Si on est à pied, il faut grimper à la force du mollet pour rencontrer Cédric Baravaglio, dont la maison domine le lac au-dessus de Lutry (VD). Physique de biker que les deux Harley dans le garage ne démentent pas. Si ce fan de metal habite en hauteur, il n’est pas en reste professionnellement puisqu’il fait partie du gotha international des compositeurs de musique de films, bosse régulièrement pour les studios Disney et a déjà signé la musique du teaser et du «trailer» (version plus longue) de «Buzz l’Eclair» ou du dernier «Star Wars 9». «Un bon «trailer» peut augmenter de 45% le succès d’un film», précise ce Genevois exilé en terre vaudoise. Qui est également l’auteur des percussions sur le «trailer» du dernier «Spider-Man» (300 millions de vues).
Au moment de notre rencontre, il ne cachait pas une certaine fébrilité. Cédric Baravaglio est en lice pour les prochains «trailers» d’«Avatar 2», «Les animaux fantastiques» ou les séries très attendues «Obi-Wan Kenobi» et «Le seigneur des anneaux». Une parenthèse «waiting room» qui n’est jamais facile à gérer. Montée en intensité quand il a su que sa musique aurait pu être diffusée lors du dernier Super Bowl, cet événement planétaire suivi par quelque 100 millions de téléspectateurs.
Vous imaginez l’affiche? Snoop Dog, Dr Dre, Eminem et Cédric Baravaglio? Il tempère vite notre ardeur. D’abord parce que cela ne s’est pas fait et puis, surtout, parce que «c’est un travail anonyme, le compositeur de «trailer» n’est jamais nommé; tu restes toujours au bout de la chaîne alimentaire, il ne faut pas croire que Disney est venu me chercher à Lutry. Ça passe par toute une chaîne hiérarchique!»
C’est dit. Et aussi que notre musicien travaille de concert avec son associé et ami, Jean-Gabriel Raynaud, avec qui il partage les mandats. Alternant son activité entre le cinéma et les jeux vidéo. Lui a fait ses premières armes en animant un podcast sur «World of Warcraft». Comme il n’existait pas de musique libre de droits, Cédric composait et postait ses œuvres sur SoundCloud, une plateforme de distribution. On l’a remarqué. Récemment, il a signé la bande sonore de Wolcen, un jeu de type «heroic fantasy» dont une partie de la musique a été enregistrée à Prague, avec un orchestre symphonique. Un souvenir vieux de trois ans mais dont il parle toujours avec émotion. «Quand j’ai entendu les musiciens interpréter ma musique, j’en ai eu des frissons. J’avais presque envie de m’excuser auprès d’eux, moi qui ne suis ni Mozart ni Bach!»
Ce garçon de 38 ans tient à rester les pieds sur terre. Ne pas se fier à la vue plongeante sur le Léman depuis sa terrasse, sa maison est en location et, toute accueillante qu’elle soit, bien plus modeste que certaines bâtisses cossues alentour. Il hoche la tête. «Dans ce métier, il ne faut jamais oublier que ce n’est jamais gagné d’avance. Tu peux bosser des mois sur un «trailer» et ne pas le placer. Du coup, tu ne gagnes rien! Ça m’est arrivé sur «Batman». On se donne à fond, on y croit, mais c’est un autre projet qui est choisi. La concurrence est rude dans ce monde-là!»
Bien sûr, il y a de quoi être fier de savoir que la moitié de la planète a sûrement déjà entendu une de vos lignes mélodiques et que votre nom est associé à des films comme «Les Indestructibles», «Dumbo», «Aladdin» ou «Ça». Il l’avoue bien volontiers, lui aussi a rêvé un jour de se retrouver à Hollywood… avant de se rappeler ce principe qui est presque un mantra: «Connaître ses limites.» Il sourit. «Vous connaissez le syndrome de Dunning-Kruger? Le gars qui surestime ses compétences et ne se rend plus compte qu’il n’est pas bon…»
Dans les hommes pour qui il voue, par contre, une admiration sans limites, on trouve John Williams, le compositeur des «Dents de la mer», d’«E.T.», d’«Indiana Jones» et de tant d’autres. «Un killer», un «Christ sur terre» à ses yeux. «Je suis à des années-lumière de son talent! Dans cent cinquante ans, on se souviendra de John Williams comme aujourd’hui de Mozart.» Cédric a eu la chance d’aller assister à un concert du maître en janvier 2020, avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. «Un moment très émouvant pour moi car, enfant, j’écoutais avec mes grands-parents le concert du Nouvel An à la TV avec cet orchestre. Quand John Williams est monté sur scène, j’avais les larmes aux yeux…»
Un gaillard solide qui pourrait presque passer pour bourru en apparence, mais d’une sensibilité tout en finesse. Il nous entraîne au sous-sol, dans son studio gardé par une armure de soldats de «La guerre des étoiles». On admire la taille des écrans d’ordinateur, le matos sophistiqué, le côté cabine de pilotage d’un Airbus dans laquelle Cédric se meut comme un commandant de bord. Le son de ses derniers «trailers» envahit toute la pièce. C’est puissant, épique. Etonnement de notre part d’apprendre qu’il compose à l’aveugle, sans aucune image mise à sa disposition par les producteurs des films pour lesquels il travaille. «On a juste des intentions qui nous sont communiquées. Par exemple, pour «Buzz», je devais m’inspirer de «Starman» de David Bowie.» On «uplift» pour une séquence positive, on «back end» quand il faut du nerf et de la puissance, et le «title card», comme Cédric nous l’explique, ce sont les deux notes finales du «trailer». Comme la chute d’un gag ou la dernière phrase d’un roman.
Bien évidemment, composer toute la musique d’un film est un rêve que Cédric caresse même si, nuance-t-il avec lucidité, «il faut être à Hollywood et avoir des connexions».
Difficile d’imaginer que ce rocker, qui écoute toujours aussi bien du Pink Floyd que du Black Sabbath, a commencé à jouer du cor des Alpes avant de passer au cor tout court pour intégrer deux fanfares genevoises. Il a aussi fait partie d’un groupe de metal comme chanteur et batteur, mais de cela, on est moins étonné. Jamais, pourtant, cet autodidacte n’aurait osé imaginer vivre un jour de sa musique. Et pouvoir gagner de 10 000 à 50 000 francs selon l’importance du «trailer» placé. «C’était un rêve de gamin, comme devenir astronaute ou pilote de formule 1, puis on se dit qu’on n’aura jamais les 200 000 balles nécessaires pour se payer une formation!»
Lui n’est sorti d’aucune école prestigieuse. N’a même pas fini son apprentissage d’employé de commerce et évoque une jeunesse de type «rollercoaster». «J’étais un jeune rebelle à la limite de l’anarcho», explique encore celui qui a quitté le nid familial à 17 ans, puis tâté de toutes sortes de petits boulots, de déménageur à agent de sécurité en passant par aide cuistot dans un resto mexicain.
Une parenthèse militaire chez les grenadiers de chars plus tard, il ouvre un cybercafé dans le quartier de la Servette, à Genève. Mais se retrouvera en faillite à cause d’un associé parti en vrille. «J’ai tout perdu. Je me suis retrouvé à 26 ans à vivre pendant dix mois dans ma voiture, à crever la dalle, avec une prise de 12 volts pour me raser et charger mon portable. Parce que je voulais continuer à composer malgré tout. Mes parents, qui n’étaient pas au courant, m’ont finalement accueilli chez eux le temps que je me reconstruise.»
Dans le quotidien de Cédric Baravaglio, compositeur de musiques de bandes-annonces
Finalement, il a tiré le meilleur de cette «descente aux enfers» et évoque cette période comme sa «SDFA» (Sans Domicile Fixe Academy). «Cela m’a appris à savoir ce que j’avais vraiment envie de faire après avoir touché le fond.» Et puis il y a ses potes, Pascal, Manu, José, Marc, si importants dans sa vie. Sans parler de celle qui l’accompagne depuis deux ans. Qui croit en lui et partage ses succès (avec une coupe de champagne) et ses déceptions. Si vous allez découvrir la musique de Cédric Baravaglio sur Spotify, arrêtez-vous sur le titre «Noëlle au printemps». Moins de clics que pour une superproduction Disney, mais le trailer d’une belle histoire d’amour.