.2013: émotion. «La date de mon accident de ski en hors-piste., héliportée aux urgences à Zweisimmen.»

- 24.12: tradition. «Parce que Noël représente toutes les valeurs liées à la famille.»


Par Jean-blaise Besencon publié le 20 janvier 2020 - 08:28, modifié 18 janvier 2021 - 21:07